Avis de tempête sur la filière laitière. Avec la paie d'octobre, les éleveurs n'ont pu que constater une nouvelle baisse du prix du lait par rapport à l'année précédente, suscitant leur mécontentement. Pour autant, ce n'est pas une surprise.
Plusieurs interprofessions régionales avaient annoncé la couleur, à l'instar du Cilouest (Bretagne et Pays de la Loire), qui avait publié dès le 22 septembre sa grille pour le quatrième trimestre.
En revanche, les éleveurs attendent de pied ferme une amélioration des prix pour début 2010. Les transformateurs ont assez revendiqué une plus grande réactivité à la situation des marchés.
Et justement, les cotations des produits industriels remontent depuis la fin de l'été. Les prix payés aux producteurs allemands et néerlandais s'orientent déjà à la hausse.
Les transformateurs commencent à déminer le terrain. «On peut raisonnablement penser qu'en 2010 le prix du lait sera au moins égal au prix constaté en moyenne en 2009», avance la Fédération nationale des industries laitières (Fnil). Et ce sera visible sur les paies de lait «dès le premier trimestre».
Mais il faut aussi tenir compte des débouchés des produits de grande consommation (PGC), qui ont perdu des parts de marché en France et en Europe.
«Le bilan de l'année 2009 sera catastrophique pour les transformateurs, dont les positions concurrentielles se sont lourdement dégradées du fait d'un écart de prix du lait trop important avec les concurrents européens, argumente la Fnil. La filière française ne pourrait pas supporter à nouveau un tel décalage de compétitivité en 2010.»
Selon les industriels, sur l'année 2009, le prix du lait en France aura été supérieur d'environ 20 % par rapport à ses voisins du Nord, les exportations ont reculé de 16 % en valeur et les importations de lait, d'emmental et de crème se sont envolées. En particulier celles de lait de consommation, qui ont augmenté de 41 % en volume.
Signaux positifs pour 2010
«Vu les pertes enregistrées au cours de 2009, il est hors de question de répercuter une quelconque hausse pour l'instant, résume Jehan Moreau, directeur de la Fnil. En revanche, les signaux sont positifs pour 2010.»
La Fédération nationale des coopératives laitières (FNCL) est sur la même longueur d'onde. «Le prix augmentera, mais dans quelle ampleur, on se sait pas, résume Christelle Josse, sa directrice. Il est encore trop tôt.»
Deux éléments majeurs conditionnent aussi une amélioration: l'arrivée des stocks européens de beurre et de poudre sur le marché, et le résultat des négociations commerciales en cours avec la grande distribution. Les producteurs sont avertis: il faudra être patients et pas trop exigeants. Les industriels comptent d'abord se refaire une santé.
Bras de fer
La Fédération nationale des producteurs de lait (FNPL) «attend que l'amélioration des marchés se confirme» avant d'entamer le bras de fer des discussions pour 2010, explique son directeur, Gilles Psalmon, plutôt «optimiste». La FNPL avait réussi à décrocher un prix moyen en 2009 largement supérieur à ceux des voisins d'Europe du Nord.
Or le prix outre-Rhin est encore loin derrière ceux de l'Hexagone (lire encadré ci-dessous). Il sera sans doute difficile de faire passer une hausse d'ampleur.
Toujours exclues de l'interprofession, la Confédération paysanne et la Coodination rurale continuent d'exiger une réouverture de l'accord du 3 juin et leur participation aux discussions pour 2010. Elles ont lancé un ultimatum qui expire le 30 novembre. Faute de quoi les actions reprendront.
«Avec l'Association des producteurs de lait indépendants (Apli) et la Confédération, nous bloquerons les laboratoires d'analyses interprofessionnels, avertit Roger Noël, de la Coordination rurale du Morbihan. Celui de Châteaugiron (Ille-et-Vilaine) le sera le 1er décembre, celui de Saint-Lô (Manche) a déjà été bloqué les 20 et 24 novembre.»
Les éleveurs sont-ils prêts à se lancer de nouveau dans la bataille? Jean-François Guitton, responsable lait de la Confédération paysanne, en est convaincu.
«Les paies d'octobre ont fait atterrir les gens brutalement, explique-t-il. Le climat se tend de nouveau.» De son côté, l'Apli a repris ses réunions de terrain et compte bien faire son nid dans le paysage syndical.
France-Allemagne : un différentiel de prix encore importantPour la Fnil, les entreprises hexagonales n'ont pas encore rétabli leurs «positions concurrentielles». En effet, le différentiel de prix avec l'Allemagne reste important: presque 38 €/1.000 l de plus en France en octobre 2009. La situation pourrait vite s'améliorer. La tendance est à la hausse dans les pays d'Europe du Nord. En Allemagne, Nordmilch est remonté à 240 €/1.000 kg de lait en octobre, après être descendu à 219 € entre mai et août. Le belge Milcobel est revenu à 253 € en septembre, contre 216 € cet été. Mais c'est Friesland Campina (Pays-Bas) qui a enregistré la plus forte hausse, remontant à 266 € en septembre, après avoir dégringolé à 204 € en juin (contre 354 € en septembre 2008). Octobre devrait s'inscrire sur la même tendance. En revanche, le danois Arla Foods stagne à 245 € depuis mars (contre 376 € en septembre 2008). |
Entremont : les éleveurs ne veulent pas payer deux foisEntremont alliance a finalement revu à la hausse son prix du lait pour le mois d'octobre : 262 €/1.000 l, contre 243 €/1.000 l initialement. Et cela pour favoriser «le ralliement de tous les producteurs au projet de rapprochement avec Sodiaal», explique la lettre adressée aux éleveurs avec leur paie de lait. De son côté, Sodiaal a entamé un tour des départements bretons pour présenter son projet aux éleveurs, mais surtout leur expliquer comment ils seront intégrés dans le groupe. Comme dans toute coopérative, Sodiaal demande à chaque agriculteur une participation de 1,70 €/1.000 l pour entrer au capital social. Elle prélèverait en plus 3,8 €/1.000 l par an pendant sept ans au titre de la participation à la restructuration d'Entremont. «En contrepartie, nous garantissons un prix du lait national et nous conditionnons ce prélèvement à la performance de l'entreprise», a expliqué Frédéric Chausson, directeur développement chez Sodiaal. Une proposition qui passe mal auprès des éleveurs. Ils ont le sentiment d'avoir déjà donné ces dernières années. «Nous refusons le principe d'un droit d'entrée à fonds perdus», estime l'Association des éleveurs d'Entremont (AEBEA). Au fil des réunions, des voix se sont élevées pour demander que la proposition de Lactalis soit également exposée. Car le privé est toujours sur les rangs. Il a envoyé une lettre à l'AEBEA, proposant de reprendre la collecte pour une durée minimale de dix ans. Les producteurs seraient payés au prix des producteurs Lactalis et avec la même flexibilité. «L'accord d'exclusivité avec Sodiaal s'arrête fin novembre, il ne tient qu'à Lactalis de prendre contact avec la CNP d'Albert Frère, l'actionnaire majoritaire d'Entremont», répond l'AEBEA. Mais pour le trésorier de l'association, Ronan Jacques, «il faut que l'Etat s'engage à apporter les mêmes conditions de reprise qu'avec Sodiaal». Le temps presse, les marchés vont mieux et certains éleveurs suspectent Entremont de jouer la montre afin d'améliorer ses comptes sur le dos des producteurs et de revendre le fromager plus cher. Par Isabelle Lejas |