«La luzerne est un précédent qui laisse de forts reliquats azotés. Du coup, la gestion de la fertilisation du blé suivant s'en trouve sensiblement modifiée.» Thierry Tuziak installé sur la SCEA des Sapins à Saint-Georges-sur-Arnon, dans l'Indre, en a fait l'expérience en 2008. Ce jeune agriculteur cultive 169 hectares de terres argilo-calcaires et d'argiles blanches irrigables aux trois quarts. Grâce à cette eau, la luzerne porte-graines et fourrage (11 ha) a été introduite depuis le début des années 2000, de même que les carottes porte-graines. Avec une majorité de blé tendre et dur, d'orge et de colza, le reste de l'assolement est plus classique pour la région.

Après deux à trois ans d'exploitation, la luzerne est détruite mécaniquement - chisel puis labour durant l'été - et le blé implanté à la date habituelle. Royssac et Caphorn étaient les deux variétés retenues la campagne dernière. «Courant janvier, nous établissons notre plan prévisionnel de fumure pour l'ensemble des cultures, à l'aide du logiciel Scan,» explique Thierry Tuziak. En 2008, les doses totales selon la méthode du bilan s'établissaient entre 160 et 185 unités par hectare pour un objectif de rendement de 75 q/ha. L'agriculteur a alors choisi un fractionnement en quatre passages de 40 à 45 u/ha entre le 30 janvier et le 15 avril, les trois premiers passages sous forme de solution azotée, le quatrième sous forme d'urée 46. Les blés ne sont pas régulés, à l'exception des bordures qui reçoivent un simple C5.

Fin montaison, le jeune agriculteur réalise un diagnostic de nutrition azotée à l'aide d'une mallette N-Tester achetée en copropriété. Il attend pour cela que le dernier apport ait reçu les 15-20 mm nécessaires à son effet. «A la suite de ce contrôle, le N-Tester a préconisé un dernier apport de 40 unités par hectare au stade dernière feuille du blé, que nous avons réalisé», poursuit Thierry Tuziak. Mais dans la quinzaine suivante, les températures ont connu une nette remontée. Celle-ci a provoqué une forte minéralisation de l'azote organique laissé par la luzerne. Le blé s'est certainement retrouvé en surfertilisation, car la paille est demeurée très verte jusqu'à la moisson.

«Cette minéralisation a entraîné de grosses difficultés de récolte, des bourrages notamment, et réduit la vitesse d'avancement de la moissonneuse à 1 km/h ! se souvient le jeune agriculteur. Toutefois, ceci ne doit pas occulter le point le plus positif de l'expérience, à savoir un rendement de 85 q/ha pour une teneur en protéines de 12,4%, alors que la même variété en précédent blé décrochait de 15 q/ha, pour une teneur en protéines de seulement 10%.»

 

Une expertise à la parcelle

«Dans la méthode du bilan,incontournable pour calculer une fertilisation azotée, l'effet précédent des légumineuses est pris en compte via une fourniture d'azote de 20 à 30 kg/ha, explique Jean-Pierre Cohan, ingénieur Arvalis en charge de la fertilisation. Le cas de la luzerne est particulier, puisqu'on estime qu'une culture en place pendant trois ans fournit de 60 à 70 kg/ha d'azote qui se répartissent sur la culture suivante, mais aussi sur celle d'après. En effet, la minéralisation de l'azote débute dès le retournement à l'automne et se poursuit pendant seize à dix huit mois, au gré des conditions climatiques. Lorsqu'on utilise un outil de pilotage, celui-ci nous indique l'état de nutrition à l'instant T. Le conseil qui en découle doit donc être associé à une expertise à la parcelle: Suis-je confronté à une carence temporaire due à un manque de pluie depuis le dernier apport ? Compte tenu de la dose déjà épandue, ai-je bien pris en compte mon effet précédent luzerne qui n'a peut-être pas entièrement joué ?...»

 

 

Crucifères

Après destruction d'une vieille luzerne, la minéralisation des résidus peut se poursuivre pendant dix-huit mois. Afin de limiter les pertes d'azote, l'installation d'une crucifère est préconisée pendant l'interculture qui suit le blé de luzerne.