1. Famille. «Quand on a une lourde charge, il est important de se sentir épaulé», souligne Olivier Delignières, ici avec ses parents, son épouse et sa fille.
2. Développement. L'objectif d'Olivier est de gagner du temps sur les travaux agricoles pour réfléchir aux moyens d'augmenter son chiffre d'affaires.
3. Risque potentiel. Une déchetterie est en projet à 400 mètres en aval de son forage et menace ses cultures irriguées.
La transmission de l'entreprise familiale aurait pu faire grincer des dents. «Je m'entends bien avec mon frère et mes soeurs, je ne voulais pas que cela change», assure Olivier Delignières, 28 ans et dernier d'une fratrie de sept enfants. A la grande satisfaction de son père, Christian, il s'est installé en 2004 après un BTS Acse et une licence professionnelle GE3A en gestion de l'entreprise agricole et agroalimentaire.
Christian Delignières l'avoue: «J'ai poussé Olivier à faire des études agricoles peut-être un peu malgré moi.» Il tenait à garder cet outil de travail dans la famille, et les autres enfants sont partis vers d'autres horizons. «Olivier est la sixième génération d'exploitant sur la ferme», déclare fièrement son père. Mais, pour lui, la reprise devait s'effectuer en toute transparence. «Mon souci était de transmettre une exploitation rentable à Olivier, sans que les autres aient le sentiment qu'elle avait été bradée.» Christian Delignières a donc fait estimer l'entreprise.
L'Union des experts agricoles et fonciers du Nord a imaginé, en 1986, une méthode qui combine la valeur substantielle ou patrimoniale et la valeur de rendement de l'entreprise. Chez Olivier, ce calcul a abouti à une valeur de rentabilité supérieure de 315.000 euros à la valeur patrimoniale de l'exploitation. «Afin de tenir compte des risques potentiels auxquels est exposée l'exploitation de Canny-sur-Matz (Oise), un coefficient de risque assez sévère de 0,48 a été appliqué (il est en général entre 0,5 et 0,9), explique Eric Desrousseaux, leur expert foncier. En effet, les terres sont en fermage, les sols très hétérogènes et surtout, une déchetterie est à l'étude à 400 mètres en aval des terres et du forage.»
« Si ce projet se concrétise, je ne pourrai plus me diversifier vers certains contrats "babyfood" (pommes de terre pour petits pots pour bébés) ou de légumes», souligne Olivier.
Transparence totale
Une réunion de famille avec tous les frères et soeurs, en présence de l'expert foncier, a permis d'expliquer la transmission et le montant de la repise. «Chacun a posé toutes les questions nécessaires à sa compréhension, puis donné son accord sur la base de mon estimation», raconte Eric Desrousseaux. Dès lors, le montage financier pouvait être envisagé.
Olivier a emprunté la quasi-totalité du montant de la reprise, avec un prêt JA pour 20%, un prêt familial pour 10% et un prêt ordinaire pour le reste. «Les modalités de remboursement du prêt familial sont assez souples, reconnaît Olivier. Je rembourse mes parents en fonction des dividendes et des bonnes années.
L'objectif est de toujours avoir une trésorerie importante car je stocke mes céréales.» Dans le même esprit, le compte courant des parents dans la SCEA, rémunéré sur la base de 3,5%, est toujours créditeur de quelque 90.000 euros. «J'essaie de rembourser 20.000 euros par an.» Olivier a également racheté, avec sa femme, la maison familiale et le corps de ferme, qu'ils ont financés avec un prêt in fine .
Pari tenu
Dans son estimation, l'expert a assuré un EBE (excédent brut d'exploitation) de 230 €/ha, à charge ensuite pour Olivier de travailler pour l'améliorer. Pari tenu: après un résultat en baisse les premières années d'installation, il affiche fièrement un EBE moyen de 620 €/ha. «Je décolle enfin, bien qu'il faille prendre en compte le prix des céréales», relativise Olivier.
Aujourd'hui, parents et enfants réfléchissent, avec Eric Desrousseaux, à la transmission du foncier: 150 hectares en propriété. Ils s'orientent vers un partage des terres, grevées de baux à long terme au profit d'Olivier. «Nous avons écarté le GFA (groupement foncier agricole) car il est plus facile de vendre des hectares que des parts de GFA à un investisseur étranger», souligne l'expert.
Une transmission en deux temps pour éviter d'assommer Olivier. «Quand on s'installe, on espère toujours acheter le plus tard possible», reconnaît-il. Mais il est prêt à racheter le foncier à ses frères et soeurs s'ils avaient besoin de vendre, comme son père l'a fait avant lui. «En fin de carrière, pour sécuriser l'exploitation, j'ai emprunté et racheté leurs terres», explique Christian.
Dégager du temps pour développer l'entreprise
Pour la gestion de son entreprise, Olivier a fait d'autres choix que son père. «En remplaçant une partie du matériel, j'ai fait l'économie d'un mi-temps.» Olivier n'a plus qu'un seul salarié, fils d'agriculteur, avec qui il a passé un contrat moral de cinq ans. «Il fait des heures supplémentaires, je le paie plus et lui fournis un travail plus intéressant.» Le tout grâce à un matériel renouvelé: un pulvérisateur dont le débit de travail est le double du précédent et un tracteur de 300 ch en remplacement de celui de 170 ch afin d'avoir un chantier autonome pour les semis de céréales. «En 2007, j'ai aussi refait l'installation du séchoir à céréales, ce qui m'a permis une économie d'énergie de 30%», raconte Olivier.
Son objectif: gagner toujours plus de temps sur les travaux agricoles pour se consacrer au développement de son entreprise. «J'ai besoin de réfléchir aux moyens d'augmenter mon chiffre d'affaires.» Olivier consulte son conseiller de gestion deux ou trois fois par an. Lorsqu'il s'est installé, il s'est donné cinq ans pour faire son expérience puis être en mesure de développer l'entreprise.
«Je ne me suis pas trompé. Je prends mes décisions plus vite aujourd'hui.» Il peut passer à la phase suivante. Pour l'y aider, son père n'est jamais très loin. Les deux hommes s'appellent presque quotidiennement. Olivier sait qu'il est d'un tempérament stressé: «J'ai toujours besoin de son expérience. Et quand on a une lourde charge comme la mienne, moralement, c'est important de se sentir épaulé.»
Prochaine étape, s'adapter à la réforme de la Pac. Olivier compte bien limiter la chute de son revenu (100.000 euros en 2008). Confiant, il croit en une remontée des cours des céréales tout en réfléchissant aux moyens de diluer les charges et de valoriser ses céréales. «J'ai la chance d'avoir une exploitation qui a des capacités financières. Je peux entreprendre de petits projets sans mettre en péril la ferme.» Dans quelques années, restera à transmettre une entreprise florissante à l'un de ses futurs enfants. Pour l'instant, Sixtine n'a que six mois.