Les éleveurs attendaient beaucoup de la réunion des ministres européens de l'Agriculture, le 5 octobre à Bruxelles. Ils sont venus nombreux pour le montrer. Les 2.400 (selon la police) à 5.000 (selon les organisateurs) manifestants réunis à Bruxelles, leurs 700 à 1.000 tracteurs, leurs cloches, leurs drapeaux, leurs pétards et leurs lancers d'oeufs sur les vitres du bâtiment du Conseil de l'Europe... Tout cela n'a pas pesé assez lourd.

Aucune solution concrète pour sortir la filière laitière de la crise n'a émergé du «déjeuner informel» entre les vingt-sept Etats membres et la Commission. Aucune déclaration a minima non plus, qui aurait pu apaiser les manifestants.

La commissaire, Mariann Fischer Boel, s'est contentée d'annoncer la création d'un «groupe d'experts de haut niveau», chargé d'élaborer des mesures de moyen et long terme pour la filière d'ici à juin 2010.

Ces experts étudieront notamment la mise en place des «relations contractuelles» entre producteurs et transformateurs, ainsi que les moyens pour améliorer la transparence de la répartition des marges. Ou encore la création d'un marché à terme pour les produits laitiers, afin de «limiter la volatilité des prix».

Le tout sans revenir sur le bilan de santé de la Pac. Malgré ce manque d'ambition, Bruno Le Maire s'est félicité du résultat de la réunion. «Nous avons un signal politique fort en faveur de la régulation européenne du marché du lait», estime-t-il, puisque vingt Etats membres -la majorité qualifiée- sont «tous d'accord, sans aucune ambiguïté, pour construire une nouvelle régulation du marché du lait en remplacement des quotas». C'est-à-dire après 2015.

Les ministres bottent en touche

Mais en attendant ? Dans l'immédiat, aucune aide à court terme n'est envisagée. Mariann Fischer Boel a eu beau jeu de rappeler les mesures de soutien au marché déjà mises en oeuvre par la Commission: intervention, restitutions à l'exportation... Ces mesures commencent à «avoir de l'effet», au vu de la récente remontée des prix des produits industriels», estime-t-elle.

Du côté des éleveurs, c'est la douche froide. Les plus virulents sont les responsables de la Confédération paysanne. «Aucune décision sur une baisse des volumes, aucune bonne nouvelle sur le court terme, rien de concret sur le long terme, résume André Bouchut, trésorier du syndicat. Il y a urgence et on reporte les décisions, c'est inadmissible.»

Philippe Collin, le porte-parole du syndicat, fustige le «mépris des ministres et de la commissaire vis-à-vis des agriculteurs».

La Fédération nationale des producteurs de lait regrette que la ligne suivie par l'UE n'ait subi aucune inflexion. «L'Europe a décrété qu'elle ne s'occuperait plus des marchés, explique Henri Brichart, son président. La puissance publique régulera de moins en moins. Jusqu'en 2015, il y aura les quotas. Mais pour qu'ils soient réellement efficaces, il faut que les outils de gestion des marchés existants soient actionnés. Après 2015, il faut voir comment la filière est en capacité de s'organiser. Le problème est qu'à vingt-sept Etats membres, il est impossible d'avoir un objectif commun… Ce ne sera qu'un consensus.»

Des mesures insuffisantes

Le Copa-Cogeca se déclare «déçu» que le Conseil échoue à prendre des mesures. Il appelle à davantage de mesures de gestion des marchés et d'aide aux trésoreries pour le court terme, et à une contractualisation pour le long terme.

Paradoxalement, c'est le meneur de la grève, Pascal Massol, le président de l'Apli, qui semble le plus satisfait. «On a fait un pas, on parle désormais de régulation, plaide-t-il. Même s'il faut rester vigilants sur ce qu'il y a derrière les termes employés. En revanche, il manque des mesures à court terme. Il faut trouver des solutions pour les trois mois qui viennent.»

Le président de l'Organisation des producteurs de lait (Coordination rurale), Daniel Condat, accorde au groupe d'experts le bénéfice du doute. «Attendons de voir ce qui en sortira», temporise-t-il.

Pas de confiance excessive cependant, et pas question de s'endormir: «Ca va dans le bon sens, mais ce n'est pas suffisant. Il faut que le prix du lait remonte dès janvier prochain, pour donner des perspectives aux éleveurs. Sinon, il va y avoir le feu dans les campagnes.»

Les syndicats affirment que «leurs troupes restent mobilisées». La FNSEA a déjà lancé son mot d'ordre pour des manifestations le 16 octobre.

L'Apli, la Confédération paysanne et la Coordination rurale réfléchissent désormais à d'autres formes d'actions que la grève, qui associeront les autres productions agricoles. Et là, «le terrain est plein de ressources, les éleveurs ont beaucoup d'idées...», menace Daniel Coudat.

Seulement, les tensions qui régnaient à Bruxelles le 5 octobre augurent mal de la sérénité des débats à venir.

 

Le ministère propose une trame pour la contractualisation

Autre sujet, autre groupe de travail… Bruno Le Maire a réuni la filière laitière le 1er octobre, après une première rencontre le 15 juillet, pour travailler sur la contractualisation. Le ministère a distribué une fiche succincte, recensant seize points que devra contenir un contrat entre producteurs et transformateurs.

Trois aspects sont mis en avant: «le prix ou les modalités de détermination du prix», «la gestion des quotas laitiers ou des quantités de lait produit» et «la durée du contrat et le préavis de rupture». Le ministère suggère une durée de contrat d'au moins cinq ans.

Pour les volumes, la révision du contrat «devra être assortie de cliquets empêchant une réduction excessive des quantités à livrer». Sur les prix, «l'indexation pourra se référer aux indicateurs publiés par l'interprofession et/ou FranceAgriMer». Des groupes de travail ont été mis en place pour plancher sur les différents aspects. Le premier devait se réunir le 7 octobre.

«La FNPL attend des pouvoirs publics qu'ils veillent à ce que cette relation se fasse dans un cadre équilibré, et que les producteurs ne soient pas en position de faiblesse» face aux industriels, soulignait Henri Brichart, son président.

André Bouchut, de la Confédération paysanne, est méfiant. Il voit revenir un projet semblable à celui des coopératives. Daniel Condat, président de l'OPL, tranche: «On ne veut pas de contractualisation, on veut des conventions d'apports, limitées au volume», avec le minimum de contraintes, et un prix du lait défini par l'interprofession.

 

 

Entremont : vers l'absorption ?

L'hypothèse qui tient aujourd'hui la corde dans le rapprochement d'Entremont et Sodiaal est l'absorption du premier par le second. Cela aboutirait à la naissance d'une coopérative que contrôlerait Sodiaal, Albert Frère restant actionnaire. Des banques, le Fonds stratégique d'investissement, ainsi que d'autres fonds pourraient également entrer au capital.

Quant aux producteurs d'Entremont, il leur serait aussi proposé d'y souscrire. «Personne ne restera au bord du chemin, rassure Gérard Budin, président de Sodiaal. Tous les producteurs trouveront leur avenir pour leur production au sein de la future structure.»