Pas moins de 36.000 m² de panneaux photovoltaïques, une puissance de 4,5 mégawatts (MW), un investissement de 20 millions d'euros... les chiffres donnent le tournis.
Pourtant, pour Jean-Luc et Daniel Westphal, associés au sein du Gaec du Comté de Hanau à Weinbourg, dans le Bas-Rhin, leur installation hors norme s'inscrit dans la stratégie globale de leur exploitation.
Sous les toitures photovoltaïques de leurs hangars sécheront bientôt des cultures énergétiques. «Nous avons dimensionné notre projet en fonction de la surface nécessaire au séchage de 10.000 tonnes de biomasse», explique Jean-Luc.
Ce qui est aujourd'hui la plus grande installation solaire intégrée au bâti du monde, livre ses kilowattheures (kWh) à Electricité de Strasbourg (une filiale d'EDF) depuis mai 2009.
Des équipements venus de l'industrie
Les modules sont répartis sur cinq bâtiments neufs, dont les toitures mesurent 22 m de largeur. Trois présentent une longueur de 360 m et deux autres mesurent respectivement 200 et 160 m.
Les panneaux sont liés entre eux par des rails hermétiques assurant l'étanchéité des bâtiments. Ils sont assemblés sur une charpente en bois lamellé-collé, soutenue par des montants métalliques.
«Tout a été pensé pour maximiser la production d'électricité, précise Jean-Luc Westphal. Nous avons orienté les toits plein sud et les avons inclinés à 25° (soit 47 %).»
Un tel investissement incite au perfectionnisme. «Nous cherchons à garder le rendement des modules à leur optimum. Cela nécessite de les rafraîchir lors des fortes chaleurs», poursuit-il.
D'abord récupérée sur les toitures et stockée dans une fosse, l'eau de pluie est diffusée par aspersion sur les panneaux lorsque des températures trop importantes pourraient altérer leur efficacité.
Pour convertir le courant continu produit par 25.000 modules monocristallins en courant alternatif, il fallait des onduleurs à la hauteur de l'enjeu. C'est chose faite avec quatre appareils triphasés Siemens, chacun capable d'absorber 1,7 MW. Un transformateur et un poste de livraison de taille industrielle complètent l'équipement pour raccorder l'installation au réseau électrique.
1. Grande Échelle. Jean-Luc et Daniel Westphal (de gauche à droite) ont installé 36.000 m² de panneaux photovoltaïques sur des hangars de séchage et de stockage de biomasse.
2. Paysage. Les toitures photovoltaïques s'intègrent dans le paysage.
3. Abri. Sous les bâtiments sécheront des cultures énergétiques. Puis elles y seront stockées, comme ces balles de sorgho.
Comment trouver 20 millions d'euros
A projet pharaonique, budget colossal. Hanau énergie, la société créée par les associés pour des raisons fiscales et juridiques, devait trouver 20 millions d'euros pour investir dans la centrale photovoltaïque. Mission impossible? Rêve un peu fou? Ni l'un ni l'autre pour Jean-Luc Westphal, habitué à monter des projets de bioénergie.
«J'ai acheté une chaudière à céréales et posé le premier dossier de jachère énergétique en France il y a une dizaine d'années. J'ai ensuite cherché à produire un biocarburant de deuxième, voire de troisième génération», relate l'agriculteur.
Entre 2004 et 2005, il mène des essais et parcourt le monde à la recherche de méthodes satisfaisantes. Il abandonne faute de financements, avant d'envisager en 2006 la production de granulés combustibles à partir de biomasse.
Une telle activité exige de sécher les végétaux récoltés. Jean-Luc opte pour un séchage passif, sous hangar. Vient alors l'idée de les couvrir de panneaux solaires, afin que les recettes de l'électricité vendue (0,60 €/kWh) financent l'atelier biomasse.
En 2007, le Crédit agricole et Natixis décident de soutenir le projet à 95 % par des prêts bancaires. «Bien sûr, tout n'a pas été facile, concède Jean-Luc. L'accompagnement de Pierre Froeliger, un ami avocat, nous a aidés dans les négociations.» L'agriculteur estime le temps de retour sur investissement à onze ans.
Objectif biomasse
Les deux associés pensent d'ores et déjà à la suite de leur plan. Ils entendent consacrer leur SAU aux cultures énergétiques. «C'est notre alternative face à la baisse des prix des matières premières alimentaires», justifie Jean-Luc.
Lui et son frère cultivent aujourd'hui 200 ha de céréales, 7 ha de pommiers et élèvent 85.000 poules pondeuses de plein air. Cependant, quelques parcelles où poussent du miscanthus, du panic érigé et de l'igniscum prouvent que les frères Westphal ont enclenché le processus d'évolution de leur activité.
Elles constituent une plate-forme d'essais, suivis par le pôle d'excellence rurale Energies nouvelles. Stockées sous l'un des hangars, des balles de sorgho cultivé en dérobé montrent qu'ils n'en sont pas à leur coup d'essai.
«Même s'il nous faut créer la filière pour les granulés de biomasse, nous sommes convaincus que les débouchés existent, assure Jean-Luc Westphal. Dans un premier temps, nous en produirons quelques centaines de tonnes par an. A terme, l'objectif est d'atteindre 10.000, puis 20.000 t/an.»
Là encore, les chiffres s'emballent: la chaîne de production des granulés coûte 800.000 euros... Une somme à laquelle il faut ajouter le coût d'implantation des cultures énergétiques.
«Nous planterons 100 ha d'igniscum lors de la prochaine campagne. Cette espèce offre des rendements deux à cinq fois supérieurs à ceux du miscanthus, mais son implantation coûte 12.000 €/ha », calcule l'entrepreneur.
Quand s'arrêteront les frères Westphal? Peut-être lorsqu'ils auront trouvé le «fioul végétal». Leur dernière idée: torréfier les granulés. Selon Jean-Luc, monter le taux de matière sèche des pellets de 85 à 100 % améliorera leur efficacité énergétique de 30%.
4. Soleil et eau. L'eau de pluie recueillie sur les toits est stockée. Elle est pulvérisée sur les panneaux pour les maintenir à bonne température.
5. Architecture. Les rails entre les modules assurent l'étanchéité des hangars.
6. Onduleurs. Les quatre onduleurs de 1,5 MW siègent dans un local spécifique.
7. Igniscum. Jean-Luc Westphal fonde de beaux espoirs dans les cultures énergétiques, notamment celle de l'igniscum, à gauche, plus performante que celle du miscanthus, à droite.
Quand l'agriculteur devient installateur Pour concevoir son projet, Jean-Luc Westphal a traité directement avec des fournisseurs de matériel photovoltaïque, Suntech pour les panneaux et Siemens pour les onduleurs. Cette expérience l'a conduit à fonder la société à actions simplifiée Hanau énergie, qui installe des centrales photovoltaïques clés en main. La société emploie cinq personnes dans son service commercial et collabore avec 350 personnes sur le terrain (montage, bureau d'études...). Elle propose des centrales intégrées ou au sol à partir de 200 kW. Elle annonce des prix d'installation inférieurs à 4 € par watt crête et compte déjà des clients. Jean-Luc, qui exposera à Innov'Agri Grand Sud-Ouest en septembre, se consacre majoritairement à ce nouveau métier: gestion de projets, relation avec les clients et les fournisseurs... A cette activité s'ajoute une dimension pédagogique: l'un des bâtiments abrite une salle de conférences où l'on parle de photovoltaïque et où l'on sensibilise au développement durable. Daniel et Linda Westphal, eux, s'occupent de l'exploitation agricole. |
Aspect juridique: un montage complexeSur l'aspect juridique, Jean-Luc Westphal a conclu un bail emphytéotique avec la société Hanau énergie. Cette dernière loue les bâtiments au Gaec pour que les associés y stockent de la biomasse. Enfin, le Gaec vendra ses récoltes à l'entreprise, qui les transformera en granulés. |