A « La Cueillette de la grange », le panneau est là, très gros, en bord de route entre Brie-Comte- Robert et Coubert, en Seine-et-Marne, à 35 km de Paris. C'est l'hiver, la cueillette est fermée jusqu'à fin mars mais, quand on voit la grande bâtisse qui accueille les scolaires, la serre qui la jouxte pour encaisser les cueilleurs de fruits, légumes et fleurs, et les brouettes sur le bord du chemin, on imagine très bien les jeunes mamans, les retraités, les travailleurs décalés venir en semaine faire « leur marché ». Le week-end, les gens viennent plutôt en famille. « C'est une activité ludique et pratique qu'on pourrait comparer à la balade en forêt, un espace de liberté surveillée entre le parc de loisirs et l'épicerie », analyse avec recul Marc Lemarié, à l'origine de la diversification, il y a 25 ans, de la ferme céréalière et betteravière familiale de 200 ha.
Après avoir travaillé huit mois aux Etats-Unis dans une ferme qui pratiquait la cueillette de fraises, j'ai voulu créer le même atelier sur 2 ha de la ferme familiale, se rappelle l'agriculteur. Un véritable succès en quelques années, sauf que les gens en voulaient davantage. » En 1987, la décision est prise : Marc Lemarié s'installe sur 12 ha et crée des chemins entre les arbres fruitiers, mini-parcelles de fleurs et de légumes en maraîchage extensif (très peu de rotation sur la même parcelle en un an). Aujourd'hui, pour faire face à la demande, le terrain de jeu des cueilleurs s'étend sur 50 ha dont 22,5 ha de légumes, 10 ha d'arbres fruitiers (7 de pommiers, 1 de poiriers, 1 de cerisiers, 1 de pruniers), 6 ha de fruits rouges (3 ha de fraises, 2,5 de framboises, 0,5 de cassis et groseilles), 1,5 ha sous serres (dont 0,6 de fraises hors sol pour éviter le verticillium) et 10 ha d'asperges. « Nous proposons des asperges depuis 2005, mais uniquement à la vente, déjà cueillies, précise Marc Lemarié. La récolte est très technique et malgré des explications, elle l'est un peu trop pour les clients, nous avions trop de pertes au champ. » Pour les autres productions (« tout ce qu'on peut trouver dans un jardin afin de satisfaire au maximum le client »), des panneaux à l'entrée de la bande cultivée précisent la maturité, sa conservation. Les prix sont fixés selon le coût de production et le prix du marché. Néanmoins, à la Cueillette de la grange, un prix moyen est fixé par campagne, sauf pour les primeurs dont le prix peut très légèrement varier en cours de saison. « C'est un repère pour le client qui peut voir le prix du même produit passer de 1 à 3 dans une grande surface d'un jour à l'autre », estime Marc Lemarié.
Outre le prix, les « citadins », puisqu'il s'agit d'eux en majorité, recherchent aussi le goût. « Au départ, il faut éduquer les gens à cueillir de la qualité, après ils reviennent pour ça. Le principe est de laisser le légume mûrir sur pied afin d'avoir le maximum de goût. »
150 CUEILLEURS PAR JOUR
Depuis 2008, un magasin de 600 m2 a été créé et permet au cueilleur de compléter son panier avec des produits de fermiers voisins : volailles, oeufs, fromages, yaourts, huile de colza, bière, miel, moutarde… Aujourd'hui, 10 % des fruits et légumes sont vendus par ce biais. Selon la météo ou le jour de la semaine, les cueilleurs peuvent bouder la sortie comme se retrouver 800 ! Une moyenne de 150 cueilleurs par jour vient « butiner » durant 1h à 1 h 30. « Les plus courageux iront jusqu'au bout du terrain, à 800 m, avec brouettes, sacs et enfants, soit 1,6 km aller-retour », précise Marc Lemarié. Remplir son frigo et faire du sport en même temps, que demande le peuple ? Toujours plus. Toujours plus de légumes ou de fruits différents, même hors saison. Des produits exempts de tous parasites, même inoffensifs. Des recettes et des ateliers pour réussir ses confitures de fraises, des dégustations de pommes pour éveiller les sens. Mais ils viennent aussi chercher du lien, des conseils.
Pour les fidéliser, des mails sont envoyés quatre fois par an au fichier de 8 000 clients afin de les alerter sur la période de récolte de tel ou tel légume. Mais outre les particuliers, 10 000 écoliers sont accueillis chaque année sur la ferme. Autant de portes d'entrée vers leurs parents, futurs clients potentiels. Le bouche-à-oreille fonctionne aussi très bien. « Nous avons beaucoup de turnover parmi notre clientèle, précise Marc Lemarié. Mise à part une cinquantaine de passionnés toujours fidèles, les gens viennent cueillir pendant une période de leur vie où ils veulent transmettre des valeurs à leurs enfants, où ils ont davantage de temps… Mais je ne suis pas inquiet, il y aura toujours des gens à la recherche d'un lien avec la terre pour venir à la cueillette. La mode ne passera pas, c'est un acte naturel, un besoin. »