Depuis deux ans, les produits de bio-contrôle bénéficient d'une réelle dynamique et d'un vrai soutien politique. « Ça bouillonne sur le sujet ! », confirme Paul Héry, directeur marketing chez Goëmar. Ces produits suscitent de plus en plus d'intérêt auprès des firmes phytosanitaires, des instituts techniques et des agriculteurs. En septembre 2012, le ministère de l'Agriculture constatait une hausse de 22 % du nombre de produits commercialisés pour ces usages. Le chiffre d'affaires des produits de bio-contrôle représenterait à ce jour 3 % du marché des produits phytos (source Philagro).
En France, le plan Ecophyto 2018 a mis en lumière ce type de produits, qui privilégient l'utilisation de mécanismes et d'interactions naturels. En avril 2011, un rapport du député Antoine Herth (Bas-Rhin) soulignait l'importance de la « promotion de ces méthodes dans la stratégie générale pour une agriculture durable moins dépendante des produits chimiques ». Sur cette base, une feuille de route bio-contrôle a été adoptée en octobre 2011, avec douze mesures à mettre en oeuvre dans les deux années à venir. Objectif : encourager les agriculteurs à utiliser les pratiques de bio-contrôle ; promouvoir l'innovation pour le développement de nouvelles techniques sûres et efficaces ; favoriser la mise sur le marché de ce type de produits ; mieux informer les professionnels et suivre le développement de ces usages. Cette feuille de route s'est ensuite concrétisée, en octobre 2012, par la signature d'un accord cadre pour le développement des stratégies de bio-contrôle en agriculture, entre les ministères de l'Agriculture et de l'Ecologie et 22 partenaires (instituts techniques, distributeurs, OPA et l'Inra). Dans la foulée, s'est aussi créée l'Académie du bio-contrôle et de la protection intégrée pour améliorer les connaissances des agriculteurs, des conseillers de chambres d'agriculture et des distributeurs. Ces derniers devront, à compter du 1er octobre 2013 dans le cadre du nouvel agrément phytos, proposer « des solutions alternatives de lutte contre les organismes nuisibles lorsqu'elles existent ».
AU COeUR DE LA PROTECTION INTÉGRÉE
Lors d'une table ronde organisée par IBMA France le 14 février, les professionnels du secteur ont insisté sur le fait que le bio-contrôle était avant tout un moyen complémentaire pour protéger les cultures. Tous appellent à placer les produits de bio-contrôle au coeur de la protection intégrée. « De toute façon, rappelle Emmanuelle Soubeyran, chef de projet du plan Ecophyto à la DGAL, c'est bientôt une obligation réglementaire. En effet, la directive européenne 2009/128 exige l'application des principes généraux de la lutte intégrée contre les ennemis des cultures au plus tard le 1er janvier 2014. »
Pour que ces produits se développent, il faut améliorer la connaissance individuelle des techniciens de la distribution et des conseillers de chambres d'agriculture : « Les formations sur le biocontrôle ont fortement augmenté », note Yves François, de l'APCA. Autre condition au déploiement de ces produits : l'accélération de l'innovation et de l'expérimentation. Arvalis va déléguer un ingénieur pour identifier plus systématiquement les innovations dans le biocontrôle et améliorer l'évaluation de ces produits. Car s'ils sont déjà utilisés en cultures fruitières et légumières, l'offre en grandes cultures est encore peu riche. « Mais on observe une dynamique nouvelle », assure Nathalie Verjux, d'Arvalis.
Les grandes firmes phytosanitaires se sont engouffrées dans la brèche et ont récemment déboursé des millions d'euros pour acquérir des sociétés spécialisées dans le biocontrôle. Une façon pour ces multinationales d'élargir leur offre de produits innovants, aux côtés des solutions conventionnelles, et d'aller plus vite dans les recherches qui sont très pointues.
UN SECTEUR STRATÉGIQUE POUR LES FIRMES
Ainsi Bayer CropScience a acquis en juillet 2012, pour 425 millions de dollars, la société américaine AgraQuest et, plus récemment, l'allemand Prophyta, pour développer des solutions de biocontrôle à base de microorganismes avec lesquels « il y a un potentiel extraordinaire ». La firme a mis sur le marché un produit bactérien pour lutter en traitement de sol contre les nématodes de la carotte, pour lesquels il manque des solutions chimiques. « Les produits de biocontrôle répondent à une vraie demande du monde agricole », estime Remy Courbon, directeur marketing et services chez Bayer CropScience, qui souhaite « devenir le leader dans la fourniture de solutions agricoles intégrées ». « Notre enjeu est de proposer, dans les cinq à six années à venir, des produits sur grandes cultures (fongicides, antilimaces...), dévoile Remy Courbon. Nous travaillons aussi sur des traitements de semences en betterave et maïs à base de Bacillus. Mais il faut encore voir quelle est l'efficacité réelle de ces produits pour l'agriculteur et le coût. »
De son côté, Syngenta a fait l'acquisition, en septembre dernier, de la firme américaine Pasteuria Bioscience pour développer des nématicides biologiques sur betteraves, maïs, céréales et légumes grâce à la bactérie Pasteuria ssp., présente à l'état naturel dans le sol. Le groupe suisse a également conclu un accord commercial en octobre dernier avec Novozymes pour un fongicide bactérien biologique, qui devrait être employé sur un large éventail de cultures comme le blé, le soja ou le maïs.
BASF n'est pas en reste avec l'acquisition, fin 2012, de Becker Underwood pour 1,02 milliard de dollars, afin de développer des traitements biologiques de semences. « Nous avons une vision plus large de la protection des plantes depuis plusieurs années, souligne Bertrand Debret, directeur technique chez BASF Agro. Il y a une place pour le biocontrôle dans les itinéraires culturaux mais tout dépend de la régularité de l'efficacité des produits. »
De façon plus modeste, des firmes comme De Sangosse, Philagro ou Goëmar sont bien présentes sur ce secteur. Cette dernière ouvre un nouveau centre de recherche et développement qui est axé sur le biocontrôle et la nutrition innovante. Objectif : développer des biopesticides à base d'extraits d'autres algues que la laminarine (lire p. 38), de microorganismes... Quant à De Sangosse, elle compte accélérer ses projets de recherche pour proposer des « combinaisons de solutions conventionnelles et de biocontrôle », notamment en grandes cultures. La firme est le chef de file du projet Neoprotec labellisé dans le pôle de compétitivité Agrimip. « Mais il est très compliqué d'intégrer les produits de biocontrôle dans les programmes de traitements classiques car le fongicide de synthèse ne doit pas annuler l'efficacité du biopesticide », insiste François Rollin, directeur des affaires techniques et réglementaires. La société travaille aussi à la recherche de « bioherbicides » à partir d'extraits de plantes, de microorganismes. « C'est un gros chantier, et on n'en est qu'aux balbutiements. »
Bref, le secteur est en pleine construction et il doit montrer sa capacité à prendre des parts de marché et à convaincre les agriculteurs grâce à la régularité de l'efficacité des produits, leur simplicité de mise en oeuvre et leur coût compétitif.