La photo du producteur est sur le panneau, au-dessus du rayon des produits qu'il vend dans la grande surface. Le but de la démarche : créer un lien entre producteur et consommateur. Damien Kuhn, un des créateurs de l'agence Producteurs locaux.com, vend son savoir-faire marketing aux grandes surfaces : « J'ai eu mes premiers contacts avec un centre Leclerc de l'Ouest en 2007. Plus de soixante-dix producteurs livraient le magasin au cours de l'année. Mais personne ne les voyait, malgré quelques photos de qualité médiocre. Nous avons conclu un contrat cadre avec le manager : nous avons repéré les producteurs, leur avons rendu visite et proposé de réaliser des photos qui les valorisent dans leur métier. Nous créons une association pour fédérer les producteurs volontaires dans chaque magasin. Aujourd'hui, nous travaillons avec une dizaine de Leclerc ainsi que d'autres enseignes. La démarche, gratuite pour les producteurs, revient à 739 euros par personne. La qualité de la photo sert de caution à celle des produits. Ces producteurs dégagent un message de proximité, d'authenticité et de solidarité. Sur chaque affiche individuelle, nous inscrivons "merci" et le prénom de l'agriculteur. Nous ne sommes pas un label. Si le producteur ne fait pas son travail, c'est lui qui en pâtit. Le système fonctionne par autocontrôle. Et les commentaires, qui fusent vite sur internet, poussent cet autocontrôle. »

Cette mise en scène de plus en plus répandue des bonnes relations de partenariat entre producteurs et grande distribution repose sur l'intérêt bien compris de chacun. La grande surface répond à la demande de transparence, de proximité. Elle en profite pour tenter d'inverser l'image de grand méchant loup qui lui colle à la peau. Plusieurs enseignes ont lancé des campagnes dans la presse. A l'image des affiches humoristiques et un rien provocatrices des centres Leclerc, qui profitent de l'actualité du mariage pour tous. L'un des couples producteur-gérant de magasin lance : « Ce n'est certainement pas une poule qui va les séparer. » Tandis que l'autre affirme : « Depuis qu'ils ont goûté au fruit défendu, ils sont inséparables. »

GRANDES SURFACES OPPORTUNISTES

La communication des grandes surfaces (GMS) sur leurs bonnes relations supposées avec les producteurs irrite Gilles Piquet-Pellorce, directeur général de Biocoop. Ce printemps, son enseigne a elle aussi mis en avant deux producteurs choisis dans les coopératives adhérentes : « Après avoir tué le monde paysan pendant des années, il était temps que certaines GMS les défendent, plaisantet-il, mi-figue-mi-raisin. Chez Biocoop, le local, la nature et le bio sont dans notre ADN. Notre communication n'habille pas un discours à la mode. Notre campagne avec le visuel "Ce producteur n'est pas une vache à lait" date de 2004. Les agriculteurs ne sont pas de simples fournisseurs. Cela fait vingt-cinq ans qu'ils siègent à notre conseil d'administration. Nous avons aidé à créer et accompagné des filières bio, participé au financement de silos ou d'ateliers de charcuterie. La diffusion de nos messages "Paysan par vocation, Biocoop par conviction" a du sens. Et nos campagnes restent mesurées et ciblées.

MADE IN FRANCE

Les industriels de l'agro-alimentaire surfent également sur cette tendance du « produit chez nous ». Parce qu'elles incarnent mieux qu'un grand discours la traçabilité, des photos de producteurs sont apparues sur les pots de yaourts Danone ou les briques de lait Candia. Avec un message clair : si l'éleveur s'affiche, c'est qu'il garantit la qualité du produit. Un message vite enregistré par les consommateurs, à l'heure du scandale de la mélamine dans le lait chinois. Une démarche identique avait été lancée avec les poulets, après le scandale de la dioxine. Les photos sont aussi l'occasion de parler du « made in France », au moment où la mondialisation fait craindre pour la qualité et l'emploi.

Franck Lecêtre est chef de groupe marketing chez Lesieur : « Les photos d'agriculteurs dans la campagne “Fleur de Colza” sont l'aboutissement d'une démarche interne. Nous avons relancé le produit en 2011 grâce à l'engagement de mille agriculteurs de notre territoire. Nous y travaillons depuis 2004. C'est transparent, clair : les agriculteurs s'engagent à respecter notre cahier des charges et Lesieur à valoriser leur métier. Si, sur les grands affiches, nous avons opté pour un acteur qui incarne l'agriculteur, sur les bouteilles d'huile, les photos sont celles des producteurs. Cette proximité rassure le consommateur. De plus en plus de GMS nous réclament des produits mentionnant l'origine et la proximité. Les agriculteurs qui témoignent au dos des bouteilles ou sur les vidéos du site sont fiers de leur métier et du résultat de leur travail. »

ATTIRER LES JEUNES

Les interprofessions se sont aussi lancées dans la communication axée sur les producteurs. Les « modèles » sont plutôt jeunes, souriants et visiblement fiers de leur métier. A l'image de la campagne « AOP Saint-nectaire, une affaire de femmes », qui s'est glissée dans TV magazine et Femmes actuelles ce printemps. Deux jeunes productrices bien dans leurs baskets présentaient un saint-nectaire en couverture d'un encart publicitaire de quatre pages. L'une, Marylène, est installée dans un Gaec du Cantal, l'autre, Aurélie, exploite dans le Puyde-Dôme, respect des susceptibilités départementales oblige. « Choisir les deux représentantes n'est pas aisé. Nous cherchions des jeunes, des femmes dynamiques, d'accord pour la photo, mais pas des stars. Des femmes qui expriment vis-à-vis des jeunes que l'on peut gagner sa vie dans ce beau métier », explique Patrick Chassard, lui-même producteur et président de l'Interprofession du saint-nectaire. Cette campagne a atteint son but. Elle devrait être reconduite cet automne avec deux autres jeunes femmes à l'affiche. Il ne s'agit pas seulement d'attirer le chaland avec des portraits d'agricultrices avenantes : 90 % des producteurs fermiers dans les 243 exploitations concernées sont des femmes.

Les producteurs en vente directe ont également utilisé la photo pour animer leurs magasins. Ils ne sont pas à chaque instant derrière les rayons. Ils utilisent la photo et la vidéo pour rassurer leurs clients et créer une ambiance chaleureuse dans des boutiques souvent situées en zones commerciales.

Depuis 2006, certains agriculteurs apposent leur photo et la marque collective « Le petit producteur » sur leurs emballages livrés aux commerces. Ils reversent une commission à l'entreprise détentrice du logo et restent propriétaires de leur image. Quatre cent cinquante agriculteurs donnent ainsi leur adressse et photo comme gage de la qualité de leurs produits. Apposés à l'origine sur des fraises, ces logos se trouvent aujourd'hui sur de nombreux fruits et légumes, des produits laitiers et récemment de la viande.

LE VRAI ET LE FAUX

Mais ne risque-t-on pas la saturation ? Le consommateur attribue aux produits locaux beaucoup de vertus : consommation responsable, faible empreinte écologique, qualité garantie, petits producteurs, antimondialisation, création de liens, soutien de l'emploi local. Alors attention aux retours de bâton en cas de déception. L'utilisation des photos doit être maîtrisée par les producteurs : dans les points de vente collectifs bien délimités, cela permet de dire qui fait quoi. Les photos ont du sens quand le producteur n'est pas là. Dans les GMS, il faut voir au cas par cas. Qui maîtrise la photo, l'affiche ? En grande distribution se pose inévitablement le problème des volumes, des ruptures de stock. Est-ce que l'on enlève la photo du producteur quand il n'y a plus de stock ? N'est-il pas lui-même tenté de fournir à tout prix, y compris en conditionnant la production du voisin ? « Il arrive que des photos de producteurs locaux se balancent au-dessus d'oranges importées ! », constate une conseillère de chambre d'agriculture.

Attention aussi à la lecture de plus en plus pointue et méfiante qu'ont les consommateurs, et plus encore les internautes, des campagnes publicitaires. Plusieurs d'entre elles ont fait les frais de leur approximation : pour avoir utilisé des mannequins à la place des agriculteurs annoncés, une interprofession s'est retrouvée la risée du « Petit journal » de Canal Plus. Autre risque : renvoyer vers des vidéos a parfois pour conséquence de dessiller les yeux des consommateurs qui se rendent compte que le producteur est aussi un conditionneur ou encore que l'exploitation n'a de modeste que la mention portée sur la boîte. En avant donc pour le local et la proximité. Mais si on prétend jouer le jeu de la vérité, mieux vaut éviter de donner de fausses informations.

Sur les produits issus des transformations industrielles (yaourts, huiles...), la crédibilité du message risque de s'épuiser si le produit ne se distingue pas. Le consommateur décrypte vite l'usage purement marketing de la photo. Autre danger : le grand écart constaté par les agriculteurs entre la réalité industrielle ou commerciale et l'offre produit : quand le prix du lait baisse, difficile de sourire sur les emballages. Pour Damien Kuhn, il faut « veiller à l'authenticité et à la légitimité de la démarche. Le risque d'écraser le producteur par la marque du distributeur n'est pas négligeable. » Besoin de transparence des consommateurs, de reconnaissance des producteurs, ces photos répondent à des attentes qui dépassent parfois ces derniers.