Voilà plus de dix ans que l'Inra, les instituts techniques et les chambres d'agriculture ont lancé l'analyse de l'herbe pour mieux appréhender la fertilisation en phosphore (P) et potasse (K) des prairies. Elle peine néanmoins à détrôner l'analyse de terre dans les exploitations. Pourtant, elle est plus appropriée. «Sous prairie, ces éléments minéraux sont répartis de façon relativement hétérogène dans le sol, et tout particulièrement le phosphore, souligne Alain Besnard, d'Arvalis-Institut du végétal. Il est concentré dans les premiers centimètres du sol. Dans ces conditions, il est difficile d'effectuer un échantillonnage de ce dernier pour une analyse représentative. Cette difficulté n'a pas encore été résolue.» En d'autres termes, une analyse du sol peut indiquer une prairie pauvre en phosphore et potasse alors qu'en réalité, la disponibilité de ces éléments est satisfaisante. L'inverse ne se vérifie pas. «A contrario, l'analyse de l'herbe reflète l'absorption insuffisante ou excessive de phosphore et de potassium des plantes. Elle rend compte de la richesse ou de la pauvreté de la prairie en P et K et de son aptitude à les prélever.»
Les résultats d'analyse sont restitués sous forme d'indices. Ils s'étagent généralement entre 80 et 120. «Ils traduisent l'état de nutrition de l'herbe en P et K par rapport à un niveau non limitant», explique Patrice Pierre, de la chambre d'agriculture de la Mayenne. Leur niveau peut être interprété grâce à une grille de lecture.
Ainsi, avec un indice inférieur à 60, l'état de nutrition en P ou K de la prairie est jugé très insuffisant, insuffisant entre 60 et 80, satisfaisant entre 80 et 100, très satisfaisant entre 100 et 120, et excédentaire à plus de 120. Patrice Pierre développe cette méthode auprès des éleveurs mayennais depuis 1999, avec le Contrôle laitier. Il a réalisé un total de 532 diagnostics.
Raisonner l'imapasse
«La grande majorité des prairies est bien pourvue», observe-t-il. Plus précisément, 45% des prairies analysées enregistrent un niveau très satisfaisant et 15% sont excédentaires. Ceci alors que, grosso modo, 30% sont en situation normale. «L'analyse de l'herbe valide ou infléchit la pertinence de la pratique. Elle ne calcule pas la dose à apporter», précise Patrice Pierre. Il revient ensuite à l'éleveur d'ajuster sa fertilisation en fonction du mode d'exploitation de la parcelle (pâturage, fauche ou pâturage + fauche), du type de sol (sableux ou non), de la répartition entre cultures et prairies des fumiers et lisiers, etc. Comme l'analyse de l'herbe est réalisée au printemps, en pleine pousse de l'herbe (voir l'encadré), l'aboutissement de cette réflexion sera appliqué à la campagne suivante. Dans tous les cas, elle est encadrée par un plafond d'apports. Il a été en effet établi qu'au-delà de 60 unités de phosphore et 150 unités de potasse par hectare, le rendement de la prairie n'augmente pas. «Il y a une vingtaine d'années, les doses préconisées étaient deux fois plus élevées, rappelle le conseiller. Elles étaient définies à partir des exportations en éléments nutritifs des plantes. Seulement, les prairies sont capables d'absorber des quantités importantes de P et K sans que cela leur soit nocif. Il s'agit de consommation de luxe.»
«Or, à partir de l'indice de 100, la prairie est en consommation de luxe, précise Alain Besnard. Des impasses sont conseillées, qu'elles soient organiques ou minérales. Contrairement à l'azote, le phosphore et la potasse des fumier et lisier sont libérés aussi rapidement que ceux fournis par un engrais minéral.» L'impasse en P ne peut pas dépasser trois ans, celle en K deux ans. «Des prairies avec un indice de 120 pour les deux éléments ont été suivies après l'arrêt de la fumure, explique-t-il. Au bout de deux ans, l'indice K atteignait la tranche satisfaisante (entre 80 et 100), alors que l'indice P la rejoignait au bout de trois.» Avec des indices supérieurs à 100, l'impasse est surtout recommandée sur prairies pâturées. En usage fauche + pâture, un apport d'entretien, organique ou minéral, n'excédant pas de 30 à 50 unités de phosphore à l'hectare et de 80 à 100 unités de potasse à l'hectare, une année sur deux, peut être envisagé. «Si l'éleveur souhaite intensifier la conduite d'une prairie qui présente un état nutritionnel satisfaisant, il peut tester sur une bande d'au moins 5 m x 15 m une dose supplémentaire d'azote de 100 unités/ha, ajoute Alain Besnard. Il compare ensuite les résultats d'analyse de l'herbe avec ceux obtenus sur le reste de la parcelle. Des résultats équivalents indiquent une réserve nutritionnelle correcte.»
Penser à l'animal
La fertilisation pratiquée jusque-là peut être maintenue. En revanche, si les indices de la bande "azote" baissent, il faut apporter un complément.» Au-delà de la gestion du potentiel de production, le diagnostic foliaire met en évidence la valeur alimentaire de l'herbe. Or, un excès en éléments nutritifs peut être pénalisant pour l'animal. Le risque le plus important concerne la potasse. «Elle peut interférer avec le sodium, le manganèse et surtout le magnésium, précise Patrice Pierre. L'excès gène leur absorption et donc provoque des carences induites.» Ce phénomène est à prendre particulièrement en compte au printemps, car l'herbe jeune manque elle-même de sodium et d'oligo-éléments. Outre la tétanie d'herbage, peuvent se produire une baisse de la production et des troubles de la reproduction.
Comment réaliser les prélèvements d'herbe?L'échantillonnage d'herbe est effectué au printemps, en pleine pousse. Cela esquive ainsi les stress pouvant perturber la croissance de l'herbe. En prairies temporaires, il faut cibler celles implantées depuis au moins deux ans. Des poignées coupées à la cisaille à 5 cm du sol sont prélevées tous les dix à vingt pas, en parcourant les deux diagonales de la prairie ou en y suivant un tracé en W. Evitez les bouses et les pissats. Les poignées sont mélangées en un échantillon de 500 g. Auparavant, le trèfle aura été ôté car la méthode a été élaborée sur graminées pures. Si l'échantillon n'est pas envoyé dans la journée au laboratoire, il faut le stocker au plus vite au congélateur. Pour éviter d'analyser l'ensemble des prairies, on peut choisir les parcelles les plus contrastées. Coût de l'échantillon: 40 €. |
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Témoignage: THIERRY SABIN, en EARL à Bonchamp-les-Laval, dans la Mayenne (1)
«Je vérifie la dynamique du sol»
Thierry Sabin appuie la fertilisation de ses prairies sur l'analyse de sol, sans savoir si elles valorisent bien les éléments minéraux apportés. L'analyse de l'herbe lui fournit cette information.
Une prairie doit recevoir un maximum de 60 unités de potasse et 150 unités de phosphore par hectare et par an. Thierry Sabin ne veut pas appliquer ces barèmes à l'aveuglette. Il s'appuie sur la richesse en éléments nutritifs de ses sols pour définir la stratégie de fertilisation des prairies. C'est que plus de la moitié de sa surface est composée de prairies temporaires. Pour cela, tous les cinq ans, chaque parcelle fait l'objet d'une analyse de terre. Cette fréquence n'a pas été déterminée au hasard. Elle correspond à la rotation prairie-cultures des parcelles. «Les analyses de terre fournissent un état des lieux mais ne donnent aucune indication sur la vie du sol, c'est-à-dire sur la mobilité des éléments minéraux et leur prélèvement par la plante. C'est l'analyse de l'herbe qui apporte ces informations.» L'éleveur ne souhaite pas remettre en cause l'outil de décision qu'est l'analyse de terre. Il veut l'affiner par une approche plus dynamique. Il a donc effectué deux diagnostics foliaires sur des prairies qui ne le satisfaisaient pas.
Le premier a été réalisé en 2004, par la chambre d'agriculture de la Mayenne, sur une prairie uniquement fauchée. Eloignée du siège, elle ne reçoit que des engrais chimiques. «L'analyse de terre montrait une teneur en phosphore quasi dans la norme et une prairie pauvre en phosphore. Pour y remédier, j'apportais une fertilisation d'entretien de 60 unités de phosphore par hectare et 145 unités de potasse par hectare. Comme l'analyse de l'herbe a confirmé l'analyse de terre, j'ai maintenu ces doses.»
Le deuxième diagnostic foliaire s'est produit en 2006 sur une prairie à usage mixte, fauche et pâturage. Les analyses de terre relevaient un sol très bien pourvu en phosphore et légèrement pauvre en potasse. Avec un indice de 123, l'analyse de l'herbe a validé l'état nutritionnel excédentaire en phosphore (P). En revanche, elle a révélé une situation satisfaisante en potasse (K) (indice de 98). La chambre d'agriculture lui a donc conseillé d'apporter 10 t/ha de compost une fois tous les deux ans, au lieu d'une fois par an, les restitutions des animaux au pâturage permettant de maintenir un état nutritionnel favorable.
Plus globalement, Thierry utilise surtout le compost comme engrais de fond des prairies. Une façon de répartir au mieux les déjections animales. «Avec 10 t/ha/an, les prairies fauchées sont prioritaires. Celles pâturées autour des bâtiments n'en ont pas besoin. Les autres en reçoivent tous les deux ou troi sans selon la disponibilité en compost.»
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(1) L'exploitation: EARL à 2,5 UTH, 55 ha, dont 32,6 de prairies temporaires multiespèces, 2,4 de luzerne, 3 de prairies permanentes, 10 de maïs et 7 de céréales;
410.000 litres de quota en société civile laitière, dont 330.000 litres de l'EARL; 50 vaches
Attention, ce n'est pas toujours fiableL'herbe est un indicateur de l'état nutritionnel du sol plus fiable que l'analyse de terre. En effet, le suivi de quatre-vingt-six prairies en 1999 et 2000 montre que, dans un cas sur deux, si l'analyse de terre donne un sol pauvre en potassium, celle de l'herbe indique une situation qualifiée de normale à excédentaire. «Le prélèvement de terre, plus ou moins en profondeur, est source d'erreurs d'interprétation», commente Patrice Pierre, de la chambre d'agriculture de la Mayenne. De son côté, le phosphore est concentré en surface, ce qui accroît les difficultés d'échantillonnage. |