Après huit ans passés comme ingénieur de production chez Danone, l'occasion se présente pour Guillaume Lucas, en 2006, de s'installer sur la ferme familiale de Parleboscq, dans les Landes, aux côtés de son père, Pierre.

 

 

EN CHIFFRES

A Parleboscq dans les Landes

• Surface : 340 ha de terres limoneuses sur les coteaux du bas Armagnac

• Main-d'oeuvre : 3 UTH (SARL père-fils avec un ouvrier)

• Cultures : 2/3 de maïs et 1/3 de blé

• Capacité de stockage : 5.000 t

« Il fallait que je me trouve une place sur l'exploitation, avec une source de revenu supplémentaire, relate le jeune exploitant. Or la ferme se trouvait à cette époque en surcapacité de stockage, avec le départ progressif à la retraite de mon oncle et l'introduction du blé dans l'assolement. Cela a créé une opportunité pour développer une activité complémentaire de prestation de stockage. »

 

C'est ainsi que le père et le fils créent, en plus de l'EARL qui les associe pour la production de céréales sur 200 ha à l'époque (340 aujourd'hui), la société Valo-Grain, une SARL chargée du stockage et du séchage « à façon » des céréales (essentiellement du maïs et un peu de blé).

Les producteurs ont voulu aller plus loin dans la valorisation des céréales, en établissant un circuit court avec des éleveurs.

Un cousin agriculteur basé dans le Poitou-Charentes avait déjà une entreprise connexe de courtage de tourteaux destinés à l'alimentation animale, et il avait de la demande pour des céréales de la part de ses clients éleveurs.

Mais autant la commercialisation des tourteaux – produits transformés – n'est soumise à aucune contrainte particulière, autant la vente de grains nécessite d'avoir le statut de collecteur (organisme stockeur). Un sésame pour lequel les agriculteurs ont dû à l'époque (1) présenter un dossier.

Celui-ci a, dans un premier temps, été refusé par la commission régionale au sein de laquelle siégeaient des organismes stockeurs (OS). « C'est comme si, pour construire une grande surface, il fallait demander l'autorisation de ses concurrents, ironise Pierre Lucas. Il a fallu faire appel auprès de l'Onic (aujourd'hui FranceAgriMer) pour que le dossier soit validé. »

 

Les agriculteurs stockent essentiellement du maïs. La gestion des lots en est d'autant simplifiée. Le stockage est réalisé à plat et l'essentiel de la structure et du système de ventilation ont été autoconstruits. L'unité est équipée d'un séchoir à maïs.

 

Le statut de collecteur oblige à utiliser des moyens de mesure (comme ici sur la photo avec un humidimètre), mais aussi un pont-bascule pour la pesée.

L'obtention du statut d'OS a nécessité l'investissement dans un pont-bascule, un appareil de mesure d'humidité aux normes, du matériel de nettoyage et un système de ventilation performant.

L'agrément a été délivré à la SARL Transactions directes agricoles (TDA), une filiale dont Pierre et Guillaume sont actionnaires et gérée par leur cousin agriculteur. Néanmoins, l'activité de stockage reste attachée à l'exploitation via la SARL Valo-Grain constituée par les associés père et fils.

Petit plus : l'achat du pont-bascule permet aux producteurs d'avoir une bonne vision du rendement des variétés de maïs sur leurs parcelles. « Chaque année, nous expérimentons et on estime avoir gagné en rendement en sélectionnant les variétés les mieux adaptées. Une expérience que nous partageons avec nos "apporteurs" », note Pierre.

À plein régime

« Par le bouche-à-oreille, nous avons tourné à plein régime dès le début. En 2007, l'année du lancement de Valo-Grain, les OS proposaient surtout des prix de campagne, tandis que, par l'intermédiaire de TDA, nous proposions des prix au cours du jour, avec parfois 40 à 50 €/t d'écart, se remémore Guillaume Lucas. En outre, il y avait une forte demande pour réaliser des ventes avant récolte, ce que nous étions en mesure de proposer via TDA. Les coopératives n'étaient alors pas très réactives sur le sujet. »

Aujourd'hui, Pierre et Guillaume travaillent avec un réseau de 25 producteurs « apporteurs », pour une capacité de stockage qui a été étendue à 5.000 tonnes par prolongation d'un côté du hangar.

La part de céréales stockées "à façon" est de 70-75 %. Le restant provient de la ferme. Le maximum des grains stockés par les exploitants est vendu en circuit court aux éleveurs via TDA, qui les informe quotidiennement des prix d'achat qu'elle propose.

« Mais, cette année, une partie non négligeable des ventes ont été réalisées auprès d'OS de la région qui proposent de meilleurs prix vu la forte demande locale. D'ordinaire, seulement 2 à 3 % des grains sortent du circuit TDA, car nous sommes souvent les plus attractifs en termes de prix », explique Guillaume.

Une compétitivité que les associés attribuent notamment à leur forte disponibilité, aux frais de main-d'oeuvre limités, à l'autoconstruction du bâtiment de stockage et à la suppression d'un intermédiaire.

« Nous informons régulièrement nos "apporteurs" des mouvements de hausse ou de baisse des prix que nous propose notre partenaire, et on essaye d'être le plus neutre possible pour ne pas influencer leurs décisions de vente », confie Pierre Lucas.

Récolte hâtive

Pour la prestation de stockage, les agriculteurs facturent 5 €/t, quelle que soit la durée de mise en dépôt et la quantité apportée. TDA gère les transactions et facture notamment le coût de l'assurance de défaut de paiement en cas de défaillance de l'acheteur.

C'est aussi TDA qui se charge de payer les taxes dues sur les transactions de céréales et de tenir la comptabilité relative à la matière exigée par FranceAgriMer.

La prestation de stockage du maïs est couplée avec l'activité de séchage, requérant une certaine organisation. D'abord, les agriculteurs doivent se fournir en gaz qu'ils essayent d'acheter au meilleur prix, tous les mois.

Ensuite, « nous moissonnons nos maïs en premier, souligne Pierre, quitte à les récolter plus humides. Un inconvénient compensé par une baisse du risque de dégradation du sol lors du passage des outils de récolte et à une meilleure implantation du blé suivant. Nous sommes dans le prolongement des coteaux du Gers, sur des parcelles en pente avec des terres limoneuses fragiles.  » Ensuite, la priorité est donnée aux clients, et nous organisons les arrivages au séchoir. 

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(1) La réglementation a été modifiée en septembre 2010 et, désormais, une simple déclaration sur l'honneur suffit pour se faire reconnaître en tant que collecteur. Mais les obligations légales restent les mêmes : inscription au registre du commerce, utilisation d'outils de pesée et d'analyse des grains agréés tous les ans...

 

Agrément collecteur : comment se positionner

« Il faut un enjeu fort pour se lancer »

« Malgré la simplification des procédures de la déclaration pour devenir collecteur, je ne pense pas que les agriculteurs vont massivement s'engouffrer dans ce système. L'investissement dans un pont-bascule, l'achat d'appareils de mesure à faire étalonner tous les ans, la tenue de la comptabilité relative à la matière, le paiement des taxes, cela fait beaucoup de contraintes. Pour un agriculteur qui a 1.000 t à vendre, les bénéfices apportés ne sont pas suffisants. Il faudrait pouvoir diviser ces frais par des volumes plus importants pour que ce soit rentable, tel que nous le faisons sur l'exploitation avec 5.000 t de grains stockés », explique Guillaume Lucas. « Cette activité de collecte nous a permis de créer une activité supplémentaire et d'installer Guillaume. Il faut qu'il y ait un enjeu fort pour se lancer dans la démarche. Autrement, je pense qu'il vaut mieux passer par les circuits de vente classique. L'essentiel est de stocker sa récolte pour maîtriser le moment de la vente et choisir le plus offrant », expose Pierre.