Un bouleversement dans le paysage de la commercialisation des céréales? Peut-être pas. Il n'en demeure pas moins que le récent assouplissement des règles d'accession au statut d'organisme collecteur va au-delà de la mesure symbolique. Le 15 mai dernier paraissait au «Journal officiel» un décret «relatif au régime de la collecte des céréales et portant modification du titre II du livre VI du code rural». Derrière ce titre obscur se cache une nouveauté de taille: le texte de loi, l'un des tout derniers signés de la main de l'ancien ministre de l'Agriculture, Dominique Bussereau, supprime l'exigence d'une capacité de stockage minimale pour les demandeurs de «l'agrément Onic».
Cet agrément, délivré par l'Office national interprofessionnel des grandes cultures (OniGC, ex-Onic), est obligatoire pour exercer le métier de collecteur de céréales, également appelé organisme stockeur (OS). Pour y prétendre, il était indispensable avant le 15 mai de disposer d'une capacité de stockage d'au moins 5.00 tonnes sur le site de stockage principal. Seule exception: les structures situées dans les «zones défavorisées» où le seuil était abaissé à 500 tonnes.
A l'OniGC, on soutient que le «dépoussiérage» de la loi était entamé depuis quelque temps déjà. Nul doute cependant que l'avis motivé adressé à la France en décembre dernier par la Commission européenne a conduit les autorités nationales à une plus grande célérité dans l'usage du plumeau. Bruxelles estimait en effet que certaines conditions imposées par la loi française constituaient des «restrictions incompatibles avec la liberté d'établissement et la libre prestation des services».
Pré carré
Parmi ces «restrictions», la capacité de stockage était en bonne place dans le collimateur, tout comme la possibilité pour les membres du comité régional de l'OniGC, constitué notamment d'OS, de «porter un jugement sur l'aptitude du demandeur», voire de refuser l'agrément.
Bruxelles s'était ainsi ému de cette réglementation «obligeant les négociants en céréales à obtenir une autorisation de la part d'une institution où sont représentés des concurrents potentiels». Cette position trouvait d'ailleurs un écho sur le terrain. De nombreux agriculteurs voyaient dans cette procédure un moyen pour les entreprises déjà en place de préserver leur pré carré en barrant la route aux nouveaux venus. Le récent décret met fin à cette ambiguïté: il reviendra au directeur général de l'OniGC d'attribuer l'agrément, en déléguant éventuellement cette responsabilité au directeur régional, sans que le comité décentralisé soit consulté.
La disparition de ces verrous ne suscitera probablement pas un déferlement de candidatures, mais elle suscitera certainement la réflexion chez certains agriculteurs. «Devenir OS était pour moi totalement inenvisageable avec la contrainte du stockage de 5.000 tonnes, mais avec la suppression de cette règle, cela mérite de s'y pencher», témoigne ainsi un producteur déjà très impliqué dans la vente de ses céréales. Pour, ceux qui, comme lui, ont mis un pied dans la commercialisation, l'agrément OniGC peut constituer un sésame ouvrant la porte de débouchés n'acceptant de faire affaires qu'avec des organismes collecteurs.
Dans les zones frontalières, l'ancien règlement rendait également difficile la vente de marchandise à des entreprises situées dans le pays voisin, en raison de la taxe affectée à l'OniGC, due par le producteur de céréales et collectée par l'OS. Cette nouvelle donne pourrait aussi faciliter la commercialisation de grains entre céréaliers et éleveurs et contribuer à la création de filières locales courtes.
Assouplissement, mais pas exemption
Mais attention, «on reste dans un dispositif où il faut passer par des collecteurs agréés», met en garde Bruno Hot, le directeur général de l'OniGC. Pas question de vendre ses céréales au voisin en dehors de ce cadre: l'un ou l'autre doit disposer de l'agrément. Et pour Bruno Hot «assouplissement des règles ne veut pas dire exemption, il n'est pas simple de devenir commerçant quand on est agriculteur».
Outre l'inscription au registre du commerce avec le statut de commerçant, l'agriculteur souhaitant se coiffer de la casquette d'OS devra également s'acquitter de certaines obligations gourmandes en temps et exigeantes en savoir-faire, comme la tenue d'une déclaration statistique sur les flux de marchandises (lire l'encadré ci-dessous).
«S'il s'agit de devenir OS pour vendre au même prix qu'avant, c'est beaucoup de travail pour rien, prévient un exploitant qui a franchi le pas il y a quelques années. Il est indispensable d'avoir accès à des marchés avec une plus-value.»
Le «dépoussiérage» est même trop superficiel de l'avis de la Coordination rurale, qui milite de longue date pour la «libre commercialisation des grains». «Le silo a accouché d'une souris», peste Nicolas Jacquet, présidant l'Organisation des producteurs de grains affiliée au syndicat. «On ne peut toujours pas vendre ses céréales alors que l'on peut acheter directement son vin chez un viticulteur, s'étonne-t-il. La France a fait le minimum pour rentrer dans les clous après l'avis motivé de la Commission européenne, mais il n'est pas impossible qu'une nouvelle plainte puisse encore faire bouger les choses.»
L'éternelle question du silo à moitié vide ou à moitié plein.
Livraison directe: oui, commercialisation directe: nonSi le nouveau décret autorise les producteurs de céréales non OS à livrer directement leurs marchandises à un utilisateur, ce n'est que dans le cadre d'une transaction effectuée par l'intermédiaire d'un organisme collecteur dûment agréé, qui établit le contrat et la facturation. Selon l'administration, des réflexions ont été menées pour «faciliter les échanges entre producteurs en dehors des OS», notamment par le biais de dérogations, mais le ministère aurait estimé que cela était impossible avec la loi actuelle. |
LES OBLIGATIONS DE L'ORGANISME COLLECTEUR- Le statut de commerçantAvant de déposer son dossier de demande auprès de l'OniGC, il faut être inscrit au registre du commerce et pouvoir justifier du statut de commerçant. Cela passe donc souvent par la création d'une nouvelle structure, les entreprises à vocation de production agricole (comme l'EARL) ne répondant pas à ce critère. - Le stockageLa réglementation n'impose plus de capacité minimale de stockage pour obtenir l'agrément « organisme collecteur». Théoriquement, il est donc possible d'exercer cette activité sans posséder le moindre silo. Néanmoins, « la plupart des collecteurs sont des stockeurs, et l'on ne délivrera pas d'agrément à quelqu'un dont les infrastructures de stockage présentent un risque important de dégradation de la marchandise», précise l'OniGC. - Les taxesLa taxe affectée à l'OniGC est due par tous les exploitants agricoles producteurs de céréales, et est assise sur les quantités de grains livrées. Il revient aux OS agréés de collecter cette taxe et de la verser à l'administration des douanes. Les OS recouvrent également la cotisation volontaire obligatoire (CVO). - La tenue de statistiques des fluxLa réglementation stipule qu'afin « d'établir et de fiabiliser les bilans céréaliers nécessaires au bon fonctionnement et au suivi des marchés par les autorités nationales et communautaires concernées, les collecteurs agréés adressent à l'OniGC des déclarations statistiques sur les flux, stocks et utilisations des grains collectés établies selon les modèles fixés, en conformité avec les instructions et la périodicité requise par l'Office». |