Alors, vaccinera ou ne vaccinera pas? Les services du ministère affirmaient encore à la mi-janvier, code rural à l'appui, que les éleveurs ne pourraient pas vacciner leurs animaux contre la fièvre catarrhale ovine (FCO). Et voilà que, le 23 janvier, le ministre annonce une expertise juridique sur le sujet. Tout cela ajoute un peu plus à la cacophonie ambiante. De leur côté, les éleveurs, qui ont bénéficié de peu de soutiens financiers jusque-là, se voient pourtant bien tenir la seringue... plutôt que de la laisser aux vétérinaires, qui, pour cet acte, empocheraient 110 millions d'euros.

L'horizon est censé se dégager: les pouvoirs publics attendent les premières livraisons, à la fin de mars, du vaccin contre le sérotype 8 du virus. Quant au sérotype 1, ils annoncent la vaccination dès mars d'un million de petits ruminants et de 700.000 bovins dans les quatre départements du Sud-Ouest réglementés. Sur le papier, les priorités retenues par l'Administration dans sa stratégie vaccinale reçoivent globalement l'agrément de tous.

C'est lors du passage à la pratique que tout se complique. Le principal écueil, ce sont les 110 millions d'euros annoncés par le ministère pour la vaccination. «C'est le montant qui nous a fait réagir, insiste Philippe Babaudou, responsable de la commission de la viande bovine au sein de la Confédération paysanne. Il est difficilement justifiable aux yeux d'éleveurs qui n'ont toujours pas été indemnisés pour les mortalités. Les sommes débloquées au titre du Fonds d'allègement des charges sont consommées, et rien n'est prévu pour les autres pertes comme celles liées à la fertilité.»

Seules les rumeurs de revalorisation de l'indemnisation pour les animaux morts à cause de la FCO se précisent. Le directeur de cabinet de Michel Barnier l'a confirmé le 17 janvier devant l'assemblée générale de la Fédération nationale des groupements de défense sanitaire (FNGDS). Mais, depuis, c'est le silence radio.

Revenons au sujet qui fâche: la vaccination. «Le paquet hygiène responsabilise l'éleveur, note Jean-Pierre Fleury, vice-président de la Fédération nationale bovine (FNB). Il institutionnalise les visites du vétérinaire et devrait aboutir à la délégation de certaines tâches à l'éleveur infirmier. Et voilà qu'au moment de passer à l'application, cela coince.»

De leur côté, les GDS s'inquiètent de la capacité des quatre mille vétérinaires de l'Hexagone à accomplir la tâche dans des délais aussi restreints, même avec l'aide d'étudiants. La fenêtre de tir entre la mise à disposition des vaccins et la reprise d'activité virale présumée est étroite: deux ou trois mois.

«Les doses arriveront sur un ou deux cabinets par zone, pas sur quatre mille, s'alarmait Marc Gayet devant l'assemblée générale de la FNGDS, qu'il préside. C'est pour cela qu'il faut anticiper et trouver des alternatives au vétérinaire.» Après avoir écarté, pour des raisons juridiques, la participation des éleveurs, le directeur de cabinet du ministre de l'Agriculture a émis l'hypothèse de faire participer des associations ou des fédérations de professionnels.

Besoin de nouvelles méthodes de lutte

«Nous avons affaire à une nouvelle maladie, insiste Bernard Terrand, le président de la Fédération européenne pour la santé animale et la sécurité sanitaire (Fesass). Nous avons besoin de nouvelles méthodes de lutte. J'ai peur que l'on calque le dispositif sur ce qui s'est fait il y a cinquante ans contre la fièvre aphteuse. De trois à cinq ans de vaccination au moins seront nécessaires. On connaît mal la maladie. Il faut préparer les gens à une lutte efficace et souple, et non pas rigide comme avec la fièvre aphteuse.»

Les vétérinaires ne sont pas à court d'arguments pour justifier leur intervention. «Aucune organisation vétérinaire n'a de doute sur notre aptitude à remplir la mission, lance Pierre Buisson, le secrétaire général du Syndicat national des vétérinaires d'exercice libéral (SNVEL). Il y a une grosse opération d'intoxication de la FNSEA à ce sujet. La FCO est sur la liste du code sanitaire de l'OIE et, à ce titre, notre intervention est nécessaire pour l'obtention de la certification » pour les échanges avec les zones non réglementées. Personne, et surtout pas les éleveurs, ne conteste la nécessité de leur intervention pour obtenir la certification pour des broutards ou des reproducteurs, par exemple. Concernant l'organisation des opérations, les vétérinaires considèrent que la présence ou non d'outils de contention sera primordiale pour l'efficacité des opérations. C'est pourquoi le SNVEL envisage une facturation au temps passé. «Cela valoriserait les éleveurs qui ont fait l'effort d'investir dans la contention», assure Pierre Buisson.

Manque d'ambition politique

Et que fait Bruxelles dans ce capharnaüm? Elle a organisé une grand-messe le 16 janvier sur la stratégie vaccinale contre la FCO. Seule annonce de la journée: l'Union européenne cofinancera la campagne de vaccination en 2008, mais avec des plafonds sur lesquels le commissaire à la Santé ne s'est franchement pas attardé. Mais ceux venus chercher une stratégie vaccinale sont repartis les mains vides. Bruxelles affiche pourtant de grandes ambitions dans le domaine sanitaire. Et pour une fois qu'elle avait l'opportunité de joindre le geste à la parole, rien! Serait-ce un manque de courage politique? A moins que la Commission n'ait pas les moyens de ses ambitions.

 

 

 

Avis: MONIQUE ÉLOIT, directrice adjointe à la Direction générale de l'alimentation

Aux termes de la loi actuelle, les éleveurs ne sont pas autorisés à vacciner

Combien de temps nécessitera l'expertise juridique pour savoir si les éleveurs peuvent vacciner?

Il est encore trop tôt pour se prononcer car il s'agit d'un sujet complexe sur le fond. Nous avons bien conscience de l'urgence et nous mettons tout en oeuvre pour bénéficier d'une réponse rapide.

Pourquoi les éleveurs ne pourraient ils pas vacciner?

Aux termes de la loi actuelle, les éleveurs ne sont pas autorisés à assurer, en règle générale, la vaccination. Si les propriétaires ou les détenteurs d'animaux peuvent pratiquer «les soins et les actes d'usage courant, nécessaires à la bonne conduite de leur élevage», il convient de préciser qu'un acte de vaccination, quelle que soit la maladie, n'entre pas dans cette définition. Cependant, nous devons envisager l'éventualité de difficultés logistiques empêchant les vétérinaires de vacciner tous les animaux dans les temps, et les solutions pour y remédier. Enfin, les considérations liées à la certification doivent nous inciter à une grande prudence.Trois entreprises pourraient fournir le vaccin contre le sérotype 8.

Pourquoi n'y en aura-t-il qu'une de retenue?

Le ministère de l'Agriculture a distingué, dans son appel d'offres de vaccins contre le sérotype 8 de la FCO, deux types de besoins. Il a donc constitué deux lots distincts: l'un pour les bovins, l'autre pour les petits ruminants. Ces deux lots correspondent, en quelque sorte, à deux marchés. Le ministère peut retenir deux laboratoires différents, un par lot, pour répondre à son besoin global. Par ailleurs, la possibilité a été laissée ouverte aux laboratoires potentiellement candidats de s'associer pour faire une offre. Aucun laboratoire n'a souhaité utiliser cette possibilité. Le fait de ne pas pouvoir retenir tous les candidats potentiels relève du principe même de la mise en concurrence et du respect des règles de la commande publique.