Sécuriser le revenu, donner de la visibilité, déterminer des modalités de fixation du prix avant livraison et clarifier les relations commerciales sont les objectifs de la contractualisation.

Un décret du 30 décembre 2010 issu de la loi de modernisation de l'agriculture impose à l'acheteur de proposer un contrat au producteur.

Cette obligation s'appliquera le 1er avril 2011 pour le lait.

Rééquilibrer le rapport de force

Pour le lait, le baptême du feu n'a pas encore eu lieu. Les industriels privés collent les timbres sur leurs propositions commerciales. Les coopératives ont quant à elles jusqu'au 1er juillet 2011 pour mettre leurs statuts en conformité avec le décret.

La problématique dans la filière laitière diffère de celle des fruits et légumes. L'enjeu est d'empêcher les industriels de mettre la main sur la maîtrise des prix et des volumes pour l'après-quotas.

Les quelques projets de contrats auxquels la FNPL a eu accès ne présentent pas de réelle mauvaise surprise, malgré quelques clauses « nocives » ou quelques oublis.

« Ils sont plutôt conformes au « Guide des bonnes pratiques contractuelles » élaboré par l'interprofession, souligne Gilles Psalmon, directeur de la FNPL. Mais nous n'avons pas vu les versions définitives. »

Sur les volumes, les entreprises semblent respecter la référence au quota. « Il faut aussi prévoir une clause qui formule ce point pour l'après-quotas, sur la campagne 2015-2016. Et une autre en cas d'allègement des pénalités de dépassement. »

Quant au prix du lait, si les documents se réfèrent aux indicateurs publiés par le Cniel, c'est de fait l'interprofession qui en conservera la maîtrise. Certains ont repéré quelques « couacs ».

Par exemple, Paul de Montvalon, président de l'Office du lait, évoque le contrat de Bongrain. L'entreprise envisage des pénalités pour dépassement ou sous-réalisation du quota. Il alerte également sur les pressions qu'auraient subies des producteurs.

Un autre industriel aurait tenté d'instaurer une mesure de rétorsion contre les éleveurs qui participeraient à des blocages de laiteries ou de camions.

Les syndicats de producteurs sont unanimes sur le mot d'ordre : « Ne signez pas ! » Du moins pas avant d'avoir fait vérifier le contenu du contrat. La FNPL préconise de faire appel aux juristes ou aux conseillers de son réseau. Le syndicat redoute néanmoins qu'une proportion non négligeable d'éleveurs signe immédiatement.

Le véritable enjeu pour les éleveurs est de rééquilibrer le rapport de force, aujourd'hui en leur défaveur. Le décret sur les organisations de producteurs (OP) ne paraîtra qu'à la fin de l'année.

Mais se posent déjà les questions de la taille critique à atteindre pour faire contrepoids, et les prérogatives que les OP pourront récupérer : la gestion des volumes, la facturation, la négociation du contenu des contrats, des volumes et des prix...

Pour autant, les syndicats ne restent pas inactifs et tentent d'organiser leurs troupes. La FNPL multiplie les réunions de terrain pour promouvoir sa vision des contrats et des OP (voir l'encadré). Elle s'appuie sur les groupements existants pour poser les bases du futur réseau d'OP. Ces structures sont aujourd'hui dépourvues de pouvoirs réels.

Ainsi, Léandre Georget, président du groupement de producteurs de la laiterie de Craon (Lactalis), ne détient pas la liste des 650 producteurs adhérents. « C'est Lactalis qui envoie les convocations. Il n'est pas tenu de nous fournir cette liste. »

Mise en conformité avec la loi

Les groupements seront amenés à évoluer vers des OP conformes au futur décret. Ils devront trancher entre un statut d'OP commerciale ou non commerciale. Et décider s'ils s'approprient la facturation ou s'ils la délèguent à leur laiterie, comme c'est le cas aujourd'hui.

« Pour l'instant, il n'est pas question de partir vers une OP commerciale, ni de prendre en main la facturation, c'est un travail monstre, reconnaît Léandre Georget. Mais nous pouvons y réfléchir. »

Pour la FNPL, l'objectif est d'aboutir, à terme, à des OP territoriales interentreprises. « Mais nous sommes pragmatiques, nous nous appuyons sur l'existant, souligne Gilles Psalmon. Il y a un vrai travail juridique à mener pour mettre les groupements en conformité avec le futur décret. Nous devrons aussi les accompagner en termes de formation et de vision économique et politique. La FNPL a rédigé des statuts d'organisations collectives et économiques ambitieux. Même si dans certains cas, l'OP n'ira jamais aussi loin. Ce que nous recherchons avant tout, c'est la transparence. Nous espérons que les entreprises joueront le jeu et fourniront leurs chiffres en ce qui concerne les volumes de lait collectés. »

En opposition, l'Association des producteurs de lait (Apli) promeut la création d'une OP nationale, France Milk Board, qui se déclinerait au niveau de chaque grand bassin laitier. Ces associations auraient un rôle de négociation, mais pas de commercialisation. L'objectif est aussi de récupérer la maîtrise des volumes en amont des industriels, en analysant les besoins des marchés. Ce projet a le soutien total de l'Organisation des producteurs de lait (Coordination rurale).

La Confédération paysanne, plus discrète, appelle les producteurs à ne pas signer et à se regrouper. « Nous étudions le projet de l'Apli, nous vérifions la cohérence de France Milk Board, explique Philippe Collin, son porte-parole. Nous approuvons la démarche par bassin. Pour peser, il faut que l'OP dépasse le cadre d'une seule laiterie. Sinon, les producteurs seront ficelés. »

Et pas question de rallier le projet de la FNPL et du Cniel. « Tous les producteurs ne sont pas représentés au sein du Cniel. Nous n'avons pas d'autre choix que de travailler à un autre outil, aussi longtemps que l'interprofession ne concédera pas d'ouverture aux autres représentants des producteurs. »

 

Les principes de la contractualisation

Certaines clauses doivent apparaître obligatoirement :

- les volumes et les caractéristiques du lait fourni,

- les modalités de détermination du prix,

- les modalités de facturation et de paiement,

- les modalités de collecte et de livraison des produits,

- les modalités de révision du contrat et de résiliation avec une durée de préavis qui ne peut être inférieure à douze mois pour le lait.

Pour obtenir des informations sur les contrats, les producteurs peuvent se tourner vers la chambre d'agriculture ou vers la DDT (Direction départementale des territoires). La FNSEA a aussi lancé un numéro indigo (1) afin de répondre aux agriculteurs.

En cas de litige sur le contenu du contrat, un médiateur peut être saisi par l'intermédiaire de la Direction régionale de l'agriculture, de l'alimentation et de la forêt. Pour le lait, l'interprofession a créé une Commission interprofessionnelle des pratiques contractuelles (CIPC) afin de régler les litiges à l'amiable entre producteurs et transformateurs.

Pour le producteur, il n'y aura aucune sanction pour non-signature du contrat. En revanche, en cas de défaut de proposition de contrat ou de rédaction incomplète ou erronée, le premier acheteur risque une amende de 75.000 euros par producteur et par an. Le contrôle est effectué par des agents de la Direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ou du ministère de l'Agriculture.

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(1) Numéro 0825.729.726, 0,15 €/min TTC.

 

 

Un plaidoyer pour l'organisation collective

« Vous nous proposez de donner un mandat de négociation à une organisation de producteurs en laquelle nous avons confiance. » Voilà comment un éleveur résume le message qu'Etienne Fabrègue, juriste à la FNPL, délivre depuis deux heures.

Ce 22 mars 2011, deux expressions raisonnent dans la salle communale de Saint-André-de-Messei, dans l'Orne : « contrat » et « organisation collective des producteurs ».

Le collectif face aux entreprises. Pour la FNPL, la course commence par l'organisation collective des producteurs (OP). Elle la présente comme un rempart contre la concurrence entre éleveurs et les contrats individualisés.

Personne ne conteste qu'un producteur seul ne pèse rien face à sa laiterie. Ou que si chacun signe en ordre dispersé, c'est la porte ouverte à l'intégration.

Là où les avis divergent, c'est sur l'échelle à laquelle se regrouper. « Dans un premier temps, par entreprise et à partir de l'existant », avance Etienne Fabrègue.

Les sympathisants de l'Apli présents dans la salle, se manifestent. « Comment éviter que les OP ne se fassent la concurrence si elles ne regroupent pas des éleveurs de plusieurs entreprises ? » interroge l'un d'eux. Sans doute parce que, pour la FNPL, l'OP ne négocie que le contenu du contrat, pas le prix du lait.

Rien ne sert de courir. Si la loi impose le contrat écrit, elle ne fixe pas de délai. « Mais elle oblige les entreprises à vous adresser une proposition commerciale avant le 1er avril 2011 », insiste Etienne Fabrègue. Lactalis devrait ainsi envoyer 17.200 plis recommandés entre le 24 et le 28 mars 2011.

Mais que dire des six mois que l'entreprise laisse pour signer ? « Ils concernent la nouvelle proposition commerciale, assure Etienne Fabrègue. Pas le lien contractuel qui vous lie aujourd'hui à elle, et qui perdure tant que vous ne signez pas. L'entreprise peut le dénoncer, mais ce sera difficile. Dans tous les cas, ne signez rien avant d'avoir pris conseil. »

Et de citer des clauses d'incessibilité du contrat prévues par certaines laiteries. « Que vaut votre exploitation sans débouché ? Si avant de la vendre, vous devez demander son aval à votre laiterie ? »

Mettre la main sur la gestion des volumes. La FNPL a une autre idée en tête. Elle ne veut pas abandonner la gestion des volumes aux entreprises une fois les quotas enterrés. Cela ne sera possible qu'en centralisant les données de chaque producteur.

« Dans la vraie vie, celui qui vend est celui qui facture, souligne Etienne Fabrègue. Aujourd'hui, c'est l'industriel qui le fait et sait ce qui se passe chez vous. Cette transparence et la facturation sont des sujets qui fâchent quand on discute avec Lactalis.

Facturer, c'est se réapproprier ces informations. Il est dans votre intérêt que ce soit l'OP qui gère les volumes après 2015. Sans organisation collective, les entreprises s'en chargeront. »

Eric Roussel