« Lors d'une réunion de jeunes agriculteurs, je me suis rendu compte que la moitié d'entre eux avait déjà consulté pour un problème de mal de dos. Maryline Malot, membre du cabinet MB2 conseil, est ergonome (1). La base de départ de mon travail, ce sont les conditions de travail dans les entreprises. Comment celui qui me reçoit peut-il bien vivre de son métier et faire face chaque jour aux tâches qui l'attendent ? J'ai l'impression que, pour les agriculteurs, cela empire : dès le matin le tracteur démarre au quart de tour et les agriculteurs accomplissent à froid des efforts énormes. Leurs corps sont moins musclés qu'avant, les vibrations nombreuses. » En outre, les TMS (troubles musculo-squelettiques ) se multiplient.

Sous cette appellation sont regroupés les symptômes musculo-squelettiques en relation avec l'activité professionnelle. Les TMS entrent dans la catégorie des maladies aggravées par le travail, même si les antécédents de chacun, le terrain génétique, l'âge, le surpoids et le stress ajoutent au risque.

Chez les agriculteurs, ils représentent 85 % des maladies professionnelles reconnues, les 15 % restants se partageant entre risques psycho-sociaux, ceux liés aux animaux et zoonoses. Les TMS sont considérés par le docteur Houssinot, médecin conseil à la caisse centrale de la MSA, comme une « épidémie ». En 2008, la MSA a dénombré 3 255 cas chez les salariés et 1 431 chez les exploitants (2).

TMS : UN FLÉAU POUR LES ÉLEVEURS

Les trois quarts des agriculteurs touchés ont plus de 40 ans mais les jeunes n'y échappent pas. 83 % de ces TMS concernent les articulations et 16 % le rachis lombaire (sciatique, hernie discale).

Ces affections reflètent l'activité dans les exploitations. Ainsi, les femmes qui exercent un métier à gestuelle répétitive (traite, gavage) sont deux fois plus touchées que les hommes. Elles souffrent d'affections péri-articulaires des membres supérieurs.

Les hommes sont davantage touchés par les affections du rachis liées à des postes de travail nécessitant une force physique importante.

Les éleveurs laitiers sont les plus touchés par les TMS (voir l'infographie ci-dessous). Viennent ensuite les polyculteurs-éleveurs et les viticulteurs. Si on parle en fréquence, les volaillers et les éleveurs de lapins sont les plus affectés.

Selon les départements, les chambres d'agriculture ou les conseillers de prévention de la MSA proposent des formations pour aider les agriculteurs à prévenir les TMS.

44 000 HEURES EN SALLE DE TRAITE

La chambre d'agriculture du Finistère organise des sessions spécialement conçues pour les éleveurs laitiers. « L'objectif est de limiter les tâches pénibles et d'améliorer le confort de travail, explique Catherine Lucas, conseillère lait à la chambre d'agriculture. Nous souhaitons sensibiliser les éleveurs laitiers qui passent plus de 44 000 heures dans la salle de traite au cours de leur carrière. » Cela représente cinq ans à répéter les mêmes gestes dans des conditions souvent difficiles, le froid, l'humidité, sur des sols glissants. Programmée sur trois jours, la formation fait intervenir une conseillère en production laitière, un technicien en bâtiment de la chambre d'agriculture et une ergonome. Les activités qui présentent des risques sont passées en revue : traite, manipulation des animaux, alimentation, soin aux veaux, paillage, raclage... Chaque tâche est passée au crible afin d'étudier la meilleure façon de la simplifier. Dans certains cas, il s'agit d'indiquer les gestes qui limitent la pénibilité du travail, dans d'autres, des aménagements dans les bâtiments. C'est parfois toute l'organisation du travail (jusqu'à la remise en cause du système fourrager ou de la distribution des fourrages aux animaux) qui est à revoir. « L'automatisation n'est pas la seule voie, il existe des solutions simples, faciles à mettre en oeuvre et peu onéreuses », précise Catherine Lucas.

À CHACUN SA SOLUTION

Maryline Malot intervient en tant qu'ergonome à la demande de l'AGEFIPH (Association nationale gérant les fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées) auprès des agriculteurs handicapés. Elle exerce surtout en Auvergne et en Midi-Pyrénées. « Je suis là pour réduire la pénibilité du travail et trouver des solutions. J'analyse toute l'organisation. Le travail produit la performance économique et technique mais aussi la santé. Pas question d'arriver avec des solutions toutes faites. A chaque fois, j'effectue un état des lieux : chacun me raconte le travail de sa journée en fonction des saisons, des astreintes. Ensuite, j'observe des séquences de travail avec astreinte, je relève la hauteur des quais de traite mais aussi la fréquence de traite, j'examine comment l'agriculteur s'adapte lorsqu'il ne peut plus accomplir une tâche. Ainsi, je lui fais prendre conscience les gestes qu'il accomplit, sans jugement de valeur. Très vite, il s'autocorrige. Un éleveur laitier était persuadé que son mal de dos venait de la traite en montagne l'été. En réalité, c'est dans sa salle de traite fixe d'hiver qu'il « slalomait », multipliant les torsions du dos. »

Maryline Malot constate que l'accessibilité du matériel ne progresse pas beaucoup. « Certains agriculteurs handicapés en sont à disposer d'un tracteur par outil pour éviter de souffrir lors de l'attelage des outils. » Lorsqu'elle a identifié ce qui fait mal, elle analyse comment envisager les changements et traiter les objections. « Nous imaginons le travail autrement et la faisabilité économique.

Un éleveur ovin a dû passer de trois agnelages en deux ans à un agnelage par an. Il pensait qu'il aurait mal tout le temps. Et là, il constate qu'il ne souffre plus. Il a diversifié son activité pour pallier une baisse de revenu mais il est encore au travail. Un autre agriculteur imaginait résoudre son problème physique avec un robot de traite. Mais le problème était ailleurs. »

Elle intervient aussi en amont, auprès de conseillers, de groupes d'agriculteurs et de Gaec. « Avec les exploitants, nous repérons les contraintes et les avantages du parcellaire et des bâtiments en termes de conditions de travail pour envisager de les modifier. Ils les ont parfois toujours connues ainsi, mais ce n'est pas immuable. Il existe des moyens de disposer d'un point d'eau plus près, d'enlever un plafond inutile, de simplifier la ration animale logée dans de vieux bâtiments. Le système de production correspond à une somme de choix sur les différentes productions. C'est l'interférence de ces décisions avec les contraintes spatiales, humaines et économiques qui engendre les conditions de travail. La prévention nécessite une analyse ergonomique des tâches pour comprendre quels gestes, quels outils, quelle cadence, quelle organisation sont à l'origine des troubles observés ou futurs. Les troubles musculo-squelettiques surviennent lors de gestes répétitifs des doigts, poignets, coudes et épaules (gavage, tri des oeufs, traite, taille), d'efforts excessifs, de positions pénibles (le dos penché ou en torsion), de postures prolongées, de maniements de charges lourdes, de vibrations, de sauts pour s'extraire d'un tracteur avec des chocs néfastes à la colonne vertébrale et aux genoux. »

CHANGER RÉGULIÈREMENT DE POSTURE

Maryline Malot (3) procède donc de la même manière lorsqu'il s'agit d'observer un agriculteur souffrant. « Les agriculteurs ont parfois l'impression que tout le monde dessile de la même façon. C'est faux. Ailleurs, il y a des portillons pour passer d'une case à l'autre. Mais la hauteur du fumier les rend inutilisables. A force de sauter les barrières en portant des seaux, le dos en prend un coup. »

Les interventions préventives des ergonomes se justifient d'autant plus que la dimension physique du travail a évolué : la productivité a augmenté, les tâches sont moins physiques, les muscles moins entraînés et les machines ne font pas tout. « Les postures pour atteler et dételer les outils restent très délicates. Sur une séquence d'observation de cinq heures, un céréaliculteur est monté et descendu 94 fois de son tracteur ! » La posture adoptée par l'opérateur sera un compromis entre son équipement, les sols, l'accessibilité, le temps dont il dispose, la durée et la fréquence de travaux, son état physique. « Il n'existe pas de bonne posture qui puisse être tenue dans la durée : un poste bien aménagé permet les changements réguliers de posture », souligne Maryline Malot.

DES AMÉNAGEMENTS SIMPLES ET PEU COÛTEUX

La MSA (4), qui vient de présenter son plan 2011-2015 santé-sécurité au travail, a fait de la lutte contre les TMS un axe fort, avec des actions de prévention en viticulture, en salles de traite et des propositions de formation. « Les agriculteurs réagissent quand ils ont mal et n'en peuvent plus. Ils pensent souvent que s'ils travaillent peu, ils ne font rien. A 50 ans, certains sont usés », explique Pascal Cormery, agriculteur en Touraine et membre de la caisse centrale de la MSA. « Les stages sur l'organisation du travail peinent encore à trouver preneurs sous cet intitulé. Mais je ne désespère pas d'atteindre un nouveau public, en passant par les stages à contenu technique. Après la formation obligatoire « Certi-phytos », nous avons eu des demandes pour aller plus loin. Les formations d'agriculteurs pour remplir le document unique se développent. Ce document est obligatoire pour prévenir les risques quand il y a un salarié, mais aussi un stagiaire ou un remplaçant (lire l'encadré page suivante). Cela amènera peut-être à prendre conscience qu'avec des aménagements simples et peu coûteux, on se facilite la vie. »

(1) L'ergonomie est l'adaptation du système de production à l'opérateur en vue d'une meilleure efficacité en termes de productivité, de qualité et de santé. (2) Observatoire des troubles musculo-squelettiques des actifs agricoles. (3) « Comprendre l'organisation du travail », de Maryline Malot (Educagri). (4) http://references-santé-securite.msa.fr.