«Il n'est pas rare que des camions s'arrêtent ici en pensant arriver à la coop », glisse Daniel Seguin, agriculteur à Saint-Georges-des-Coteaux, en Charente-Maritime, en s'approchant de ses silos, à quelques centaines de mètres de sa ferme. On ne blâmera pas les chauffeurs, tant l'imposante infrastructure ressemble aux bâtiments habituellement réservés aux organismes stockeurs. Le silo constitue l'aspect le plus visible du bouleversement qu'a connu l'exploitation depuis que Daniel s'est lancé, en 1989, dans la commercialisation en direct de ses céréales et la prestation de stockage.

 

«L'idée de commercialiser en direct ma récolte m'est venue au contact d'agriculteurs qui avaient fait ce choix et dégageaient une bonne valeur ajoutée, raconte Daniel Seguin. Initialement, l'objectif était d'accéder au marché de soudure du maïs, qui nécessite d'être très réactif et de disposer d'au moins 500 tonnes pour intéresser les clients.» Difficile de rassembler en deux jours un tel volume sur une seule ferme: l'exploitant propose donc à deux collègues de lui prêter main-forte. Dès le départ, il décide d'investir dans une infrastructure de stockage conséquente, et développe une activité de service pour les agriculteurs souhaitant eux aussi reprendre en main l'activité de vente. «Je propose une prestation de stockage mais je n'achète pas le grain, précise Daniel Seguin. Chacun reste maître de la commercialisation de ses cultures.» Le coût facturé varie de 2 à 5 €/t selon la culture et la durée de stockage, avec une modulation selon le calibrage pour l'orge brassicole.

Proximité des ports

D'un noyau dur initial de trois exploitants, le groupe grossit rapidement pour atteindre une quinzaine de «livreurs». Orge, blé dur, maïs et blé tendre commencent à affluer, et une véritable collaboration s'instaure au sein du groupe. «Dans la région, nos parents travaillaient déjà ensemble pour partager le matériel et s'entraider sur les chantiers d'ensilage, explique Vincent Delamarlière, installé lui aussi à Saint-Georges-des-Coteaux. Ici, cette culture du travail en commun existe depuis quarante ans.»

Pour les céréaliers du secteur, la vente directe est une solution séduisante: les ports de La Palice, à 70 km, et de Tonnay-Charente, à moins de 20 km, sont une porte ouverte sur l'export. Les agriculteurs du groupe traitent directement avec un négociant et, pour certains contrats, se chargent de faire acheminer eux-mêmes les livraisons au port ou vers leurs clients industriels via une entreprise de transport basée non loin du silo. «Dans ces conditions, le coût logistique et la marge du négociant ne se montent qu'à 5 €/t pour un maïs à 149 €/t rendu La Palice», calcule Daniel Seguin. Hormis pour les contrats nécessitant des volumes trop importants pour être supportés par une seule exploitation, chacun gère ses ventes. «Il y a ceux qui optent pour la sécurité et ceux qui sont joueurs jusqu'au bout, constate Daniel. Mais, dans tous les cas, s'affranchir du prix de campagne n'est pas sans risque: on peut faire un bon coup une année, et le mauvais choix la suivante.»

L'atout qualité

Pour transformer l'atout géographique en valeur ajoutée, la prestation de Daniel Seguin – qui a créé une SARL – va plus loin que le simple stockage. Elle comprend aussi le rattrapage des lots de mauvaise qualité, grâce à des assemblages judicieux. L'important volume collecté facilite ainsi l'obtention de lots de qualité homogène. «A moi de me débrouiller pour que les lots soient aux normes exigées par les clients», résume Daniel. Cet art du mélange, impossible à mettre en oeuvre individuellement dans chaque exploitation, donne accès à des débouchés rémunérateurs. Daniel Seguin ne cache pas sa satisfaction de n'avoir jamais eu à déplorer de déclassement des orges de brasserie, sauvant au passage les parcelles non irriguées. Seules les orgettes partent en orge fourragère après un passage dans le calibreur dont est équipé le silo. Cette stratégie paie aussi pour le blé dur: l'assemblage d'un lot au poids spécifique trop bas mais très bon en protéine avec un autre présentant le profil inverse permet d'obtenir un chargement de bonne valeur marchande.

Au moment de la livraison, à la récolte, chaque agriculteur édite son ticket au pont-bascule, puis fait un échantillon, détaille Daniel Seguin. Pour l'orge brassicole, il faut tamiser son échantillon afin de connaître la part d'orgette et savoir s'il faut la vider dans la case des orges de bonne qualité ou celle réservée aux plus médiocres.»

Malgré cette rigueur individuelle, le système dispose d'une grande souplesse. A l'automne, c'est elle qui permet de réduire les coûts en optimisant l'utilisation du séchoir à maïs. «Nous nous organisons pour qu'il fonctionne cinq à six semaines sans interruption, explique Daniel. Si je vois que les livraisons diminuent, j'appelle les collègues pour savoir qui peut récolter rapidement pour maintenir le rythme.»

Le groupe sait faire preuve de la même réactivité lorsqu'il s'agit de saisir un contrat. Il y a quelques semaines, Daniel Seguin s'est vu proposer une offre pour de l'orge brassicole à 185 €/t récolte 2007, mais il fallait s'assurer que la sole emblavée au printemps serait suffisante. «Tout a été réglé en une matinée et quelques coups de fil. C'est sûr que, entre nous, le téléphone fonctionne beaucoup», plaisante-t-il, avant d'avouer: «Je m'ennuie à ne faire que du tracteur. Dès qu'il s'agit de gérer et d'organiser, là je m'amuse beaucoup.»

 

POINTS FORTS

POINTS FAIBLES

Diversification grâce à la prestation de services

Valorisation de la qualité

Accès à certains marchés grâce à la quantité

Investissement lourd

Activité gourmande en temps

Adaptation difficile aux nouvelles normes

 

 

Une capacité de stockage de 7.000 tonnes

L'exploitation de Daniel Seguin peut accueillir 7.000 tonnes de grains, dont 2.000 tonnes dans une douzaine de cellules, et le reste en stockage à plat. Le silo a été équipé d'un séchoir à maïs, d'un calibreur pour l'orge et d'un pont-bascule. Des investissements lourds, mais que la prestation de service permet d'amortir plus facilement. «La plupart des éléments comme le calibreur, l'élévateur ou le pont-bascule coûtent la même somme à l'achat, qu'ils soient utilisés par un ou par dix», explique Daniel Seguin. Au total, les installations et les aménagements successifs ont englouti plus de 300.000 euros. Mais, pour l'entrepreneur, «rien n'est jamais terminé». Prochain défi: gérer les nouvelles normes de commercialisation telles que celles encadrant la teneur en mycotoxines.