Reprendre la main sur la commercialisation de ses récoltes doit d'abord faire l'objet d'une réflexion au sein de l'exploitation. Il convient de définir clairement son but, le revenu, et de se donner un code pour éviter une conduite dangereuse.

Revenu : définir un prix d'objectif réalisable 

Le prix d'objectif est le prix qui permet au producteur de financer toutes ses charges directes et indirectes et de dégager un revenu. Ce prix de seuil est le principal repère qui va permettre de décider la vente.

« Le producteur doit tout mettre en oeuvre pour que son prix de revient soit le plus bas possible, ce qui lui permettra de définir un objectif cohérent en fonction du contexte de marché», conseille Benoît Labouille, directeur d'Offre et demande agricole.

Risque : connaître son exposition 

Le risque, pour un céréalier, c'est de ne pas arriver à vendre au prix d'objectif et de perdre son revenu. « Ainsi, le risque apparaît à chaque grande étape où se forme le prix de revient. La récolte 2009 a été difficile à couvrir en raison des engrais achetés à prix fort en 2008. Il aurait fallu vendre une partie de la récolte lors de l'achat des fertilisants, car les prix du moment permettaient de dégager une marge même avec des intrants achetés au prix fort, insiste Jean-Loïc Begue-Turon, responsable marché et dérivé pour l'union de coopératives Invivo.

L'idée est de fixer, chaque fois que c'est possible, des prix, et donc des marges, aux différentes étapes où l'agriculteur est exposé à un risque. Ces moments critiques sont l'achat des engrais, les semis, la moisson et le stockage. »Le risque réel n'est connu qu'à la moisson, avec la connaissance du rendement et de l'ensemble des charges, qui permet de calculer son prix de revient en euros par tonne.

Avant cela, le risque est simplement évalué en se basant sur des moyennes des années précédentes.

Nicolas Pinchon, conseiller chez Agritel, estime qu'il faut ajouter au risque de prix « le manque éventuel de débouchés, notamment sur des petits” marchés comme l'orge de brasserie ou le blé dur.

L'agriculteur ne connaît pas non plus sa qualité tant qu'il n'a pas moissonné ».Le risque est maximal lorsque rien n'est vendu. En revanche, un agriculteur ayant vendu 80 % de sa production au-delà du prix de seuil peut envisager le reste de sa campagne plus sereinement.

Jean-Loïc Begue-Turon, responsable marché et produits dérivés pour Invivo : "Les offres de mise en marché des coops intègrent le prix de revient"

« Normalement, les offres de mise en marché de la coopérative doivent répondre aux besoins des adhérents de générer un revenu. C'est pourquoi je n'aime pas l'expression de « prix moyen », car cela masque les mécanismes mis en place par les coopératives pour arriver au but recherché. Je préfère la notion de « prix en gestion déléguée ».

En effet, après trois années terriblement pédagogiques entre 2007 et 2009, de nombreuses coopératives ont compris que ce n'était plus l'Europe qui gérait le risque de prix et qu'elles ne pouvaient plus se contenter de proposer une moyenne des prix de la campagne. Aujourd'hui, les coopératives se préoccupent du prix de revient de leurs adhérents et elles tentent de couvrir un réel prix d'objectif pour les producteurs.

La difficulté, c'est que chaque agriculteur a un prix d'objectif différent en fonction de ses performances et de ses choix d'investissement. Ainsi, la coopérative doit arbitrer autour d'un prix d'objectif cohérent en fonction de ses adhérents et du marché.

C'est son rôle car la majorité des agriculteurs n'a pas le temps nécessaire à consacrer à la mise en marché. La vente des grains, c'est un métier à part entière. »

Outils : panacher et cadencer les ventes 

« La bonne recette est celle qui dégage un revenu et qui permet la pérennité de l'entreprise. Il faut tirer sur les bonnes ficelles au bon moment, en fonction de son prix de revient et du potentiel de hausse ou de baisse des prix », illustre Nicolas Pinchon. Et des ficelles à tirer, il n'en manque pas : prix moyen (acompte plus complément), prix au cours du jour, vente avant récolte, contrats de qualité, marché à terme, options...

Si l'évaluation de l'exposition au risque donne les moments clés pour « marquer des prix », l'analyse du contexte de marché permet de savoir quels volumes engager et dans quel système de fixation de prix. Le cadencement des ventes se réfléchit aussi en fonction des besoins de trésorerie de l'exploitation.

Avec tous les outils disponibles, il y a forcément une recette gagnante chaque année, estime Benoît Labouille : « Depuis dix ans, il y a eu très peu de cas où les seuils de commercialisation n'ont jamais été atteints entre les semis et dix mois après la récolte. » Cependant, il est nécessaire de réévaluer sa stratégie à chaque nouvelle campagne.

 

 

Psychologie : attention aux conduites dangereuses 

Deux réflexes sont à éviter. Le premier est de calquer ses prises de décisions en fonction de la campagne précédente. Le deuxième est d'attendre que les prix montent pour déclencher des ventes. A force d'attendre l'opportunité de l'année, on en oublie toutes les autres et le risque est grand de rester assis sur le tas à la fin de la campagne. L'élaboration d'une stratégie avec un prix de seuil doit permettre de passer à l'acte et d'éviter de tomber dans cet écueil.

Prendre du recul : évaluer sa stratégie, échanger 

Évaluer sa stratégie donne des enseignements sur ses points forts et ses points faibles. C'est un enseignement pour les décisions à prendre par la suite. L'échange avec d'autres agriculteurs permet de confronter d'autres approches face à la même situation. Comparer ses résultats aux prix de campagne proposés par les organismes stockeurs donne une idée de la valeur ajoutée dégagée (ou non) par la gestion individuelle des ventes. Les performances doivent être mises en perspective des risques ou, au contraire, de la sécurité que la démarche a apportés à l'exploitation.

Temps et formation : éstimer l'astreinte 

Maîtriser les outils de mise en marché, élaborer une stratégie de vente, se construire un réseau d'informations fiable... « L'agriculteur doit se demander s'il veut réellement se donner les moyens de gérer par lui-même la vente des grains. C'est un nouveau métier à apprendre, c'est du stress supplémentaire », prévient Nicolas Pinchon, conseiller chez Agritel.

Sécuriser la marge L'attitude la plus risquée est d'attendre. Dès que les prix sont rémunérateurs, il faut vendre en partie pour sécuriser sa marge.