« Nos juments remplacent le gyrobroyeur », se félicite Roger Condamine, de Saint-Saury, dans le Cantal, en Gaec avec son épouse Denise et son fils Didier. Elles sont dix sur l'exploitation et mangent les refus des soixante-dix prim'holsteins et des cinquante aubracs.
Au printemps, leur effectif est divisé en trois lots. Le lot le plus important, qui comprend cinq, six juments suitées et l'étalon, suit le troupeau des vaches laitières en lactation à quelques jours d'intervalle.
« Nous réservons toujours la meilleure herbe aux prim'holsteins, explique Roger. La production de lait est notre priorité. Nous pratiquons le pâturage tournant sur des paddocks de 2 ou 3 ha autour de l'exploitation. »
Les poulinières ne consomment que le reliquat. « Mais ce sont les refus des vaches qui ont une bonne valeur fourragère, précise Roger. Les juments pâturent beaucoup plus ras que les bovins. Elles restent sur la parcelle pendant deux ou trois jours et valorisent très bien cette herbe qui serait perdue sinon. »
Quand les vaches sont de retour sur la parcelle, trois semaines ou un mois plus tard, elles trouvent une production fourragère homogène. Et de qualité, car toutes ces prairies sont renouvelées tous les cinq à six ans. Elles sont à base de ray-grass anglais, de dactyle et de trèfle blanc. Ponctuellement, la fléole ou la fétuque intègrent le mélange dans certaines parcelles plus humides.
« Grâce aux juments, les repousses sont de qualité, note Roger. Sinon, nous serions obligés de passer le gyrobroyeur. Cela impliquerait du temps supplémentaire et des coûts en plus en carburant et matériel. »
Du point de vue sanitaire, les chevaux et les bovins ne sont pas tout à fait sensibles aux mêmes parasites, la pâture alternée n'est donc pas gênante.
Le lot de poulinières suit les vaches laitières jusqu'au mois d'octobre. Ensuite, elles rejoignent les aubracs et les autres juments suitées sur des îlots de parcelles plus éloignés du siège de l'exploitation. Là, elles continuent de consommer les refus des bovins. Les juments et les vaches sont toutefois regroupées.
« Et les deux espèces font très bon ménage », indique Roger. Aucune rivalité n'est décelable entre les animaux. Les vaches et les juments ne font pas bande à part. Toutes avancent de front dans la pâture. L'étalon, ou un taureau, partage aussi le même espace en toute bonne entente.
Une manutention plus facile
Tous les animaux ont toutefois l'habitude de se côtoyer depuis leur plus jeune âge puisque les pouliches et les génisses laitières et allaitantes partagent leurs pâtures. Il s'agit d'un îlot de 20 ha, situé lui aussi à quelques kilomètres du siège de l'exploitation.
« Nous ne pouvons pas mélanger les juments et les vaches laitières, car ces dernières doivent avoir un accès libre à la stabulation et au Dac (distributeur automatique de concentrés) », indique Roger. Et les juments y sont proscrites.
Hormis ce cas de figure, les associés sont favorables au pâturage simultané des deux espèces qui facilite la manipulation des animaux. « Lorsque nous les changeons de parcelle, il suffit de prendre l'étalon ou une jument par le licol et tout le reste du troupeau suit », constate-t-il.
Grâce à ce régime, les poulains ont une croissance continue du printemps à l'automne. Les mâles sont vendus sur le marché de Maurs (Cantal) pour l'abattoir à environ 400 kg, à la différence de la plupart des poulains de cet âge qui partent en Italie pour les ateliers d'engraissement.
« La demande pour ce type de poulain est encore bonne, explique Roger. Même si les prix se sont effondrés en 2009 en raison de la réglementation concernant le transport. » Les tarifs ont en effet baissé de 0,30 à 0,40 €/kg vif.
Les pouliches sont vendues en même temps entre 800 et 900 € par tête. « Je suis confiant pour cet automne, avoue-t-il. Il n'est pas question pour nous de remettre notre conduite en cause. »
Peu gourmands en main-d'oeuvre
La complémentarité des deux productions apporte un équilibre à l'exploitation. Les éleveurs ne sont pas philanthropes pour autant. « La rentabilité des chevaux est limitée, mais elle existe », insiste Roger. Si les produits sont modestes, les charges sont pratiquement nulles. Les chevaux sont aussi très peu exigeants en main-d'oeuvre. Seul le poulinage demande un peu de surveillance.
« Nous sélectionnons les filles de la même jument depuis plus de vingt ans pour le renouvellement », ajoute-t-il. C'est une souche de jument rustique, très maternelle, qui met bas facilement.
« Nous utilisons une ceinture de poulinage, précise Roger. Mais cette étape, qui a lieu entre mars et juin, se passe généralement sans encombre. » Bien qu'elle ait lieu en plein air.
Une passion qui réunit la famille
Les juments ne disposent d'aucun bâtiment spécifique. C'est autant de charges en moins, comparé aux autres productions. Pendant l'hiver, elles mangent l'herbe des 50 ha situés autour de l'exploitation. Un râtelier avec du foin est à leur disposition, mais elles en consomment très peu.
« Un ballot de 200 kg par hiver et par poulinière, estime Roger. Pas plus ! Il convient aussi de compter le crottin qu'elles apportent, si l'on veut dresser un vrai bilan. »
Il faut reconnaître que les juments tiennent une place particulière sur l'exploitation. Tous les associés vouent une passion sans faille à cette production depuis plusieurs générations. La préparation des concours à partir du mois d'août est un grand rendez-vous. Y compris pour les enfants et les petits-enfants qui n'habitent plus sur la ferme.
« Ces fêtes de village sont de bons moments de convivialité que nous devons préserver », conclut Roger, qui est aussi président du syndicat des éleveurs de l'Auvergne et de l'Union des chevaux de trait d'Auvergne.
Deux estomacs : ruminants et monogastriquesA la différence des bovins, les équins ne sont pas des ruminants. Ce sont des herbivores monogastriques. Ils disposent d'un petit estomac, 15 litres pour 500 kg de poids vif et d'un long intestin. Résultat, le cheval passe plus de temps à brouter que les bovins : de 60 à 70 % du temps, contre 40 %. |