S' il est un point que person ne ne conteste plus, c'est la chute des importations italiennes de broutards. « Il est difficile de dire jusqu'où ira cette baisse tant qu'on ne connaît pas leurs choix concernant la future Pac, estime Hugues Beyler, directeur de la Fédération française de commer ce de bétail vif (FFCB). Mais l'Italie est et restera notre principal marché pour le broutard français. » En attendant, que faire de ces animaux qui pourraient nous rester sur les bras ? Les exporter ? Les engraisser pour les vendre sur les marchés intérieur ou étrangers ?
Ces questions se posent de façon récurrente chaque fois que les flux commerciaux traditionnels déraillent. Comme lorsque le sérotype 8 de la fièvre catarrhale ovine a débarqué dans l'Hexagone et que les frontières se sont brutalement fermées. La maladie a même coupé la France en deux à une période, bloquant les broutards au nord-est du pays.
TRANSFORMER LE PROBLÈME EN OPPORTUNITÉ
« Les difficultés italiennes ne sont pas récentes, remarque Dominique Langlois, président d'Interbev. Ne voulant pas y croire, on n'a rien fait. Aujourd'hui, il faut transformer ce problème en opportunité. Je suis convaincu que nous pouvons y arriver en dépassant les postures de famille au sein de la filière. Nous devons privilégier la valeur ajoutée en France. » Autrement dit, engraisser et abattre en France. Le souve nir des bateaux de jeunes bovins finis embarquant à Sète est encore dans les mémoires.
Finalement, n'est-ce pas le marché qui décide de ce qu'on peut vendre ? « L'Italie est un marché de viande, rappelle Philippe Deschamps, directeur de la Celmar. Soit elle achète des broutards qu'elle engraisse, soit des jeunes bovins finis vivants, soit des carcasses. Le vrai challenge est qu'elle reste un débouché pour les animaux nés en France, qu'ils soient engraissés là-bas ou chez nous. L'objec tif, fixé au Space en 2011 par le ministre de l'Agriculture, d'engraisser 100 000 broutards de plus en France reste valable. Encore faut-il s'en donner les moyens ! »
Tout le monde s'accorde donc sur le fait que l'Italie est, directement ou indirectement, le principal débouché pour le maigre français. « Nous avons aussi des marchés historiques sur l'Allemagne et la Grèce, insiste Dominique Guineheux, directeur des achats vifs du groupe Bigard et président de la commission jeunes bovins du SNIV-SNCP. Nos produits leur conviennent. Le débouché de nos jeunes bovins se situe d'abord là. Et si les Italiens produisent moins de taurillons, nous pouvons imaginer leur vendre davantage de viande. Nous regardons aussi les pays tiers mais des marchés comme la Turquie ou l'Algérie ne sont pas assez solides pour imaginer mettre en place des animaux chez des éleveurs. »
UN TRAVAIL DE CONQUÊTE À LONG TERME
Le représentant du leader français de l'abattage reste prudent vis-àvis des pays tiers. Et il n'est pas le seul. « Nous partageons les mêmes règles sanitaires et la même monnaie que nos partenaires de l'Union européenne, souligne Bruno Colin, président de la section bovine du pôle animal de Coop de France. Avec les pays tiers, c'est différent. Nous avons réussi à quadrupler nos ventes en Algérie et en Tunisie mais les volumes en jeu ne sont pas du même niveau qu'avec l'Italie ou l'Allemagne. Les pays tiers ferment leurs frontières aussi vite qu'ils les ouvrent. C'est le cas de la Turquie. Le problème de parité des monnaies pèse sur notre compétitivité. »
Certes ces marchés hors de l'Union européenne restent difficiles d'accès et aléatoires mais certains ont du potentiel. « Et il est important, martèle Dominique Langlois, en reprenant sa casquette de dirigeant de SVA et de président de la Fédération des industries et du commerce en gros des viandes (FNICGV). J'ai la conviction que nous pouvons être des acteurs du marché international de la viande bovine, notamment avec nos jeunes bovins. »
Les marchés visés, essentiellement le pourtour méditerranéen, sont des pays en devenir. « Ils ont des besoins, confirme Pierre Richard, directeur de Deltagro. Leur pouvoir d'achat augmente. Leur consommation de viande va progresser. Ce sont des marchés à venir pour le vif comme pour les carcasses. La Turquie est le plus important et le seul capable d'absorber ce que nous perdons sur l'Italie. » Restera à y trouver une place. Ce ne sera pas facile, surtout si le prix reste le critère de choix. Comme au Maroc, qui se fournit en Espagne avec des jeunes bovins produits avec des veaux achetés en France.
Et la France, justement, ne peut-elle pas consommer davantage de viande de jeune bovin ? « Cela pose la question de la valorisation des taurillons de race allaitante, soulève Bruno Colin. La restauration hors foyer recherche plutôt des premiers prix. Nous devons réinventer un modèle de production pour le marché intérieur et l'exportation. » Quel que soit le marché visé, les éleveurs ne partiront pas seuls à l'aventure. Engraisser, c'est prendre un risque : celui de mobiliser des capitaux et du temps sans connaître les prix auxquels seront vendus les animaux à l'abattoir. La contractualisation, les aides à la mise en place sous forme de prêt et l'accompagnement qu'ils représentent sont des éléments de solution.
Ils permettent aussi à l'abatteur de planifier ses disponibilités. « C'est un moyen de mettre le pied à l'étrier aux éleveurs, considère Philippe Dumas, président du groupe coopératif Sicarev. Mais on ne peut pas se déconnecter du marché. Nous essayons de renfor cer l'engraissement mais nous n'avons pas pléthore de demandes. La future Pac est un élément fondamental. Il faut un signe fort en faveur de l'élevage, qui sera aussi un choix en faveur de l'emploi. Nous avons un vrai risque d'avoir moins de vaches demain. » Et dans ce cas, la question sur le devenir des broutards que l'Italie n'achèterait pas sera beaucoup moins brûlante !