C'est un projet classique dans le monde agricole : l'EARL de Lauwerie, située à Merris, dans le Nord, souhaite agrandir son poulailler de 126 000 à 277 000 volailles, et construire une nouvelle porcherie à côté de l'ancienne, pour passer de 770 à 1 880 porcs produits par an. Une opération nécessitant l'autorisation du préfet, conformément à la procédure relative aux installations classées.

INFORMER ET RASSURER

A l'occasion de l'enquête publique, qui s'est achevée en septembre dernier, Aldo Massa, commissaire enquêteur, a recueilli les réactions du voisinage de l'exploitation. « Mis à part quelques oppositions de principe, relate-t-il, je n'ai pas rencontré de forts refus. Surtout des inquiétudes sur les risques encourus et les nuisances à prévoir : lieux d'épandage, odeurs, présence des mouches, défilé des camions, impact sur la valeur patrimoniale des habitations alentour... » Pour le commissaire enquêteur, dans une telle situation, « la priorité de l'exploitant est de rassurer les riverains. Son dossier de demande d'autorisation doit être détaillé et pédagogique pour permettre à tous ceux qui le consultent de comprendre les caractéristiques du projet. » Celui de l'EARL prévoit notamment l'achat d'une tonne à lisier munie d'un enfouisseur pour limiter les odeurs lors de l'épandage, ou encore la plantation d'une rangée d'arbres pour dévier le vent.

« L'autorisation du préfet dépend en grande partie de la qualité du dossier, assure Aldo Massa. Le recours à des consultants ou à un bureau d'études compétent peut s'avérer utile. » L'attitude de l'exploitant est également déterminante : « Les agriculteurs doivent aller à la rencontre des gens, informer les non-agriculteurs des techniques utilisées, par exemple pour le séchage des fientes qui empêche la prolifération des mouches. Et, pourquoi pas, accepter de faire visiter son exploitation (lire page 47). »

RESPONSABILITÉ SANS FAUTE

Les rapports de voisinage sont fondamentaux dans ce type de dossier. Même un agriculteur en règle avec les autorités administratives n'est pas à l'abri de poursuites judiciaires ultérieures. Dès lors qu'un agriculteur provoque volontairement un trouble, enfreint la réglementation ou commet une faute par négligence ou imprudence, le voisin victime peut engager sa responsabilité. Mais le régime des troubles de voisinage à ceci de particulier qu'il peut se passer de faute. Un exploitant agissant en toute bonne foi, sans aucune faute ni abus de droit de sa part, peut être reconnu coupable si le préjudice qu'il occasionne à son voisin excède les limites des inconvénients normaux de voisinage.

Comment reconnaître un trouble anormal ? Cette notion n'est pas définie dans les textes. Elle est appréciée au cas par cas par les juges chargés de fixer les limites entre l'inconvénient de voisinage ordinaire, que tout un chacun est tenu de supporter, et l'inconvénient excessif, constitutif d'un trouble anormal. Cette frontière varie selon les lieux et les circonstances. Les nuisances occasionnées par le chant matinal d'un coq ne vont pas être appréciées de la même manière selon que le poulailler se trouve en ville ou à la campagne. De même, pour le tintement des cloches au coudes vaches, suivant que l'on se trouve ou non à la montagne.

LE COQ À LA BARRE

Au regard de la jurisprudence, il est attendu des résidents en milieu rural, qui s'y installent en connaissance de cause, qu'ils supportent certaines gênes inhérentes à la vie à la campagne. C'est ce qu'ont estimé les juges en 2009, en refusant à un retraité qui se plaignait des odeurs de l'élevage de canard voisin, de considérer son trouble comme anormal. D'autant que le plaignant se trouvait être lui-même un ancien agriculteur et que jamais auparavant il n'avait semblé incommodé par les odeurs animales (lire la chronique page 61). Suivant ce même raisonnement, la cour d'appel de Riom a rendu, avec beaucoup d'humour, une décision désormais célèbre : « Attendu que la poule (coq inclus) est un animal anodin et stupide, au point que nul n'est encore parvenu à le dresser, pas même un cirque chinois (...) ; attendu que ce paisible voisinage n'a jamais incommodé que ceux qui, pour d'autres motifs, nourrissent du courroux à l'égard des propriétaires de ces gallinacés, la cour ne jugera pas que le bateau importune le marin, la farine le boulanger, le violon le chef d'orchestre, et la poule un habitant d'un village de 402 âmes » (arrêt du 7 septembre 1995).

Le simple fait d'être à la campagne ne suffit pas à tout excuser. La durée de la nuisance, sa répétition et son intensité sont autant d'éléments pouvant caractériser l'anormalité d'un trouble, fût-il inhérent à l'activité agricole. Le chant du coq peut être analysé comme un trouble à la tranquillité du voisinage s'il s'exerce sans discontinuer en pleine nuit (arrêt du 29 février 1996). Les tribunaux peuvent enjoindre un éleveur d'éloigner des silos nauséabonds d'une habitation (cour d'appel de Limoges, 19 février 2003) ou encore ordonner la démolition d'un hangar agricole situé à proximité d'une résidence secondaire pour perte d'ensoleillement (cour d'appel de Montpellier, 26 juillet 2000). Même l'enlaidissement du paysage par un bâtiment agricole jugé inesthétique a pu être considéré comme constitutif d'un trouble du voisinage (cour d'appel de Riom, 20 février 2003).

PRIVILÈGE DE L'ANTÉRIORITÉ

L'agriculteur responsable de nuisances causées auprès de ses voisins peut échapper à la réparation du préjudice si l'installation des victimes (demande de permis de construire, achat, location...) est postérieure à la création de l'activité incriminée. C'est le privilège de l'antériorité, codifiée sous l'article L.112-16 du code de la construction et de l'habitation.

Il faut néanmoins que l'agriculteur respecte les dispositions législatives ou réglementaires en vigueur (distances d'épandage, mises aux normes des bâtiments...) et surtout, qu'il ait poursuivi son activité dans les mêmes conditions depuis l'arrivée du voisin. Attention à cette dernière obligation car la moindre modification de l'exploitation entraînant une aggravation des nuisances (comme l'agrandissement d'un élevage) peut amener une condamnation.

Quelles que soient les situations rencontrées, le dialogue et la recherche de solutions à l'amiable sont toujours à privilégier. Au-delà du respect des règles de droit, la courtoisie et le bon sens restent les meilleurs moyens de désamorcer les conflits.