L'heure des choix français a sonné. L'été sera studieux : le gouvernement consultera les syndicats avec l'objectif de dévoiler, à la fin de septembre 2013, les nouvelles règles qui régiront les aides Pac à partir de 2015.

La France a obtenu dans l'accord européen tellement de marges de manoeuvre qu'il est difficile, à ce stade, de faire un pronostic des effets sur les systèmes d'exploitation.

Une chose est sûre, le budget global des aides directes (premier pilier) diminue pour la France d'environ 3 % dès 2014, pour s'établir à 7,7 milliards d'euros par an (1). Tous les agriculteurs sont concernés.

Autre certitude, les droits à paiement unique (DPU) disparaissent sous leur forme actuelle pour être redécoupés, à partir de 2015, en trois aides distinctes :

• un paiement « vert »,

• un paiement « redistributif »

• et un droit à paiement de base (infographie n° 1).

Cette métamorphose s'explique par la volonté de l'Europe de répartir plus équitablement les aides entre agriculteurs d'un même pays.

L'idée est que l'écart d'aide à l'hectare entre exploitations françaises se réduise petit à petit pour se rapprocher de la moyenne nationale actuelle, soit 268 €/ha.

C'est la fin progressive des références historiques.

 

 

1. A quel rythme les aides doivent-elles converger ?

L'objectif fixé par Bruxelles est de parvenir, à l'horizon de 2019, à une aide à l'hectare représentant 60 à 100 % de la moyenne nationale (infographie n° 2). Autrement dit, une aide de 161 à 268 €/ha (2).

La France a cinq ans pour y parvenir progressivement. Sur décision nationale, pour les exploitations qui reçoivent plus que la moyenne, la perte d'aide à la fin de la période pourra être limitée à 30 % de leurs aides de 2013 ou 2014 (année de référence à déterminer).

 

 

2. Comment les aides vont-elles être redistribuées ?

Aujourd'hui, nous avons 10 % de couplage et 90 % de DPU sur le premier pilier. Après la réforme, ce sera jusqu'à 15 % de couplage, 30 % pour le paiement vert, jusqu'à 30 % pour le paiement redistributif et jusqu'à 2 % pour le paiement jeunes agriculteurs.

La France peut aussi décider de réserver jusqu'à 5 % de l'enveloppe aux zones défavorisées. Il restera entre 20 et 25 % du budget pour le droit à paiement de base.

• Le paiement redistributif consiste à « surprimer » les premiers hectares d'une exploitation, jusqu'à la surface moyenne nationale, soit 52 hectares en France. Même si cette aide vise à davantage favoriser les petites et moyennes structures, en particulier les élevages, elle concernera tous les exploitants.

Avec la transparence des Gaec, cela représente 14 à 15 millions d'hectares, soit une aide forfaitaire maximale de 154 €/ha (hypothèse où le DPB représente 25 % des 7,7 milliards d'euros du premier pilier).?

• Le paiement vert sera versé en contrepartie du respect de trois pratiques agricoles bénéfiques pour l'environnement: le maintien des prairies permanentes, la diversité des cultures et le maintien de surfaces d'intérêt écologique. Il représentera environ 88 €/ha.

Mais la concertation avec les syndicats devra décider si on reste sur ce montant forfaitaire pour tous les agriculteurs et hectares éligibles ou si l'on préfère l'option différenciée selon l'historique de chaque exploitant.

Cette dernière solution est plus favorable aux grandes exploitations et à celles qui ont un historique élevé. Dans ce cas, la convergence s'applique au paiement vert et pas seulement au droit à paiement de base.?

• Le droit à paiement de base (DPB) se calcule selon la même méthode que pour le paiement vert (forfaitaire ou différenciée). Il s'établira autour de 74 €/ha et sera perçu sur tous les hectares d'une exploitation, y compris les 52 premiers.

• Le coup de pouce pour les jeunes agriculteurs peut prendre plusieurs formes : majoration d'aide de 25 % de la valeur du DPB du jeune ou de 25 % de la valeur moyenne du DPB en France, ou encore une somme forfaitaire.

Les surfaces concernées par cette « surprime » doivent être fixées au niveau national entre 25 et 90 hectares des exploitations concernées. Ce supplément d'aide s'ajoute aux mesures d'investissement en faveur des jeunes déjà disponibles dans le deuxième pilier de la Pac (reste à savoir quel budget leur sera consacré).?

• Certaines productions « fragiles » pourront bénéficier d'aides couplées, dans la limite de 15 % de l'enveloppe du premier pilier (soit 1,155 milliard d'euros), dont 2 % réservés aux protéagineux.

Les autres productions potentiellement éligibles sont : les céréales, les oléagineux, les légumineuses, le lin, le chanvre, le riz, le houblon, la noix, la fécule de pomme de terre, les semences, le lait et les produits laitiers, la viande de mouton et de chèvre, le boeuf et le veau, l'huile d'olive, les betteraves, la canne à sucre, la chicorée, les fruits et légumes, ou les taillis à rotation courte.

Des ciblages particuliers pourront être décidés, par exemple pour favoriser les éleveurs, des productions sous signe de qualité ou certaines régions comme les zones de montagne.

3. Y a-t-il des conditions nouvelles à remplir pour percevoir ces aides ?

Non, pas pour le DPB ni le paiement redistributif. En revanche, le paiement « jeune » est réservé aux moins de 40 ans, installés depuis moins de cinq ans lors de la demande d'aides Pac. Ils percevront l'aide pendant les cinq ans qui suivent leur installation.

Par exemple, un jeune installé en 2013 touchera ce bonus de 2015 à 2018. Pour bénéficier du paiement vert, il faut se conformer au respect des trois mesures suivantes :

Maintien des prairies permanentes (PP) : obligation que le ratio prairies permanentes/SAU (surface agricole utile), déterminé au niveau national (ce sera vraisemblablement le choix français), ne baisse pas de plus de 5 % par rapport à la référence de 2012.

En cas de dépassement global, l'obligation de remise en herbe sera individuelle. Cette tolérance de 5 % ne s'appliquera pas aux PP « sensibles » (exemple : celles situées en zone Natura 2000). Ces prairies ne pourront pas être retournées.

Diversité des assolements : lorsque la surface de terres arables est comprise entre 10 et 30 hectares, il est obligatoire d'avoir au moins deux cultures différentes. La culture principale doit représenter moins de 75 %.

Lorsque la surface de terres arables est supérieure à 30 hectares, il faut avoir au moins trois cultures différentes. La culture principale doit représenter moins de 75 % et les deux cultures principales ensemble, moins de 95 %.

Pour une exploitation ayant plus de 75 % de ses terres arables dédiées à la production d'herbe ou en jachère, et pour laquelle le reste des terres arables est supérieur à 30 hectares, la culture principale sur le reste des terres arables ne doit pas représenter plus de 75 %.

N'est pas soumise à ce critère :

- une exploitation ayant plus de 75 % de sa SAU en herbe, à condition que la surface en terres arables non dédiée à l'herbe soit inférieure à 30 hectares ;

- une exploitation ayant plus de 75 % de ses terres arables dédiées à la production d'herbe ou en jachère, à condition que le reste des terres arables soit inférieur à 30 hectares ;

- une exploitation dont la totalité des terres arables est dédiée à la production d'herbe ou en jachère.

• Surface d'intérêt écologique (SIE) : lorsque la surface de terres arables est supérieure à 15 hectares, 5 % au moins des terres arables (hors cultures permanentes) doivent être des surfaces d'intérêt écologique (SIE). Ce seuil sera augmenté à 7 % si un acte législatif le confirme à la suite d'un rapport que la Commission devra rendre en mars 2017.

La France doit décider ce qu'elle considérera comme SIE à partir de la liste suivante : jachères, terrasses, éléments de paysage, bandes tampons, surfaces en agroforesterie, bandes de terres situées en lisière de forêt, taillis à rotation courte sans fertilisation ni usage de phytos, surfaces boisées, cultures dérobées ou couverts végétaux semés, surfaces avec des cultures fixant l'azote (exemple : légumineuses). Cette liste pourra être complétée par la Commission, à la demande d'un Etat.

Les SIE doivent se situer sur les terres arables de l'exploitation, sauf les éléments de paysage et les bandes tampons qui peuvent être comptabilisés, même s'ils sont adjacents à l'exploitation.

La Commission fixera une grille de pondération que les Etats membres pourront uti- liser afin de déterminer la surface équivalente représentée par chacun des éléments.

N'est pas soumise à l'obligation de SIE :

- une exploitation dont la surface de terres arables est inférieure à 15 hectares ;

- une exploitation ayant plus de 75 % de sa SAU en herbe, à condition que la surface en terres arables non dédiée à l'herbe soit inférieure à 30 hectares ;

- une exploitation ayant plus de 75 % de ses terres arables dédiés à la production d'herbe ou de légumineuses ou en jachère, à condition que le reste des terres arables soit inférieur à 30 hectares.

Le respect de ces règles de verdissement s'ajoute aux règles de l'éco-conditionnalité que l'on connaît aujourd'hui et qui sont reconduites (après adaptation) après la réforme.

Les cartes sont pour l'instant posées sur la table. Selon celles qui seront jouées, les effets sur les productions seront très différents, voire opposés. Quelle vision politique va l'emporter ? Il y en a autant que de syndicats et que de productions (lire encadré).

Mais on sent une ligne politique directrice forte du côté du ministère, qui vise à favoriser l'élevage et l'emploi dans une agriculture tournée vers l'agroécologie. Stéphane Le Foll semble décidé à tenir le cap.

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(1) Il diminue en moyenne de 5 % dans les autres pays.

(2) Tous les montants avancés ne sont pas définitifs. Ils ne tiennent par exemple pas compte de la baisse du budget, de 3 % en 2014 à 5 % en 2019. Ils donnent un ordre de grandeur.

Hectares éligibles aux nouvelles aides

• Année de référence : 2014. Pour éviter toute spéculation, un lien sera établi avec les bénéficiaires du système des paiements directs en 2013.

• En France, tous les hectares sauf la vigne seront concernés. Cela représente environ 26 millions d'hectares (un chiffre stable par rapport à aujourd'hui) pour le paiement vert et le paiement de base. Pour le paiement redistributif, ce sera entre 14 et 15 millions d'hectares.

Attente prudente des règles du jeu françaises

C'est au niveau national que tout va se jouer. Aussi, les syndicats fourbissent leurs armes pour orienter le résultat. La Coordination rurale et la Confédération paysanne (CP) réclament une convergence des aides rapide et totale à l'horizon de 2019. Au contraire, Orama, l'union des grandes cultures, souhaite un rapprochement des aides le plus progressif possible.

La CP et les associations spécialisées en élevage de la FNSEA revendiquent un soutien de l'élevage, par tous les moyens (couplage, convergence, deuxième pilier...). Et JA, qui se réjouit de l'obligation de surprimer les aides aux nouveaux installés, souhaite que l'enveloppe soit utilisée dans son intégralité (2 % des aides directes) et qu'elle soit renforcée par une hausse du montant des aides à l'installation dans le deuxième pilier.

Coincée par toutes les divergences internes, la FNSEA s'est fendue, le 26 juin 2013, d'un communiqué qui ne fâche personne... La veille, son chef de file était pourtant plus critique.

Les chambres d'agriculture appellent quant à elles au « pragmatisme », tant dans l'application d'un verdissement assoupli qu'en matière de convergence. Les associations environnementales, enfin, espèrent que la France saura saisir les leviers disponibles pour s'orienter vers l'agroécologie.

Le deuxième pilier : un outil de réorientation des aides

L'influence du deuxième pilier de la Pac (développement rural) sur les aides aux exploitations est encore plus difficile à évaluer que celle du premier pilier :

- d'une part, parce que la subsidiarité des Etats est plus importante,

- d'autre part parce que les régions vont pour la première fois jouer un rôle plus fort, celui d'autorité de gestion, dont les contours sont encore flous.

Autre incertitude : le budget. Paris peut décider de transférer jusqu'à 15 % de l'enveloppe du premier pilier vers le deuxième et vice-versa. Un glissement des fonds vers le développement rural permettrait notamment de renforcer l'ICHN et le dispositif des mesures agroenvironnementales (MAE) en l'orientant, par exemple, vers des pratiques « agroécologiques », comme le souhaite Stéphane Le Foll.

Ce que l'on peut dire aujourd'hui sans se tromper, c'est que les MAE seront renforcées. Elles devront être complémentaires aux pratiques soutenues dans le cadre du verdissement. Le gouvernement veut créer des MAE « systèmes », qui engageraient l'agriculteur à l'échelle de son exploitation et non plus seulement à celle de la surface (mais les MAE à la surface continueront d'exister en parallèle).

Le ministère travaille à une courte liste de systèmes d'exploitation, comme l'agriculture biologique, les systèmes pastoraux (de plaine ou de montagne), les grandes cultures économes en intrants, ou encore la polyculture-élevage à l'herbe...

Pour chacun, les régions pourront régler certains paramètres, par exemple l'économie d'intrants attendue.

Les agriculteurs devraient avoir à leur disposition une gamme progressive de MAE pour les accompagner quel que soit leur engagement environnemental. Plus les exigences seront élevées, plus le soutien le sera. Et si une MAE système est souscrite collectivement, elle bénéficiera d'une dotation supplémentaire (jusqu'à 30 %), notamment pour intégrer le coût de l'animation.

Autre nouveauté pouvant impacter les aides : le rehaussement du plafond de l'ICHN de 300 à 450 €/ha. Ce qui devrait faciliter l'intégration de la PHAE dans l'ICHN souhaitée par le gouvernement. Une MAE pourrait prendre le relais de la prime herbagère en plaine.