Les données mesurées par tous les automates et capteurs qui entourent les vaches ne sont pas présentées telles quelles à l'éleveur. Elles passent par la moulinette de calculs des constructeurs, afin d'en fournir une interprétation utilisable. Pour autant, les tableaux de chiffres affichés sur les écrans reliés aux robots de traite peuvent en effrayer plus d'un. Comment s'y retrouver dans toutes ces colonnes ? Pour Pascal Racinet, éleveur dans l'Orne, qui a installé deux stalles en 2008, « on s'habitue très vite à repérer les informations qui nous intéressent parmi toutes les données ». Jean-Pierre et Anne-Marie Dufeu, éleveurs en Ille-et-Vilaine, reconnaissent qu'ils ont passé plusieurs jours plongés dans les tableaux qui apparaissaient à l'écran, à l'installation du robot, il y a un an. Pourtant, lui est un vrai geek ! Désormais, ils consultent les quelques données importantes au quotidien depuis chez eux, sur leur smartphone. Les autres informations attendent un autre moment de la journée, sur l'écran situé dans la stabulation.

DES ENREGISTREMENTS EN CONTINU

Les mesures d'activité, de température, de poids ou de conductivité du lait sont réalisées en continu, ou presque, tout au long de la journée. Stockées sur l'ordinateur de l'élevage, elles sont intégrées aux éventuels logiciels de gestion de troupeaux, offrant un historique des animaux. Mais pas seulement. Les terminaux étant désormais connectés à internet, ces données voyagent aussi sur la Toile. Elles sont « siphonnées » pour atterrir dans les bases des différents intervenants, qu'il s'agisse des fournisseurs de ces technologies ou des organismes de contrôle de performances.

Ainsi, France Conseil élevage (FCE) a élaboré l'interface Ori-Automate. Cet outil informatique fait circuler les données depuis les compteurs à lait automatiques installés chez l'éleveur jusqu'aux bases de données des organismes de contrôle laitier (OCL) et inversement. Objectif : éviter à l'éleveur une double saisie, en mettant automatiquement à jour les informations sur le cheptel. FCE envoie sur l'ordinateur de l'éleveur les données d'inventaire, les événements tels que chaleurs, IA, diagnostics de gestation, dates de tarissement et de vêlage. L'organisme récupère les poids de lait, la vitesse de traite, la conductivité, le poids de l'animal et son activité, ainsi que les événements saisis par l'éleveur. La prochaine version pourrait également récupérer les données d'alimentation. Les constructeurs, eux, récupèrent les données pour affiner leurs algorithmes. Ce sont d'ailleurs eux qui ont la main sur les seuils d'alerte ou le classement des vaches laitières parmi les animaux « à surveiller ».

« L'information est fournie clé en main à l'éleveur, regrette Jean-Louis Peyraud, de l'Inra. On aimerait savoir comment le constructeur passe de la donnée brute à l'information utilisable par l'éleveur. » Secret industriel, rétorquent les intéressés. Ce travail de conception des algorithmes est protégé par des brevets. Si certains acceptent de transférer une partie des données, d'autres sont plus réticents. Surtout s'ils comptent les exploiter dans le cadre d'un conseil plus approfondi. En effet, tous se penchent sur l'étape suivante : l'aide à la décision. « A l'avenir, il faudra aller plus loin dans le conseil, confirme David Saunier, de France Conseil élevage. Envoyer des alertes ne suffira pas, il faudra proposer des solutions. » Or celui qui possédera la base de données la plus complète maîtrisera le conseil, voire le « e-conseil ». Le flou qui règne sur la propriété des données et le débat qui tourne autour illustre l'ampleur de l'enjeu commercial (lire ci-contre).

Constructeurs, concepteurs de logiciels et organismes de conseil sont sur les rangs.

CHACUN SA BASE

« Pourtant, il y aurait un intérêt à échanger les données collectées, plaide Emmanuel Mounier, directeur général de Médria. Nous le faisons déjà : nous envoyons des événements tels que les vêlages et les chaleurs aux logiciels de quelques OCL. En parallèle, nous récupérons d'autres informations comme les confirmations de gestation, afin d'affiner les détections sur les vaches. Médria récupère et centralise à distance les données des éleveurs dans un cloud, ce qui permet un échange plus facile avec nos partenaires. Un partage de données centralisées dans une unique base commune serait l'idéal mais c'est illusoire. » Aujourd'hui, chaque intervenant constitue sa propre base, comme un trésor de guerre. Mais leur taille peut vite devenir exponentielle, posant le double problème du coût du stockage et de son but. « Il faut bien réfléchir à ce qu'on veut mesurer et pour en faire quoi, souligne Louise Marguin, de l'Institut de l'élevage. En fin de compte, ce sont les éleveurs qui trieront ce qui leur est utile. »