«J'ai été au départ un laboureur, un de ces vecteurs du transfert de technologie Nord-Sud qui, à partir de l'Europe développée, ont apporté des techniques destructrices de travail du sol, regrette Lucien Séguy. Je n'ai pas pris conscience tout de suite des dégâts qu'elles pouvaient engendrer dans des sols qui sont beaucoup plus pauvres chimiquement que les nôtres et qui sont, surtout, soumis à des contraintes climatiques extrêmement violentes et dont l'impact est important, notamment à cause de la pluviométrie. »
L'ex-ingénieur du Cirad (2) reconnaît avec humilité qu'il a fait une erreur à ses débuts au Brésil, en y important le labour dans des terres fragiles du Cerrado. « Certes, cela a marché les premières années, à tel point qu'un million d'hectares avaient peut-être été entraînés dans cette aventure, mais un critère m'a ouvert les yeux et contraint à un changement de cap radical : au bout de six ans, nous avions perdu la moitié de la matière organique... Un choc ! J'étais sur la voie de la désertification sous 2,50 mètres d'eau... » C'est en observant le système de la forêt primaire, au sud de l'Amazonie, que Lucien Séguy a eu l'idée, au milieu des années quatre-vingt, de construire les fameux SCV, ces systèmes de culture sous couverture végétale permanente, en semis direct. Il avait remarqué qu'une « biomasse monstrueuse » d'arbres parvenait à se développer aussi sur des podzols (des sables blancs acides), qui ne servaient finalement que de support d'ancrage. Ce qui signifiait que le système sol-plante fonctionnait en circuit fermé pour le recyclage des nutriments.
C'est en imitant ce mode de fonctionnement naturel, étonnamment stable, pour le mettre au service de la production agricole, qu'il a bâti les SCV, utilisés sur plus de 10 millions d'hectares au Brésil, en zone tropicale humide. Ceux-ci sont en place à plus ou moins grande échelle aux quatre coins de la planète, dans différents types de sols, de climats et sont appliqués dans une grande variété de systèmes de production (mécanisés ou non), depuis les cultures tropicales comme le coton, le riz..., jusqu'aux grandes cultures : le soja, le maïs, ou le blé.
QUAND LES PLANTES TRAVAILLENT POUR VOUS
Lucien Séguy estime, après plusieurs décennies de mise en oeuvre, avoir « apporté la preuve », résultats à l'appui, que la généralisation des SCV était possible, dès lors qu'on en respecte les grands principes : couverture permanente du sol avec des plantes associées aux cultures (judicieusement choisies pour leurs fonctions désherbantes, fertilisantes, répulsives et assainissantes vis-à-vis des ravageurs, agents pathogènes) ; suppression du travail mécanique, même en surface ; diversité d'espèces dans la rotation et en accompagnement des cultures. Avec les SCV, certaines fonctions, autrefois assurées par le travail du sol, sont prises en charge par les systèmes racinaires profonds des plantes de couverture, qui créent de la macroporosité et du drainage. Ceux-ci se comportent comme des pompes biologiques, allant puiser des éléments nutritifs et de l'eau qui sont hors de portée des cultures en système conventionnel, pour les véhiculer vers la partie aérienne. Aux outils mécaniques et à la chimie fossile se substituent les outils biologiques que sont les couverts et les produits de l'écologie microbienne (bioproduits, biostimulants, mycorhizes...) « Une véritable ingénierie écologique », résume-t-il.
Pour mettre toutes les chances de son côté, Lucien Séguy insiste sur un certain nombre de préalables avant l'introduction des SCV, relatifs à la santé du sol et à sa propreté. Il faut notamment que celui-ci soit bien équilibré en éléments chimiques et en pH. « Si ce n'est pas le cas, il faut le corriger avant. Même chose sur le plan physique, en faisant sauter d'éventuelles semelles de labour. » Autre point très important à ses yeux : « Il faut que la surface du sol soit parfaitement plane, sans écart de relief à courte distance, pour que le semoir puisse travailler au mieux. » Les adventices vivaces doivent également être éliminées et il faut s'assurer que le drainage du sol est efficace, sans quoi ce dernier ne portera pas les machines. « C'est pourquoi, il est important de créer rapidement, via les couverts, une trame racinaire importante, capable par son élasticité de tenir l'ensemble du profil, sans qu'il n'y ait de dommage pour la surface. »
«CHIMIE MINIMUM»
Grâce au petit réseau qu'il anime en France (dont fait partie Jean Claude Quillet, lire en page 40), Lucien Séguy dispose de chiffres qui montrent une nette diminution des charges opérationnelles (souvent entre 30 et 50 %), particulièrement sur le poste phytos, ainsi que sur les charges de carburant, sans perte de productivité. « On accumule de la fertilité d'origine organo-biologique, la vie des sols est “boostée” et les cultures nécessitent moins de protection phytosanitaire. En cultivant en SCV, on enrichit les sols en matière organique, en azote, en potasse, en phosphore, c'est quand même assez rare ! »
Les SCV étant des systèmes à « chimie minimum », Lucien Séguy souhaiterait qu'ils puissent bénéficier en France d'un label, car les « aliments, les eaux et les sols sont propres ». Pour cela, il faut apporter les preuves et choisir des indicateurs admis par tous. Il y travaille...
(1) En zone tropicale humide. (2) Centre de coopération international en recherche agronomique pour le développement.