Alors que les progrès techniques sur le génotypage sont très rapides (lire page 52), les limites actuelles se situent au champ pour le phénotypage des variétés. Cette étape, qui consiste à décrire les caractères agronomiques des plantes dans un milieu donné, est réalisée depuis longtemps dans les schémas de sélection. Mais l'enjeu aujourd'hui est d'étudier en même temps, rapidement et précisément, de très grandes séries de variétés dans différents scénarios impliquant de nombreuses conditions climatiques (augmentation du CO2, température élevée, faible disponibilité en eau...), techniques culturales (carence en azote, par exemple) et complexes parasitaires (fusariose, septoriose...).
Ce phénotypage haut débit permet de tester le comportement de centaines d'individus représentatifs de la diversité génétique, dans des conditions de culture contrôlées, pour identifier les mieux adaptés. Une fois les caractères intéressants repérés, le phénotypage s'associe au génotypage lui aussi à haut débit, afin d'établir des corrélations statistiques entre les caractères et les gènes qui les gouvernent. Ce qui permet de déterminer les combinaisons de gènes les plus favorables et d'identifier les marqueurs moléculaires prédictifs des caractères observés.
EMULSION DE PROJETS
Jusqu'alors, peu de recherches concernaient le phénotypage et particulièrement le phénotypage au champ, nécessaire pour les caractères agronomiques complexes. La plupart des outils disponibles jusqu'à maintenant ont été développés pour des environnements contrôlés comme des serres, relativement éloignées des réalités agronomiques.
Aujourd'hui, les technologies de phénotypage à haut débit font l'objet d'importants développements, avec la mise au point d'équipements montés sur des appareillages complexes pour suivre, par exemple, la croissance des feuilles ou des racines à pas de temps fréquents, sans les détruire, en conditions qui se rapprochent des parcelles agricoles. « Le phénotypage a fait un bond grâce à ces nouveaux outils, confirme Katia Beauchêne, responsable du phénotypage des projets « Biotechnologies » chez Arvalis. Nous disposons de différentes sortes de capteurs portés, de caméras multispectrales, de spectroradiomètres, de lasers, etc. pour réaliser les essais. » Des robots sont capables de faire des notations en un temps record comparé à ce que peut faire un humain.
Il y a actuellement une émulsion de projets de « phénomique » en France autour du phénotypage fin et haut débit, associant les semenciers, les instituts techniques et l'Inra.
Phénoblé : premier projet d'envergure. Démarré en 2011, il vise sur une période de quatre ans à « identifier les facteurs génétiques impliqués dans les interactions génotypes/environnement liées à l'assimilation de l'azote chez le blé tendre ». Il devrait ainsi permettre de préciser et d'identifier les mécanismes clés liés à l'efficacité de l'utilisation de l'engrais et ses implications sur le rendement. « Le projet permettra de générer des outils et des méthodes utilisables dans des programmes de sélection variétale et de produire une liste de phénotypes héritables, qui serviront à conduire des études de génétique d'association », expliquent les partenaires. Ces méthodes seront comparées à celles classiques de phénotypage (prélèvements pour estimer la biomasse et les teneurs en azote...) et calibrées pour de grandes séries variétales.
TECHNIQUES NOUVELLE GÉNÉRATION
Pour cela, des outils de phénotypage fin et haut débit du blé tendre en plein champ ont été testés sur la plate-forme de Châlons-en-Champagne (Marne). « Etudier 1 000 parcelles en même temps, c'est coûteux en temps et en main-d'oeuvre, résume Katia Beauchêne. L'utilisation de capteurs permet de donner des indications sur les variétés sans rien détruire et en passant régulièrement sur la plate-forme. »
Pour aller plus loin encore, a été mis en place le Phénome dans le cadre des Investissements d'avenir. Il concerne non seulement le blé mais également le maïs, le colza, le tournesol... L'objectif est de développer un réseau de plates-formes de mesures, déjà existantes ou en cours d'élaboration. L'idée est que toutes travaillent en même temps et s'appuient sur les mêmes types d'outils. Le réseau servira la recherche française et européenne et sera aussi ouvert aux semenciers. Phénome comprend deux plates-formes en conditions contrôlées (pots en serre) à Montpellier et à Dijon, avec des capacités de 1 900 plantes. Elles sont orientées sur le comportement des plantes vis-à-vis de l'eau, de la lumière et des variations de températures, avec des mesures de l'état hydrique du sol, de la température et du CO2, de la croissance des plantes, de leur architecture... A Dijon, s'ajoute une originalité : l'analyse des relations plantes-micro-organismes. Les équipes de Dijon ont mis au point des rhizotrons, dispositifs qui permettent de visualiser le système racinaire entre deux lames de verre. On pourra ainsi observer les caractéristiques racinaires des plantes les mieux adaptées à la carence en azote ou au déficit en eau. « C'était un domaine jusqu'à présent peu étudié car difficile d'accès », estime l'Inra.
SERRES MOBILES
Les cinq autres plates-formes sont au champ. Deux fonctionnent en conditions semi-contrôlées, à Ouzouer-le-Marché (Loir-et-Cher) et Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme) (capacité de 800 microparcelles). « Celles-ci sont équipées de serres mobiles posées sur des rails qui vont se déplacer pour protéger les cultures en cas de pluie, afin de les mettre en conditions de stress hydrique », explique Katia Beauchêne. « L'étude du comportement des plantes vis-à-vis de la sécheresse est très difficile à évaluer en plein champ en France, confirme Jean-Michel Moreau, sélectionneur blé tendre chez Bayer CropScience. Les sols peu profonds sont souvent très hétérogènes. Il est donc difficile d'avoir des résultats comparatifs. Grâce au phénotypage haut débit, il devient possible d'extérioriser ce critère. » La plate-forme de Clermond-Ferrand est aussi équipée d'un système d'enrichissement de l'atmosphère en CO2 afin de voir le comportement des variétés dans ces conditions liées au changement climatique.
Trois plates-formes (Dijon, Toulouse, Montpellier) ont un débit supérieur aux précédentes (2 000 microparcelles). Elles sont équipées de capteurs du sol et du climat, et bientôt d'une phénomobile (photo 2), un véhicule autonome équipé de capteurs capables de générer des images fonctionnelles à l'échelle de la microparcelle, afin d'observer les plantes de manière régulière. Ce réseau constituera le Centre français de phénomique végétale sur lequel pourront s'appuyer des projets comme BreedWheat.