Une étude de l'Inra montre qu'il existe des marges de manoeuvre non négligeables pour réduire l'emploi des phytos, mais que l'objectif de 50 % fixé dans le cadre du Grenelle semble difficile à atteindre d'ici à 2018. Une telle réduction supposerait en effet un bouleversement des systèmes de culture et des filières, ainsi que la mise en place d'expérimentations et de recherches longues et coûteuses.

L'étude Ecophyto R&D a été commandée à l'Inra en 2006 par les ministères en charge de l'Agriculture et de l'Environnement, afin de mieux connaître les performances et les impacts des systèmes économes en phytos. Avec l'adoption du plan Ecophyto 2018, l'objectif de l'étude a été actualisé pour évaluer la faisabilité de la mesure « réduire de 50 % l'usage des pesticides d'ici à dix ans, si possible ».

Des scénarios de réduction des phytos ont été construits à partir de données d'enquêtes, d'expérimentations et de dires d'experts (1). Ils permettent de savoir quelles seraient les conséquences d'une généralisation de différentes pratiques agricoles : agriculture conventionnelle, agriculture raisonnée, protection intégrée (mesures préventives et alternatives à l'échelle de l'itinéraire technique), production intégrée (échelle de la rotation) et agriculture biologique.

L'étude montre qu'il est possible de réduire l'utilisation des pesticides de 20 % au niveau national, sans bouleversement des systèmes de culture et sans impact sur la production et les marges (en se plaçant dans un contexte de prix et de pression parasitaire de 2006).

En revanche, une réduction de 50 % impliquerait des changements profonds (nouvelle conception des systèmes de production, modifications au niveau des filières et marchés...) et entraînerait une baisse, variable selon les cultures, du niveau de production et des marges.

Compte tenu des limites de l'étude (une seule année de référence, pas de prise en compte de la variabilité temporelle, dires d'experts...), l'Inra rappelle que ces scénarios ne sont ni des prospectives ni des prévisions. « Si l'étude éclaire sur la faisabilité de la mesure du plan Ecophyto 2018, elle n'en évalue pas la possibilité à l'échéance de dix ans », tempère la conclusion du rapport.

Des résultats discutables

Les interprétations des résultats de l'étude diffèrent : là où Chantal Jouanno, secrétaire d'Etat chargée de l'écologie, retient « qu'une réduction de 30 à 40 % est possible », d'autres, comme l'UIPP (Union des industries de la protection des plantes), sont moins optimistes et estiment qu'aller au-delà de 30 % n'est pas envisageable à court terme car « le développement d'innovations prend environ dix ans ».

Lors d'une table ronde organisée pour la journée de restitution de l'étude en janvier, les acteurs présents (UIPP, FNSEA, Coop de France et France nature environnement) s'accordaient sur le fait qu'une réduction immédiate était possible avec la généralisation de l'agriculture raisonnée. Les avis divergent ensuite sur le passage à des pratiques plus « en rupture », nécessitant par exemple des modifications de rotations.

La FNSEA, Orama (Union des grandes cultures) et Arvalis insistent sur le fait qu'une baisse de production n'est pas en accord avec le contexte actuel (sécurité alimentaire et agrocarburants). « Avant de diffuser ces pratiques, il faut les valider par des expérimentations pour obtenir l'adhésion des agriculteurs », estime Philippe Mangin, président de Coop de France.

La création d'un réseau de sites expérimentaux et de fermes pilotes a par ailleurs été étudiée par les  experts (lire l'encadré ci-dessous).

L'adoption de ces pratiques ne tient pas qu'à une validation scientifique, « elle passera aussi par une rémunération de l'effort fourni par les agriculteurs, précise Florence Jacquet, directrice de recherche à l'Inra. Des incitations économiques (taxes ou subventions) sont nécessaires pour atteindre un niveau significatif de réduction des phytos. »

Mais ces incitations ne sont pas suffisantes, un soutien aux nouvelles filières semble aussi indispensable pour diversifier les cultures et allonger les rotations.

Réorganiser les filières

Les agriculteurs ne sont en effet pas les seuls responsables de cette difficulté à s'engager vers des systèmes plus économes en phytos, « c'est l'ensemble du système socio-technique qui apparaît bloqué », souligne Jean-Marc Meynard, directeur de recherche à l'Inra. L'analyse des stratégies d'acteurs a permis de mettre en évidence qu'ils ne communiquaient que sur un petit nombre de techniques. Une des raisons évoquées est l'incompatibilité de certaines de ces solutions avec les exigences des filières.

« Seule une évolution profonde de tous les acteurs, du sélectionneur au consommateur, pourra permettre d'atteindre des objectifs ambitieux », ajoute Jean-Marc Meynard. Jean-Claude Bévillard, de FNE, partage cet avis : « A exigences égales de la collecte et de la distribution, on n'arrivera pas aux 50 % escomptés, il faut faire bouger toute la filière. »

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(1) L'étude a mobilisé environ 80 experts issus de l'Inra, des organismes de développement agricole, de l'enseignement supérieur et des services techniques des ministères.

 

180 fermes pilotes en 2010

« Une phase de tests est en cours jusqu'à la fin de 2010, avec 18 groupes d'une dizaine de fermes, chacun suivi par un animateur, explique Raymond Reau, de l'Inra. Chaque ferme de ce réseau, appelé FermEcophyto, devra émettre un projet de réduction de phytos et établir une feuille de route pour y parvenir (utilisation d'outils d'aide à la décision, passage au bio, itinéraire modifié...). »

Agriculteurs pionniers et lycées agricoles sont ainsi mis à contribution avant de multiplier les fermes jusqu'à 800, voire plus, à partir de 2011. « Cette année, les tests portent sur des exploitations en grandes cultures, polyculture-élevage et vigne, avec des pratiques qui permettent de conserver des résultats (économiques et de production) prometteurs. »

A partir de 2011, le réseau EXPEcophyto devrait tester, sur trois à dix ans, des systèmes de culture en forte rupture, avec des résultats économiques pour l'instant insuffisants pour être testés en exploitation.

 

 

La recherche essentielle en arboriculture

Du côté des cultures pérennes, et notamment en production de pommes, les résultats montrent une réduction du rendement de 0, 20 et 50 % lorsque l'indice de fréquence de traitement (IFT) diminue de 6, 20 et 27 %.

L'Inra estime qu'une « réduction plus importante des phytos pourrait être obtenue si les normes de commercialisation des fruits étaient assouplies ». Mais le CTIFL (1) ne partage pas cet avis, qui consisterait à introduire sur le marché des produits à l'aspect dégradé.

Il remet aussi en cause la référence à l'IFT « illégitime pour les fruits et légumes » et la représentativité des résultats. « La réduction des phytos doit être compatible avec la demande de qualité visuelle de plus en plus forte des consommateurs, estime Daniel Sauvaitre, membre du groupe arboriculture de l'étude de l'Inra et président de l'association Pommes poires.

Et pour ne pas perdre notre compétitivité, une chaîne de progrès doit être mise en oeuvre sur toute la filière. La recherche et les expérimentations pourraient par exemple développer de nouvelles matières actives et de nouvelles variétés, comme des fruits tolérants à la tavelure qui plaisent au consommateur. »

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(1) Centre technique interprofessionnel des fruits et légumes.