Ne leur parlez pas de rendement, ce n'est pas leur priorité ! Rémy et Maxime Heim, qui exploitent 240 ha répartis entre Hilsenheim (Bas-Rhin) et Quemigny-Poisot (Côte-d'Or), ont un seul objectif : la marge nette. « En maïs irrigué, nous nous donnons une cible de 110 à 115 q/ha et nous cherchons à obtenir la meilleure marge dans ce créneau », explique Maxime. A cet objectif de performance économique, les deux frères ont toujours associé la performance agronomique. « Lorsque Maxime a repris l'exploitation familiale de Hilsenheim en 1998, nous nous sommes rapidement remis en question, se souvient Rémy. En effet, la charrue 4 corps était parfois très difficile à tirer avec notre 140 ch alors que notre père la menait à son époque avec 85 ch en deux roues motrices ! De plus, nos rendements plafonnaient. Il y avait urgence à revoir nos pratiques. »

TROUVER LES BONS OUTILS

Rémy et Maxime, qui n'ont jamais suivi de formation agricole, se plongent alors dans les livres d'agronomie et de pédologie. « Avec le recul, ne pas être passé par un lycée agricole a été un atout, constate Maxime. Nous n'avions aucune idée préconçue ni aucun schéma type à reproduire. Nous avons aussi passé beaucoup de temps à étudier ce qui se faisait à l'étranger puis nous avons fait appel à un spécialiste pour réaliser des profils culturaux. » En monoculture de maïs à l'époque, les frères Heim se lancent pour leur première campagne de semis sans labour en 1998. Le premier test s'effectuera en montant un décompacteur à l'avant du tracteur et une herse rotative à l'arrière. « Une belle erreur », ironise Rémy qui se souvient avoir retrouvé la trace des dents du décompacteur deux ans après dans les profils de sol. La deuxième tentative sera la bonne avec un semoir Kuhn équipé pour travailler sans préparation du sol. « Après deux campagnes, nous avons commencé à observer des améliorations sur la structure du sol et la matière organique », note Rémy.

ADAPTER LA FERTILISATION

Alors que les difficultés d'ordre mécanique semblent surmontées, les deux associés doivent faire face à leur premier revers. « Dès la troisième campagne, nous avons rencontré des problèmes avec la fertilisation azotée, se souvient Rémy. En fait, nous avons fait l'erreur de gérer les apports de la même manière qu'en semis conventionnel, mais notre sol avait changé. En semis direct, l'azote minéralise moins vite et sa mise à disposition est plus longue. » En plus de ce problème de timing dans les apports, Rémy et Maxime constatent une sous-fertilisation. « Notre matière organique avait augmenté de 0,2 à 0,3 point mais nous avions omis d'augmenter les unités d'azote dans les mêmes proportions, déplore Maxime. Depuis, nous avons repensé toute la fertilisation azotée. En revanche, les deux pionniers du semis direct en Alsace n'ont pas rencontré de problèmes particuliers pour le désherbage. Leurs traitements restent maîtrisés avec du Roundup en un ou deux passages à 1,5 ou 2 l/ha. Rémy Heim a écarté d'office le désherbage mécanique car il ne veut pas risquer de faire un faux semis. Pour broyer les cannes de maïs, Rémy et Maxime ont testé cette année un déchaumeur Carrier équipé d'un rouleau Cross-Cutter de type Faca à l'avant. « Mais attention, il ne s'agit pas de travailler le sol, même superficiellement, précise Rémy. Les disques du Carrier sont uniquement utilisés pour déchiqueter les tiges et pour donner de la motricité au Cross-Cutter. » Témoin de ce travail superficiel, la peinture des disques est encore intacte après 40 ha.

UN SEMOIR UNIQUE

Forts de leur expérience dans le semis direct du maïs, Rémy et Maxime ont adapté la technique aux semis en ligne lorsque Rémy a repris une exploitation en Côte-d'Or en 2005 puis avec l'arrivée du blé et du soja dans la rotation en Alsace en 2008. « L'idée était d'utiliser le même semoir sur les deux sites, explique Rémy. Notre choix s'est porté sur un SD 4000 Kuhn. » Mais les deux frères veulent simplifier davantage leur système et n'utiliser qu'un appareil pour le maïs et les cultures en lignes. « Une idée qui paraît folle, reconnaît Rémy, mais nous avons testé le SeedHawk, un semoir canadien commercialisé par Väderstad. Pour le maïs, nous escamotons un rang sur trois, ce qui fait que nos graines sont implantées en double rang. » Le SD n'a pas été remisé pour autant. « Il nous sert pour implanter les couverts végétaux à Hilsenheim et surtout pour semer chez nos clients dans le cadre de notre entreprise de travaux agricoles, précise Rémy. En effet, ces derniers préfèrent le rendu visuel du SD plutôt que celui du SeedHawk, même si agronomiquement le raisonnement ne se justifie pas. »

PRIVILÉGIER L'OBSERVATION

Cette dictature de l'esthétisme est le premier frein au semis direct et à la rentabilité, selon les frères Heim. « Le second étant de baser ses interventions sur le calendrier, au lieu de suivre l'évolution biologique du sol et des cultures », poursuit Rémy. Pour preuve, en cette première belle journée d'avril, tous les semoirs monograines de Hilsenheim sont à pied d'oeuvre, sur des parcelles bien préparées. Rémy et Maxime, eux, travaillent encore dans leur atelier. Et nul besoin de relevé cadastral pour identifier leurs parcelles : elles sont recouvertes d'un épais tapis végétal. « Semer maintenant ne sert à rien, martèle Maxime. Les asperges ne sont pas encore sorties, ce qui veut dire que la température du sol est inférieure à 8°. Seulement voilà, l'an dernier à la même époque, tout était semé, alors les collègues se laissent piéger par la dictature du calendrier. » Rémy préfère pour le moment observer ses sols et ses blés en attendant le bon moment pour semer le maïs. Lors du tour de plaine, il montre fièrement l'important système racinaire de son blé. « L'essentiel, c'est la matière organique racinaire. C'est ce que je veux privilégier par rapport au volume foliaire. Je suis satisfait de découvrir une importante colonisation par les vers de terre et d'évoluer sur un sol parfaitement structuré, apprécie Rémy. Finalement, la conservation des sols n'est qu'une affaire de bon sens ».