Assisterait-on à de nouvelles relations entre le monde agricole et celui de la distribution ? La démarche initiée par une association d'éleveurs de l'est de la France, l'Apal, tend à le démontrer. Cette dernière vient de décrocher des contrats d'approvisionnement en viande de boucherie sur trois ans, avec les centrales d'achat des magasins Leclerc du Grand Est (ScapEst et ScapAlsace). En négociant les prix en direct et à l'année, elle a obtenu 25 à 50 centimes de plus que les cotations habituelles, suivant les catégories. Un tour de force, au regard des relations qu'entretenaient jusque-là les acteurs de la filière. « Cela faisait vingt-cinq ans qu'on se tapait dessus, explique Stéphane Peultier, éleveur à Pierreville, en Meurthe-et-Moselle, et président de l'Apal. Il était temps que ça change ! »
OBJECTIF : 1 000 BÊTES PAR SEMAIN
L'Apal se donne pour mission de « faciliter les relations entre les magasins et les éleveurs voisins ». Avec 900 éleveurs associés engagés dans la filière de la grande distribution et un potentiel de production de 90 000 bêtes de boucherie par an, l'Apal dispose d'arguments de poids pour faire entendre sa voix. Les éleveurs de l'association fournissent aujourd'hui 300 bêtes par semaine à une vingtaine de magasins. « L'objectif est de passer à 1 000 par semaine dans les cinq ans et de dupliquer la démarche vers d'autres enseignes comme Auchan et Intermarché », indique son président, Stéphane Peultier. De belles perspectives d'évolution. Encore faut-il convaincre les patrons de magasins, et dans certains cas les chefs bouchers, qui règnent en maîtres sur leurs rayons.
ESSOR DES MARQUES RÉGIONALES
Si la démarche de l'Apal a vite démarré, c'est que les distributeurs Leclerc cherchaient des producteurs locaux pour garnir leurs rayons et lancer leur marque « Mon voisin le producteur », avec la photo de l'éleveur sur l'emballage. Une initiative dictée par la demande de la clientèle en produits de proximité.
« Les clients ont besoin d'être rassurés sur la qualité de la viande. Ils cherchent également à s'identifier aux produits proposés », explique Adrien Herluison, directeur du Leclerc de Bar-le-Duc (Meuse) et responsable des produits carnés de la centrale d'achat ScapEst. Dans ce contrat, chacune des parties y trouve son compte. « Nous avons levé les barrières entre nous, conclut le distributeur. Mon intérêt est de vendre les bêtes du coin et celui des éleveurs est d'en obtenir un prix rémunérateur. Nous avons un réel besoin économique de nous entendre ! »
Cette nouvelle entente autour du « local » témoigne d'un virage dans les pratiques de la grande distribution. Selon une étude du cabinet Xerfi, publiée en février 2012, « la notion de proximité est devenue une valeur incontournable dans la filière alimentaire ». Le local est désormais un argument de vente et la grande distribution a bien l'intention d'en profiter. En témoignent l'essor des marques régionales dans les rayons, telles que « Produit en Bretagne », « Sud de France », « Bravo l'Auvergne », ou encore les propres marques de distributeurs qui surfent également sur la vague du territoire. « Les distributeurs ont besoin des producteurs locaux pour renvoyer l'image de terroir attendue par les consommateurs. Ils ont tout intérêt à bien les traiter, avec des prix rémunérateurs », souligne Benoît Bouny, directeur du Simply Market de Saint-Gaudens (lire ci-après).
PANNEAUX PVC, « STOP RAYONS » ET ÉTIQUETTES
La viande, les fruits ou les légumes des producteurs « du coin » sont ainsi devenus des produits « tactiques », participant à l'image de chaque enseigne. Des agences spécialisées dans la communication telles que Producteurs locaux, Thomas local concept (TLC) ou Terroirs et équilibres l'ont bien compris. Ils proposent d'assurer le service marketing des produits en magasin : animations dans les rayons, panneaux en PVC à l'effigie d'agriculteurs de la région, « stop rayons » dans les allées, étiquettes personnalisées... Autant d'éléments renseignant la clientèle sur l'identité du producteur. « Les consommateurs ont soif d'informations sur l'origine des produits, explique Damien Kuhn, fondateur de l'agence Producteurs locaux. Nous recréons le lien entre eux et le producteur, via le distributeur. L'objectif est de retrouver l'esprit du marché dans l'hypermarché. »
FAIBLE MARGE ET POUVOIR ATTRACTIF
La grande distribution veut sortir de l'image négative de machine à presser les producteurs, qui lui colle à la peau. Pour certains distributeurs, le « local » est un choix stratégique : faible marge mais pouvoir attractif… Au risque que le distributeur se « rattrape » sur d'autres articles. Tant que l'engouement des consommateurs pour le local sera là, producteurs et distributeurs pourront se retrouver dans ce modèle économique. D'autres ont choisi une démarche résolument militante et ont fait de la rémunération du producteur leur leitmotiv. C'est le cas de la jeune chaîne Ecomiam, qui vient d'ouvrir des magasins de vente de produits locaux surgelés dans le Grand Ouest.
« Un concept de circuit court, sans artifice de marketing, avec des emballages simples et neutres », explique Franck Hamard, directeur d'exploitation. Ecomiam joue la carte de la transparence, tant attendue par les clients. « Nos prix de vente sont calculés en fonction des coûts de revient de chacun, reprend-il. Les clients peuvent retrouver sur l'étiquette la répartition des marges. Les nôtres sont de 15 à 20 %. »
L'émergence de magasins « militants » et le développement des supermarchés à taille humaine sur le territoire illustrent le virage opéré par la grande distribution dans ses rapports aux producteurs locaux. Le monde agricole doit lui aussi s'adapter pour organiser son offre, à l'image des éleveurs de l'Apal.
La satisfaction d'une clientèle de plus en plus exigeante et responsable devient l'objectif commun de la filière. Ce qui semblait jusqu'à présent un simple effet de mode tend à devenir un modèle économique pérenne, où chacun pourrait trouver son compte. Producteurs et distributeurs ensemble, dans le même chariot.