« Pas besoin d'être un crack de l'informatique ou équipé du dernier tracteur high-tech pour se lancer dans l'agriculture de précision », plaisante Arnaud Clomenil.

 

Installé sur 300 hectares répartis entre deux sites distants de 30 km à Saint-Denis-du-Béhélan et Illiers-l'Evêque (Eure), il concentre sa production sur trois cultures : blé, colza érucique et lin textile, avec quelques hectares consacrés au lin oléagineux pour les omégas 3.

Dans ce secteur où la moindre parcelle est issue du regroupement d'une trentaine de microchamps, l'hétérogénité pose un vrai problème pour la conduite de la culture.

« En blé, le rendement peut varier de 40 à 100 q/ha au sein d'une même parcelle, constate Arnaud. J'étais donc obligé de travailler avec une moyenne, ce qui ne me satisfaisait pas. Je me suis dit qu'il y avait mieux à faire en retournant à l'agronomie et à l'analyse de sol. Le concept de la bonne dose au bon endroit est ce qui m'a séduit dans l'agriculture de précision, plus que le guidage dont je n'ai pas un réel besoin. La démarche de Défisol me plaisait et je me suis lancé en 2007. »

Arnaud Clomenil décide de ne pas faire les choses à moitié et de faire réaliser les cartes de potentiel des sols ainsi que les multianalyses comprenant la cartographie du pH, potasse, phosphore, magnésium... Ces analyses sont complétées par des profils de sol et une compilation des photos IGN retraçant l'historique des microparcelles.

« Une fois ces résultats en ma possession, j'établis chaque année mes cartes de préconisation avec l'aide de Défisol, explique l'agriculteur. Il est possible de réaliser soi-même ces cartes mais, compte tenu du prix du logiciel et de ses mises à jour, j'estime que ce n'est pas rentable. En sortant de mon rendez-vous chez Défisol, j'ai toutes mes préconisations sur une carte SD, prêtes à être intégrées dans mon boîtier RDS. Et je peux lancer mes commandes d'intrants. »

Distributeur d'engrais et pulvé adaptés

Commence ensuite l'étape concrète avec l'application des intrants. Pour le distributeur d'engrais, Arnaud Clomesnil s'est équipé d'un Sulky X 36 avec un boîtier RDS dans lequel il insère la carte de préconisations. La partie GPS est assurée par Trimble avec le signal gratuit Egnos.

« Par rapport à un distributeur normal, je n'ai que la barre Trimble à rajouter, précise l'agriculteur. La connectique est simple : il suffit de relier la barre de guidage au boîtier RDS. Une fois que tout est en place, il ne me reste qu'à insérer la carte SD et à commencer l'épandage. La seule différence avec la modulation, c'est que je ne peux plus travailler avec des engrais binaires de type 18/46. Il faut désormais que j'effectue un passage par engrais, ce qui oblige à passer deux fois dans la même parcelle. »

 

 

 

 

Le pulvérisateur a lui aussi fait l'objet d'une mise à niveau puisqu'Arnaud module les deuxième et troisième apports d'azote, ainsi que les fongicides et les régulateurs de croissance. Il a opté pour un Meteor 4100 d'Evrard, avec une rampe de 28 mètres et le dispositif Optispray.

« Ce système utilise deux buses pour l'azote et deux buses pinceaux sur chaque porte-buse. Le traitement commence avec une buse, par exemple à 128 l/ha, puis la seconde buse s'ouvre lorsqu'il faut augmenter la dose pour atteindre 180 l/ha. Ce système permet de travailler à vitesse constante sans se préoccuper de la pression. Dans les fourrières, la seconde buse se coupe automatiquement. »

Comme pour le distributeur d'engrais, la partie modulation est assurée par un boîtier RDS couplé à la barre Trimble. Sur son site d'Illiers-l'Evêque, Arnaud Clomenil utilise un automoteur Evrard qui n'est pas encore équipé de l'Optispray. « Je module alors en jouant sur la vitesse lorsque la pression monte trop. »

Des résultats probants

Cinq ans après sa première campagne de modulation, Arnaud Clomenil a fait procéder à de nouvelles analyses de sol. Et les résultats sont là. « Que ce soit sur le phosphore ou la potasse, l'homogénéisation est bien visible, ce qui était mon but en entrant dans la démarche d'agriculture de précision.

Sur le plan financier, Arnaud Clomenil est aussi très satisfait de la modulation. En 2011, il a économisé 2.500 litres d'azote sur ses 80 hectares de blé. Pour les fongicides et les régulateurs de croissance, les conditions climatiques atypiques de la campagne n'ont pas permis de vraiment valoriser la modulation. Sur la campagne, il estime avoir économisé 5.000 euros pour toute sa surface.

« Avec les multianalyses, les économies ont permis de rentabiliser le surcoût de l'équipement de modulation du distributeur d'engrais dès la première année, précise Arnaud, qui a aussi bénéficié d'une subvention PVE pour les multianalyses. Pour un surcoût en matériel raisonnable, la modulation s'est révélée être la bonne solution face à mes problèmes d'hétérogénéité intraparcellaire. »

Coûts des analyses

• Cartographie de sol avec conductivité : 40 €/ha.

• Multianalyse (K, P, Mg...) : 90 €/ha.

D'autres investissements en projet

Arnaud Clomenil va équiper son pulvérisateur de la coupure de tronçons par GPS. « Mon objectif n'est pas de moduler buse par buse mais par demi-rampe, ce qui sera déjà bien », précise le céréalier.

A terme, il pourrait aussi se lancer dans la modulation au semis mais il faudra pour cela envisager de changer le combiné. En revanche, rien n'est prévu au niveau des tracteurs.

Arnaud Clomenil se félicite d'ailleurs d'arriver à faire de la modulation d'intrants à haut niveau avec des engins de plus de quinze ans, tordant ainsi le cou à une vieille idée qui veut que l'agriculture de précision soit synonyme de tracteur ultraperfectionné.

Du côté de la moissonneuse-batteuse, il testera cette année la cartographie de rendement.

 

La cartographie de rendement en question

 

C'était la grande promesse de l'agriculture de précision. Lancée en 1995, la cartographie de rendement faisait miroiter des gains substantiels à partir des mesures réalisées par la moissonneuses-batteuse.

Le principe était simple : en combinant un capteur de rendement sur l'élévateur et le positionnement GPS, l'ordinateur de bord de la moissonneuse-batteuse établissait une carte de rendement.

Cette carte devait ensuite être utilisée pour moduler les apports d'engrais et de semences.

Près de vingt ans après les premières démonstrations, il n'existe toujours pas de logiciel miracle permettant de transformer les cartes de rendement en carte de préconisation pour moduler les intrants.

Les pionniers qui ont réalisé ces investissements dès la fin des années quatre-vingt-dix se sont tout d'abord heurtés à un mur technique, l'absence de solution pour moduler les doses avec précision sur les semoirs, les distributeurs d'engrais et les pulvérisateurs.

Et maintenant que les solutions techniques existent, il manque toujours l'étape charnière d'établissement de la carte de préconisation. Et surtout, la seule information sur le rendement ne permet pas d'établir de façon fiable une carte d'épandage ou de traitement.

De façon très significative, les agriculteurs qui se lancent dans l'agriculture de précision et la modulation n'utilisent pas les cartes de rendement. Soit ils ne sont pas équipés pour les réaliser, comme Arnaud Clomenil dans l'Eure, soit ils ne pensent pas pouvoir les exploiter en l'état, à l'image de Conrad Waydelin dans l'est de l'Allemagne.

Dans les deux cas, les agriculteurs préfèrent s'appuyer sur des analyses de sol et des profils culturaux pour moduler leurs intrants.

Dans ces conditions, la carte de rendement, qu'il est possible d'établir sans difficulté sur la plupart des machines de haut de gamme, devient une information parmi toutes les statistiques recueillies au niveau de la moissonneuse-batteuse.

« Un outil intéressant pour valider des observations mais qui ne conditionne pas la modulation », insiste Arnaud Clomenil.