Equilibrée, juste, équitable, égalitaire… Chacun y va de son adjectif pour qualifier ce que devra être la Pac après 2013. Une chose est unanimement admise, le rééquilibrage des aides – en tout cas un certain rééquilibrage – est nécessaire.

« C'est une question de crédibilité à long terme pour la Pac », assurait encore, le 7 septembre 2012, Dacian Ciolos à la presse espagnole. « Pour les pays qui vont perdre, ce n'est pas facile », admet le commissaire européen. Si l'Espagne n'est pas de ceux-là, la France est bel et bien concernée.

La convergence européenne

Un premier rééquilibrage doit s'opérer au niveau européen. La convergence des aides à l'hectare entre Etats membres est un sujet essentiellement politique. Dans un contexte économique difficile, chacun fait ses comptes et l'intérêt national reste un objectif majeur, quoique inavoué.

La Commission européenne a défini les règles du jeu : il faudra attribuer aux pays de l'UE-12, un budget national qui permette de combler d'un tiers, l'écart entre la moyenne européenne et les paiements, dans les pays où ils sont inférieurs à 90 % de cette moyenne.

Pour Hervé Guyomard, directeur scientifique à l'Inra, cette redistribution des fonds en faveur des nouveaux entrants (adhésions en 2004 et 2007) est « modeste ». Ce serait l'affaire de quelque 738 millions d'euros. Compte tenu des pressions politiques exercées par les Douze, Pologne en tête, on aurait pu s'attendre à pire…

Louis-Pascal Mahé, professeur émérite à l'Agrocampus de Rennes, voit les choses sous un autre angle : celui du niveau de vie. « Il n'y a aucune raison d'aligner immédiatement les paiements, alors que les niveaux des coûts et des rémunérations diffèrent grandement d'un pays à l'autre, à cause des écarts de PNB par tête (inférieur dans l'UE-12 à la moitié de l'UE-15).

Le rapprochement ne peut être que progressif et calé sur le rythme de convergence des PNB par habitant, avec un éventuel coup de pouce pour les pays de l'Est, pour éviter de bouleverser les marchés des facteurs (terre, travail, capital) et de créer des rentes indues. » Dès lors, il juge la proposition de Bruxelles « raisonnable ».

L'uniformisation en France

La convergence interne des taux d'aides sera encore plus sensible pour la France, car le projet de la Commission prévoit, dans chaque Etat membre, une uniformisation du futur paiement de base à l'hectare (lire l'encadré).

 

En France, les références historiques pour fixer les aides doivent disparaître, en passant de 50 % en 2014 à 0 en 2019 dans la part du paiement de base. « Ce sera pour nous plus difficile que d'autres pays, car nous avons de grandes disparités entre les productions et les régions », prévient d'ores et déjà Stéphane Le Foll.

 

Le rythme et les modalités de la convergence seront deux points délicats de la négociation pour Paris. D'autant que, plus le budget de la Pac sera réduit (lire l'encadré), plus les réticences internes à l'uniformisation seront fortes.

Pour l'heure, les syndicats sont plutôt silencieux. Attendent-ils que les négociations européennes avancent, ou est-ce la perspective des élections aux chambres d'agriculture de janvier 2013 qui les retient ?

Mais il va falloir se positionner. Car après le temps européen, viendra le temps des arbitrages internes. Le premier se fera entre une uniformisation du montant du paiement de base à l'échelle du pays ou à celle de zones géographiques plus fines.

• A l'échelle du pays, les simulations de l'Inra montrent que les régions extensives d'élevage (Franche-Comté, Auvergne…) sortiraient largement gagnantes, comme lors du bilan de santé de la Pac de 2008.

En revanche, les exploitations basées sur des modèles plus intensifs (lait avec maïs fourrage et jeunes bovins dans l'Ouest, maïs grain irrigué en Aquitaine…) seraient largement perdantes.

• En appliquant une uniformisation régionale ou départementale, il faudra faire un autre choix : conserver les enveloppes actuelles ou redistribuer préalablement les fonds entre régions.

Toujours selon l'Inra, cette seconde option provoquerait des redistributions entre agriculteurs d'autant plus intenses que la zone considérée est hétérogène. C'est pourtant l'option défendue par le Comité des Régions de France ou par des régions plus homogènes comme la Bretagne ou la Normandie. Le gouvernement ne s'est pas encore prononcé clairement, mais il ne semble pas favorable à une régionalisation.

Eviter les luttes intestines

National ou régional, il faudra aussi définir quels sont les hectares éligibles. Autrement dit, va-t-on doter de paiements de base à l'hectare les cultures pérennes (vignes, vergers…) et les parcours ?

Quel que soit le scénario, Louis-Pascal Mahé s'attend à une inégalité persistante entre les agriculteurs. Pour lui, devraient être pris en compte pour l'uniformisation, les autres paiements ciblés du premier pilier (zones défavorisées, PMTVA…), ceux du deuxièmepilier (ICHN, MAE…) et les aides nationales (subventions à l'investissement, aides à l'installation…).

En effet aujourd'hui, « certains élevages à dominante herbagère reçoivent un complément substantiel à leurs DPU plutôt modestes », constate l'auteur du rapport de mars 2012 commandé par le think-tank Notre Europe.

Cela dit, « ces compléments importants dans le cas des productions bovines, ovines et caprines ne permettent pas aux exploitations d'atteindre la moyenne générale des revenus par UTA (unité de travail annuelle) non salariée, ni d'approcher ceux des grandes cultures ou des élevages intensifs ».

Même si l'équité à l'hectare était atteinte, resterait l'inégalité liée à la concentration des exploitations, les aides totales étant proportionnelles à la taille et le plafonnement annoncé sans grand impact.

Les mois à venir seront cruciaux pour l'agriculture française. Les négociations européennes pourraient être bouclées au premier trimestre 2013. En France, le ministre de l'Agriculture a mis en place un comité de suivi de la réforme – européenne puis nationale  - composé des syndicats, des écologistes et des collectivités locales.

Nous saurons dans moins d'un an si l'initiative a permis d'éviter les luttes intestines de 2008. A la mi-2013, la France doit rendre sa copie.

  

 

Des aides directes à cinq étages

Bruxelles propose une nouvelle architecture des aides directes du premier pilier :

• Un paiement de base : solde entre le plafond national annuel et les fonds affectés aux mesures ci-après ;

• Un paiement écologique ou vert : 30 % du plafond national ;

• Un paiement obligatoire aux jeunes agriculteurs : au maximum 2 % ;

• Un paiement facultatif aux zones défavorisées : 5 % au maximum ;

• Aides couplées à des productions spécifiques (facultatif) : 10 % au maximum.

Des incertitudes sur le budget et le rôle des eurodéputés

Après des rumeurs de baisse du budget agricole de 20 à 30 %, la Commission européenne a présenté en juin 2011 une première proposition de cadre financier communautaire global pour la période 2014-2020, qui préservait à peu près l'enveloppe Pac.

De nouvelles rumeurs font aujourd'hui état d'une diminution de 10 à 12 %. Pour le sénateur Jean Bizet (UMP), c'est même très optimiste : « Je n'entends pas suffisamment la voix de la France défendre la Pac. Elle parle davantage des fonds de cohésion (régions). »

Il craint un arbitrage. Un accord définitif est prévu pour la fin de l'année. Les Etats font preuve de bonne volonté, un sommet extraordinaire est prévu les 22 et 23 novembre.

Autre grande inconnue qui pèse sur l'avenir de la Pac : le budget octroyé à chaque axe de la réforme (verdissement, convergence, plafonnement…). Les ministres et les eurodéputés en charge du budget s'immiscent dans la négociation sur le fond.

Pour la première fois, le Parlement européen est codécisionnaire sur le contenu et le budget de la Pac, mais le galop d'essai pourrait échouer. Question de calendrier. En principe, la nouvelle Pac doit entrer en application le 1er janvier 2014 et les eurodéputés ont déposé 7.000 amendements cet été. Question politique surtout.

La réforme de la Pac est conflictuelle. Il y a par exemple fort à parier pour que la Pologne fasse des aides un point de blocage. L'arbitrage reviendra aux chefs d'Etat et de gouvernement.