Passé la phase de développement de l'exploitation où les remboursements d'emprunts utilisent la grosse partie de l'argent disponible, il est sage de diversifier son patrimoine pour préparer les études des enfants, sa retraite, la transmission. Interrogés sur les placements financiers, les conseillers sont unanimes: le «bon placement» est d'abord celui qui correspond aux objectifs de l'épargnant, avant d'être celui qui affiche les plus belles promesses de rendement ou une défiscalisation attractive. Voici quelques pistes pour comprendre les enjeux des placements financiers et décrypter les produits.
Sommaire de l'article
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Clarifier ses objectifs
Les buts à atteindre déterminent le type de placement qui sera retenu par l'exploitant.
«Tout placement doit être précédé d'une réflexion afin de clarifier ses objectifs, explique Patrick Levecque, responsable du service «économie et gestion» du CER France Nord. La question n'est pas de connaître le meilleur rendement pour les 2.000 ou 20.000 euros que l'exploitant souhaite placer. Avant tout, il s'agit de déterminer pour quels objectifs et pour quelle durée il envisage ce placement.»
A chaque âge, ses projets
«Les objectifs de placement ont un lien direct avec l'âge des exploitants, ajoute Philippe Crinquette, conseiller en patrimoine du CER France Nord. Les 25-40 ans se concentrent sur les besoins de leur exploitation, l'investissement dans l'outil de travail et l'acquisition de leur résidence principale. Ils ont surtout besoin de trésorerie disponible. A 40-60 ans, les exploitants sécurisent leur patrimoine en le diversifiant. Ils pensent à la retraite et à la transmission et placent de préférence à moyen et long terme. Au-delà de 60 ans, il s'agira surtout d'ajuster les revenus pour la retraite.»
Selon Franck Guilbaud, conseiller de clientèle agricole au Crédit mutuel Loire-Atlantique – Centre Ouest, il est important de se constituer un patrimoine privé et de ne pas tout investir dans l'entreprise. Compter uniquement sur la vente de l'exploitation pour disposer d'un capital à la retraite est risqué. «En individuel ou en EARL, les exploitants font régulièrement des transferts d'argent entre leurs comptes professionnels et privés selon leurs besoins, poursuit Franck Guilbaud. Pour les sociétés entre tiers de type Gaec, je conseille d'éviter ce mélange des comptes. Il est préférable de laisser la trésorerie dans la société et de la rémunérer, au cas où un associé ne voudrait pas réintégrer dans la société l'argent prélevé.»
Il s'agit ensuite d'évaluer la capacité d'épargne, qui correspond au montant que peut placer un individu, une fois ses besoins courants couverts. «Sur une année, on calcule les ressources de l'entreprise à partir de l'excédent brut d'exploitation (EBE) et des revenus annexes (revenus du conjoint, loyers, etc.), explique Philippe Crinquette. De ces ressources, on retire les dépenses réelles ou estimées: montant des annuités professionnelles, annuités privées, impôts sur le revenu et prélèvements privés.» La différence, lorsqu'elle est positive, constitue la capacité d'épargne annuelle. L'approche se fait sur une moyenne de trois à cinq ans de manière à lisser les écarts dus aux bonnes et aux mauvaises années.
Les besoins privés sont proportionnels à la taille de la famille et à l'âge des enfants dans un foyer. Hors impôts et hors annuités privées, les prélèvements privés courants sont estimés à environ 16.000 euros par an pour un couple, 2.000 euros pour un enfant en primaire, 3.000 euros à 4 900 euros pour un élève du secondaire et 4.900 euros à 12.000 euros pour un étudiant.
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Experts: PHILIPPE BERTHELOT et GAËTANTESSIER du Crédit agricole d'Ille-et-Vilaine
«Faire le point avec un conseiller»
«Rencontrer nos clients deux fois par an pour faire le point sur leurs placements et les ajuster à leurs besoins et projets est idéal. Souvent, les agriculteurs viennent nous voir pour une demande de prêt ou un placement ponctuel: c'est l'occasion de faire un point plus global sur leur situation.» Il ne faut pas hésiter à solliciter son banquier et surveiller ses comptes. Selon les conseillers, les agriculteurs sont demandeurs de conseils et d'informations sur les produits défiscalisés et de préparation de la retraite. «L'approche des placements est personnalisée: à chacun ses objectifs, son niveau de sécurité et sa prise de risque.»
2. Décoder les produits d'épargne
Avant de choisir un placement, il faut connaître ses caractéristiques.
C'est la stratégie de l'exploitant qui déterminera le «bon» produit de placement et pas seulement ses performances alléchantes! Le placement financier n'est qu'une partie d'un patrimoine qui doit être équilibré et correspondre aux objectifs fixés. Faites d'abord un inventaire et une analyse de votre patrimoine existant (placements, biens immobiliers, foncier, etc.). Vous déterminerez ensuite les manques éventuels et vers quels produits doit se porter l'épargne.
Devant la multitude des produits financiers proposés, renseignez-vous sur leurs caractéristiques. D'abord, sur la sécurité, qui est la garantie de récupérer au moins le capital placé. Les placements à taux prédéterminé et fixe sont sûrs, contrairement aux actions, très volatiles, qui peuvent perdre de la valeur.
La disponibilité (ou la liquidité) est la facilité de disposer à tout moment de l'argent placé. Elle est assurée pour les placements de trésorerie. Les placements prévus à moyen et long terme sont peu disponibles avant un certain délai ou alors dans des conditions désavantageuses de sortie anticipée (plan épargne logement, plan épargne en actions ou assurance vie). Les sommes et les intérêts acquis peuvent être récupérés soit en capital, soit en rente (versement régulier d'une somme d'argent).
La rentabilité prend en compte les gains (sous forme de revenus distribués ou capitalisés), desquels sont déduits divers frais payés à la banque et les prélèvements fiscaux et sociaux.
Demander le taux net
Face à un taux proposé brut qui peut paraître attractif, faites-vous préciser le montant de ces frais et demandez le taux net. Pour les placements réglementés, l'épargnant n'a pas à supporter de tels frais (Livret A, etc.). Pour les contrats d'assurance vie, comptez les frais d'entrée (de 0 à 5%), de gestion annuelle (environ 0,8% des intérêts) et éventuellement de sortie, ainsi que les frais d'arbitrage (pour les contrats multisupports).
Il s'agit ensuite de considérer la fiscalité des intérêts du placement qui dépend du produit financier. Les intérêts peuvent être exonérés ou taxés selon le barème de l'impôt sur le revenu (dans la tranche marginale du bénéficiaire), ou selon le prélèvement forfaitaire libératoire (forfait de 16%) ou encore selon des taux fixés. Les intérêts des placements peuvent aussi être soumis aux prélèvements sociaux (11% aujourd'hui). Renseignez-vous enfin sur les conditions de versements d'argent (libres ou réguliers) et les plafonds de versement.
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Expert: PHILIPPE REMAUD, conseiller en patrimoine chez Altéor Conseil au Rheu (Ille-et-Vilaine)
«Comparer des performances nettes»
«Les placements se comparent selon leur taux de rémunération nette, c'est-à-dire déduction faite des frais et de la fiscalité attachés aux produits. Pour les placements sur le long terme, on peut prendre en compte l'effet de l'inflation. Si les droits d'entrée sont élevés, ils seront dilués dans le temps et il faudra plutôt s'attarder sur les frais de gestion des placements à long terme. Décortiquez bien les conditions des placements «exceptionnels à taux garantis», ils ne sont pas tous forcément intéressants. En premier lieu, avant de rentrer dans le détail des produits, pensez à la cohérence globale de votre épargne. Pour se constituer un patrimoine, il est d'usage de placer 30% sur des supports à risque (pour chercher la performance à long terme) et d'en sécuriser 70% pour conserver une marge de manoeuvre sur l'exploitation.»
Les arguments qui comptent Tout se négocie mais le volume de prêts et de placements détenus dans la banque, le montant du capital à placer, la fidélité envers la banque seront autant d'atouts. La tendance est à la baisse des frais d'entrée, mais attention à ce qu'elle ne soit pas répercutée sur les frais de gestion ou d'arbitrage (changement de contenu d'une assurance vie). |
3. Constituer un portefeuille équilibré
Selon la durée d'immobilisation de l'argent, on distingue les placements de trésorerie, de précaution et ceux plus dynamiques mais plus risqués.
Pour financer les besoins à court terme de l'entreprise et de la famille, l'exploitant se tournera vers une épargne dite de trésorerie, peu rémunératrice (2 ou 3%) mais sans risque et disponible immédiatement. C'est l'épargne qui permet de faire face à une mauvaise année, sans avoir recours à un crédit à court terme avec un taux élevé. «Cette épargne de trésorerie, immédiatement mobilisable, devrait au minimum couvrir les annuités d'un exercice, notamment pour des jeunes ou des exploitants en phase d'investissement», estime Patrick Levecque, du CER France Nord. Les produits à rémunération fixée (Livret A, livrets bancaires) ou indexée sur les marchés monétaires (Sicav monétaire, compte à terme) répondent à ces objectifs.
Prévoir les coups durs
A moyen terme (de deux à huit ans), on trouve l'épargne dite de précaution, avec des produits de placement dotés d'une rémunération plus importante que le court terme (de 3 à 6%). Elle permet de faire face aux besoins prévus dans le moyen terme (financement des études des enfants, achat d'une voiture). Ces placements restent relativement disponibles, moyennant des intérêts moindres en cas de sortie anticipée de l'argent placé. C'est une épargne qui ne revient pas sur l'exploitation, sauf en cas de coup dur. «Pour un exploitant en vitesse de croisière, elle représente près de 60% de l'épargne», poursuit le conseiller. Dans ce registre, on trouve le PEL, sur lequel on place pour au minimum quatre ans, les obligations et les assurances vie monosupports (lire l'encadré ci-dessous).
Les placements à long terme (huit ans et plus) constituent l'épargne dynamique et assurent une rentabilité plus élevée (de 5 à 10%). Ils sont généralement prévus pour compléter une retraite ou dans un objectif de transmission. Les sommes sont placées essentiellement sur des supports d'actions, détenus en compte titres, ou sur des produits comme l'assurance vie et le PEA. Mais les actions subissent les fluctuations fortes des marchés boursiers: il ne faut pas avoir un besoin urgent d'argent qui obligerait de vendre ses actions lorsque les cours sont bas! Sur dix ans, les actions réalisent généralement de belles performances. «Dans une optique de constitution de patrimoine (et non de spéculation), on place généralement de 10 à 30% de l'épargne en actions», ajoute Philippe Remaud, d'Altéor Conseil.
Enfin, le conseiller recommande des versements réguliers: la régularité «oblige» à un effort d'épargne et permet de lisser les risques inhérents aux marchés boursiers fluctuants.
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Expert: PHILIPPE CRINQUETTE, conseiller en patrimoine au CER France Nord
«Prenez date en ouvrant un PEA et une assurance vie»
«Ne pas mettre tous ses oeufs dans le même panier et sécuriser l'exploitation en cas de coup dur est la règle d'or. Prenons l'exemple d'un exploitant qui, suite à une bonne année, bloque ses liquidités sur des placements à long terme. La mauvaise année, il manquera de trésorerie et devra solliciter des prêts à court terme à des taux moins favorables. Autre exemple à éviter: l'exploitant qui a tendance à autofinancer ses investissements au lieu d'emprunter et se prive ainsi de liquidités et de revenus de placements. Autre conseil : pour les produits assurance vie et PEA, c'est la date d'ouverture qui compte pour bénéficier des avantages fiscaux. Même si vous ne placez pas des sommes importantes, prenez date!»
Les multiples avantages de l'assurance vie Il ne faut pas confondre les contrats d'assurance vie avec l'assurance décès (cotisations à fonds perdus). Avec l'assurance vie, les versements ainsi que les intérêts générés vont constituer un capital. A la fin du contrat, vous toucherez ce capital épargné (sous forme de capital ou en rente). En cas de décès, ce capital sera transmis au bénéficiaire désigné. L'assurance vie bénéficie d'une fiscalité privilégiée (imposition nulle ou réduite des intérêts et exonération totale ou partielle de droits de succession). Il existe deux catégories les plus connues de contrats. Le contrat en euros (ou monosupport) est majoritairement investi en obligations et garantit ainsi le capital accumulé. Le contrat multisupport est investi sur des fonds en euros et sur des supports d'actions gérées de façon collective (appelées Sicav* et FCP*), répartis en différentes proportions pour constituer des profils prudents, équilibrés ou dynamiques. Ils n'offrent aucune garantie à l'épargnant de retrouver à terme le capital versé et de percevoir une rémunération. Renseignez-vous sur la facilité d'arbitrer la composition dans les contrats multisupports (d'un profil prudent vers un profil dynamique par exemple) et la possibilité de récupérer facilement votre épargne avant le terme du contrat. _____ (*) Les Sicav (sociétés d'investissement à capital variable) et les FCP (fonds communs de placement) sont des sociétés qui gèrent pour le compte de plusieurs clients des groupes d'actions ou d'obligations. |