« S'installer aidé, c'est d'abord se soumettre : le bénéfice des aides à l'installation exige du jeune agriculteur qu'il se conforme à des conditions et décisions », souligne Luc Bodiguel, chargé d'enseignement à l'université de Nantes (1).
La rigidité du cadre légal a de quoi rebuter : capacité professionnelle, âge, surface minimale, engagement sur cinq ans...
« Outre ce profilage, ajoute Luc Bodiguel, le demandeur doit passer sous les fourches caudines d'une procédure bien huilée placée sous le signe de la cogestion agricole traditionnelle, caractérisée par l'alliance entre l'Administration et la profession. »
Une cogestion que l'on retrouve dans le nouveau parcours à l'installation, mis en place en 2009, pour répondre à la diversité des projets agricoles.
Trois ans après son lancement, un bilan s'impose. Attendu depuis plus d'un an, celui effectué par le ministère de l'Agriculture est resté dans les placards après le changement de gouvernement.
La Confédération paysanne s'interroge : « Cela signifierait-il que ce bilan soit trop mauvais pour être rendu public ? »
Les chiffres parlent d'eux-mêmes : « Près des deux tiers des installations se font sans aide de l'Etat », note le syndicat, soit plus de 8.000 sur les 13.243 recensées en 2010 par l'Observatoire installation-transmission, tous âges confondus. On est loin de l'objectif des « 10.000 installations aidées » de 2009...
Attaque et contre-attaque
A qui la faute ? A défaut de réponse des pouvoirs publics, la Confédération paysanne s'en prend au syndicalisme majoritaire. Dans un « Livre noir de l'installation », publié le 5 juin 2012, elle dresse une liste des dysfonctionnements observés au cours de ces trois dernières années dans les départements : manque de transparence, absence de neutralité dans les points info (PII) ou les comités départementaux à l'installation (CDI), irrespect des formalités dans la réalisation des dossiers, accompagnement approximatif des conseillers...
Au coeur des reproches : l'omniprésence du syndicat Jeunes Agriculteurs (JA), qui se serait « accaparé » la politique d'installation. Ce dernier a vite contre-attaqué. François Thabuis, haut-savoyard de 30 ans tout juste élu à la tête de JA, s'est chargé de la riposte lors du congrès de Pontarlier (Doubs), le 7 juin :
« Je veux rappeler à la Confédération paysanne que la légitimité sur le dossier de l'installation ne se décrète pas. Nous n'avons pas à rougir de nos travaux et nous allons nous battre pour continuer à tenir notre rang. »
Camper sur ses positions syndicales n'empêche pas JA de reconnaître les faiblesses du plan de professionnalisation personnalisé (PPP). « Mieux accompagner les porteurs de projet en agriculture rend le dispositif plus complexe, confie François Thabuis. Des améliorations doivent être faites, notamment en ce qui concerne la professionnalisation des conseillers et l'accès au crédit. »
Cagnotte « fourre-tout »
La personnalisation du parcours à l'installation, même laborieuse, appelle un autre chantier : celui de l'accompagnement financier. « Le système actuel de dotation au jeune agriculteur (DJA) et de prêts bonifiés est trop restrictif par rapport aux réalités du métier, constate Joël Clergue, vice-président JA en charge du dossier. Il convient pour certaines productions, pas pour d'autres. En maraîchage, par exemple, les jeunes doivent faire des investissements très importants pour se lancer. Ils ont moins besoin de bonification de prêts que de cautionnement pour pouvoir emprunter plus. »
Dans son rapport d'orientation de 2012, voté le 6 juin 2012, JA estime « indispensable de proposer plusieurs types de financement qui répondent aux besoins de chaque porteur de projet ». Il propose ainsi la création d'une cagnotte « fourre-tout » alimentée par les aides de l'Etat et des collectivités, avec un fonctionnement assez souple pour permettre, au choix du bénéficiaire, une disposition immédiate de trésorerie, un cautionnement ou une bonification de prêts bancaires.
La somme d'argent reçue pourrait par ailleurs être épargnée un temps déterminé pour servir de garantie à un emprunt à taux préférentiel (selon le système de « prêt à effet levier »).
Quant à la DJA, elle serait transformée en une aide à la création et à la reprise d'entreprise – l'Acreja – qui viendrait elle aussi alimenter la cagnotte. « Faciliter le recours à l'emprunt, tout en libérant l'exploitant de la nécessité de constituer des garanties personnelles lourdes et contraignantes, devient aujourd'hui une nécessité, indique Me Bernard Peignot, avocat spécialiste de droit rural. Au demeurant, un tel dispositif devrait reposer sur l'assurance d'un véritable projet d'entreprise performant, librement choisi et responsable. »
Supprimer la SMI
Pour Michèle Roux, en charge du dossier à la Confédération paysanne, « le problème est moins la hauteur du financement que la répartition de l'enveloppe ». En d'autres termes, il vaut mieux diminuer les aides aux investissements et en faire profiter un maximum de personnes.
« Le système actuel exclut des aides les agriculteurs trop âgés ou qui s'installent sur de petites surfaces, avec pourtant des projets solides », déplore Michèle Roux. La solution : supprimer la surface minimale d'installation (SMI), qui ne suffit plus à caractériser la viabilité économique d'un projet. De même pour la limite d'âge de 40 ans, qui néglige notamment les reconversions professionnelles.
Prudent, le gouvernement semble attendre la réforme de la Pac avant de refondre le cadre national de la politique d'installation. Quand il s'y attellera, son plus gros défi sera de convaincre les banquiers de lâcher la bride financière aux futurs agriculteurs, pour leur donner les moyens de leurs ambitions.
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(1) « De la constance des soutiens publics à l'installation », Revue de droit rural, juin-juillet 2012.
Pac 2014-2020 : Un coup de pouce supplémentaire aux jeunes ?
Dans son projet de réforme, Bruxelles prévoit d'octroyer une aide directe aux jeunes agriculteurs (moins de 40 ans au moment de la demande), sous forme d'une majoration de DPU les cinq années suivant l'installation.
Son montant serait calculé annuellement en multipliant 25 % de la valeur moyenne des DPU détenus par l'exploitant par le nombre de DPU activés à l'hectare, dans la limite, pour la France, de 52 ha (surface moyenne des exploitations de l'Hexagone).
Cette enveloppe, tirée du premier pilier de la Pac (aides directes et soutien au marché), s'ajouterait aux aides à l'installation du second pilier (développement rural) et serait obligatoire.
Plébiscitée par JA, la mesure est contestée par une dizaine d'Etats membres – dont la France jusqu'à présent – qui souhaitent garder la main sur ses dépenses. Si la mesure devait être facultative, les jeunes Français auraient à négocier avec leurs aînés pour partager le gâteau.
Expert : Me BERNARD PEIGNOT, avocat au Conseil d'état et à la Cour de cassation
« Adapter les outils juridiques aux activités nouvelles »
« S'interroger sur l'avenir de la politique d'installation, c'est revisiter les principaux outils juridiques existants. Certes, le statut du fermage facilite l'installation des jeunes en les déchargeant du poids du foncier mais il ne paraît plus adapté au développement d'activités nouvelles et diversifiées, venant désormais constituer le coeur de l'entreprise agricole et rurale.
Ne faudrait-il pas envisager une concertation sur la nature des activités développées sur le fonds loué, sur la durée du contrat et sur les conditions de fixation du loyer, afin de mieux prendre en compte le projet d'installation ?
A tous égards, un meilleur équilibre entre bailleur et preneur doit être recherché. Augmenter l'attractivité de la location implique aussi de développer des outils déjà existants, comme le bail cessible, ou de promouvoir de nouveaux outils, comme la mise en place de la location-gérance du fonds agricole, ou bien encore le système de la fiducie.
S'agissant du contrôle des structures, il ne paraît plus adapté à l'évolution de la gestion du foncier dans les territoires, soit qu'il se révèle trop lourd et trop contraignant là où la pression foncière n'a guère de prise, soit qu'il se traduise par un libéralisme excessif lorsque la reprise de l'outil de travail se trouve en jeu.
Aussi conviendrait-il d'envisager plusieurs mesures visant à dispenser certaines opérations de toute autorisation. Par exemple, lorsqu'elles répondent à des critères précis tirés de la superficie, en fonction de la réalité du projet économique, des emplois créés sur l'entreprise, du respect des normes environnementales…
Ou bien lorsque l'installation se fait dans le cadre d'un bail et que l'exploitant répond aux conditions de compétence ou d'expérience. Le contrôle de la politique des structures reviendrait alors, en cas de litige, au juge naturel des rapports bailleurs-preneurs. »