« L'allotement permet d'adapter la ration aux besoins physiologiques de la vache selon son stade de lactation, souligne Jean- François Delattre, d'Avenir conseil élevage. L'intérêt est aussi économique : on peut travailler sur le coût alimentaire de chaque lot. »
TROIS LOTS
Jean-Michel Picard, polyculteur-éleveur à Amel-sur-l'Étang (Meuse), avec Marc Samson et Philippe et Claude Arquevaux, en est conscient. Depuis quatre ans, il sépare ses 180 prim'holsteins en trois lots. La conduite est intensive, avec une production moyenne de 9 600 kg par vache. « Je travaille en ration complète, souligne-t-il. Je suis passé à trois lots en 2009. Le prix du lait s'était effondré. Je voulais faire des économies sur les concentrés mais aussi sur les fourrages. Désormais, je nourris mieux les vaches en début de lactation. » Elles sont réparties dans trois stabulations à logettes, construites côte à côte. Elles migrent de l'une à l'autre selon leur niveau de production.
Trois rations. Les vaches du lot 1 produisent plus de 40 kg de lait en moyenne et certaines montent à 60 kg. Leur ration se compose de 21,5 kg d'ensilage de maïs, 13,5 kg d'ensilage d'herbe, 6 kg de maïs épi, 3,5 kg de correcteur azoté à 42 % de MAT et 2 kg de concentré à base de lin. Les vaches du lot 2, qui oscillent entre 33 et 35 kg de lait, bénéficient de 16 kg d'ensilage de maïs, 21,5 kg d'ensilage d'herbe, 6 kg de maïs épi et 2,9 kg de correcteur azoté. Enfin, la ration du lot 3, qui tourne à 20-25 kg, se compose de 11 kg d'ensilage de maïs, 28 kg d'ensilage d'herbe, 4 kg de maïs épi et 1,5 kg de correcteur azoté. Les trois lots reçoivent également 6 kg d'ensilage de céréales immatures, 5 kg de drêches de brasserie, 0,5 kg de foin, 250 g de minéral (5/25/5) et 40 g de sel.
« Je force sur le maïs pour le lot 1, afin d'apporter davantage d'énergie en démarrage de lactation. J'ajoute un aliment du commerce à base de lin extrudé, très énergétique. Dans le lot 3, la ration de base contient peu d'ensilage de maïs, beaucoup d'ensilage d'herbe et très peu de correcteur azoté. L'herbe est fauchée tôt, alors qu'elle n'est pas épiée, afin de bénéficier de beaucoup d'azote soluble. L'ensilage de blé immature restructure la ration en apportant des fibres. Je peux ainsi diminuer l'apport d'ensilage de maïs, qui coûte plus cher à produire. » La ration du lot 3 étant moins dense, « les vaches arrivent sans excès de gras au tarissement, note Olivier Pasquier, conseiller à Optival. Elles ont une note d'état de 3,5 alors qu'elles étaient plutôt à 4,5 auparavant... »
Jean-Michel aurait pu opter pour une ration semi-complète associée à un Dac. Mais pour lui, ce choix n'était pas pertinent. « On concentrerait la ration avec des complémentaires. Alors qu'avec trois rations complètes distinctes, je la reconcentre avec des fourrages produits sur l'exploitation. » « En passant à trois lots, la quantité de concentrés consommés est passée de plus de 2 tonnes par vache à 1,6 tonne, précise Olivier Pasquier. En parallèle, la production a progressé de plus de 500 kg de lait. Certaines vaches dépassent désormais 50 kg par jour. »
Chez Jonathan Zehr, de la SCL Fontaine lactée, à Haut-Clocher(Moselle), les 180 prim'holsteins sont également séparées en trois lots. « Je devais faire plusieurs mélangeuses pour les alimenter. J'en profite pour élaborer trois rations différentes. » La part d'ensilage d'herbe dans les fourrages grossiers passe de 35 à 50 %, puis à 70 %, et l'ensilage de maïs diminue en proportion. « Je fais varier les aliments grossiers et les concentrés. C'est un choix pour faire plus de lait avec moins de concentrés ! »
Un peu de pâture. Jean-Michel comme Jonathan sortent une partie de leurs vaches sur quelques hectares de prairies à proximité. Chez le premier, elles disposent de 7 ha d'herbe. Le lot 1 ne sort pas du tout. Le lot 2 sort pendant 6 heures en journée, d'avril à septembre. « Les vaches ont la panse déjà pleine, elles ingèrent peu d'herbe. » Le lot 3 passe la nuit dehors. « C'est lui qui profite de la pousse. Au printemps, 20 à 25 % de la ration sont apportés par la pâture. » Sur cette parcelle, le chargement est élevé, avec 60 à 80 vaches en permanence, soit à peine 10 ares/VL. Jonathan lâche le lot 3 toute la journée et le lot 2 sort 4 heures par jour. Quant au lot 1, il ne met le museau dehors que s'il fait très chaud. « Sans lot, je ne les sortirais pas du tout, pour éviter de perdre trop de lait sur les fraîches vêlées. »
La production détermine le changement de lot. Les éleveurs font le point une fois par mois, après réception des résultats du contrôle de performances. C'est avant tout le niveau de production qui détermine le passage d'un lot à l'autre. Mais pas seulement. « Les vaches restent en moyenne quatre mois dans le premier lot, détaille Jean-Michel. Elles passent dans le lot 2 quand elles produisent moins de 38 kg de lait, et dans le lot 3 lorsqu'elles sont à moins de 27 kg. S'il faut faire de la place dans le bâtiment, il m'arrive de transférer des laitières qui sont encore à 40 kg. J'adapte alors la ration du lot 2 pour remonter le niveau de production, en ajoutant 1 kg d'aliment à base de lin extrudé. Je raisonne aussi en termes de remplissage de la salle de traite : j'évite qu'il n'y ait qu'un animal ou deux au dernier passage ! »
Après le transfert, la production peut diminuer. « Si certaines vaches chutent de quelques kilos, d'autres restent stables », tempère Jean-Michel. Aucun des deux éleveurs ne note de problème de transition alimentaire, les rations des différents lots étant basées sur les mêmes aliments. Côté stress, rien à signaler non plus. Jean- Michel prend néanmoins quelques précautions. « Je ne transfère jamais une vache seule dans un autre bâtiment. J'en change 6 à 10 d'un coup. »
La surveillance se concentre sur les deux premiers lots. Dans le lot 1, les éleveurs sont vigilants vis-à-vis des maladies du post-partum, ainsi que de la cétose et de l'acidose. C'est aussi le lot des premières chaleurs. Dans le lot 2, il faut encore veiller aux retours. En revanche, pour le lot 3, la vigilance peut se relâcher : ni maladies métaboliques ni inséminations. « Ce sont des femelles pleines qui vont être taries, ou des vides qui partiront à la boucherie ! », relève Jonathan.
« Passer à trois lots occasionne peut-être 10 à 20 minutes de travail en plus lors de la traite, quand il faut ramener les différents lots et bouger les barrières, estime Jean-Michel. Quant au temps consacré au tri, passer en revue les résultats de chaque vache fait partie de mon travail » « La gestion par lots est facile, juge pour sa part Jonathan. Je les vois en images. De plus, mes associés et moi voulions avoir à peu près la même charge de travail sur l'année. C'est plus monotone mais plus facile à gérer, surtout sur une grosse exploitation. »
Dans les prochaines années, Jean- Michel table sur une hausse de la production, en portant les effectifs à 240 vaches pour remplir les trois stabulations. « Dans ce cas, pourquoi pas un quatrième lot, en divisant un des trois bâtiments ? »