Planter des peupliers, tout raser au bout de vingt ans, et replanter derrière ? « Cela revient à reproduire en forêt ce qu'on fait dans nos champs, mais ça ne me passionne pas », lâche Yves Vuilliot, agriculteur, sylviculteur et technicien forestier indépendant dans l'Aisne. Lorsque ses 140 ha de grandes cultures bio ne l'occupent pas, cet ancien président de l'Anatef (1) est en forêt. Celle de ses clients (quelque 1 000 ha dont les propriétaires, essentiellement des agriculteurs, lui délèguent la gestion) ou la sienne : 8 ha sur sa ferme, auxquels s'ajoutent des parts dans un groupement forestier. Couper, élaguer, dégager les tiges d'avenir : « Tous les ans, il y a quelque chose à faire. La forêt pousse en permanence ; plus je vais y travailler, plus elle va être dynamique. »
Etre passionné n'interdit pas d'avoir un raisonnement économique. Or la recherche de la productivité à tout prix ne dégage pas toujours de la rentabilité. « Il est possible de travailler en forêt en minimisant les coûts sans sortir la grosse artillerie, assure l'agriculteur-sylviculteur. Lorsqu'on fait des coupes à blanc pour replanter des peupliers, au bout du compte, le rendement est peu important, la valorisation pas terrible, et on aura peut-être même fait des dégâts environnementaux en artificialisant le milieu. En plus, on paye à chaque fois le broyage, les plantations, la protection des jeunes arbres... Tandis que si l'on commence par identifier les belles tiges, puis que l'on fait partir les arbres gênants en bois de chauffage, on constitue une nouvelle génération d'arbres à moindre coût. On croit souvent que les plantations représentent la moitié du travail d'un forestier, mais les cas où il est vraiment nécessaire de planter sont très rares ! Le travail de l'homme est essentiel, mais il peut souvent se résumer à aider la nature à s'exprimer. » Pas question, pour autant, de s'interdire les plantations, pourvu qu'il s'agisse d'essences adaptées aux conditions du milieu.
CONSTITUER UN CAPITAL
Pour expliquer sa manière de travailler, qu'il nomme la « sylviculture continue », Yves Vuilliot prend l'exemple d'un troupeau : « Si on abat tous les reproducteurs d'un coup, ce sera compliqué... De la même manière, on doit essayer de préserver le potentiel de reproduction de la forêt. » Une question de patience : au moins, laisser le capital se constituer avant de puiser dedans. « Ce qui n'empêche pas de dégager un petit revenu tous les ans en prélevant du bois de chauffage, souligne-t-il. Ensuite, au lieu d'intervenir tous les vingt ans pour récolter du peuplier, on peut passer tous les 6 à 8 ans pour récolter un volume de bois d'oeuvre moins important mais mieux valorisé, le tout sans entamer le capital. » Une recette qu'il applique à ses propres bois.
De mai à septembre, il laisse sa forêt – et ses habitants – en paix, pour leur permettre de se régénérer tranquillement. Les travaux reprennent à l'automne. « L'objectif de production est de 3m3/ha/an de bois d'oeuvre et 5 stères/ha/an de bois de chauffage, ce qui fait respectivement et chaque année un camion de 24 m3 et 40 stères – assez pour chauffer l'exploitation », résume Yves Vuilliot. Au passage, le chauffage de sa ferme au bois déchiqueté autoconsommé a permis de sérieuses économies : il n'y a plus que le coût du broyage à supporter, soit 600 ou 800 €/an. Pour son bois et celui de sa clientèle, les débouchés sont divers. Le bois-énergie, vendu à des particuliers ou des entreprises, permet de valoriser autour de 25 €/stère les bois de faible valeur, notamment lorsqu'il s'agit d'éclaircir des peuplements. Le Nord-Pas-de-Calais voisin aspire une grande partie du bois-bûche. Pour le bois dur feuillu de qualité, négocié autour de 80 €/m3, seuls les négociants peuvent absorber de gros volumes, souvent pour exporter vers l'Asie. Mais l'inconditionnel des circuits courts, qui transforme ses céréales et oléagineux et vend à des AMAP, réserve toujours une partie de son bois à une scierie locale « pour contribuer au maintien du tissu économique ». Une partie du bois est même transformée sur place par son fils ébéniste. « Pour ma forêt comme pour mes cultures, j'essaie de garder la valeur ajoutée sur place. »
(1) Association nationale des techniciens forestiers indépendants.