Amélie tenait de ses parents et de ses grands-parents une parcelle de 6 000 m² de landes et taillis, sise au carrefour des routes départementale et nationale. Elle n'y prêtait qu'une attention mitigée puisque inapte à la culture. Il a fallu un nouveau plan local d'urbanisme (Plu) pour qu'elle s'y intéresse. Le terrain devenant constructible, le profit était à portée de mains. Consultées, les agences n'étaient pas enthousiastes car la parcelle était traversée par une ligne électrique EDF à moyenne tension. Avec une telle servitude, aucun projet sérieux ne semblait possible.
Implantation illégale
Dans la famille, personne ne se souvenait avoir eu connaissance d'une quelconque demande de l'EDF pour l'implantation de cette ligne. Les bureaux de l'entreprise publique ne trouvaient pas trace dans leurs archives de démarches ou autres formalités pour l'installation de l'ouvrage. Les services techniques savaient seulement que les travaux dataient de 1960.
EDF occupait donc sans droit ni titre la propriété d'Amélie, que ce soit par survol comme par implantation de pylônes. De quoi justifier une procédure pour obtenir la suppression de cette occupation illégale. C'est ainsi que l'affaire fut portée devant le juge des référés.
A partir de là, le droit allait être invoqué : la loi du 15 juin 1906 permet aux distributeurs d'énergie, à condition de respecter un formalisme imposé, de créer chez les particuliers une servitude légale de survol et même d'ancrage. Or, rien ne justifiait que cette procédure avait été utilisée. EDF se croyait en position de force. S'agissant d'une servitude continue et apparente, à défaut de procédure de la loi de 1906, comme il est avéré que l'ouvrage contesté a été mis en place au vu et au su du propriétaire depuis plus de 30 ans, le droit de l'électricité découle de la prescription acquisitive trentenaire pour les servitudes apparentes et continues. Le raisonnement était séduisant, la cour d'appel l'a adopté. Du reste sans le dire, cette cour estimait qu'Amélie et ses auteurs avaient accepté l'implantation sans la moindre protestation.
S'incliner devant pareille décision, c'était perdre le profit escompté de la vente du terrain. Amélie s'est donc pourvue en cassation. Certes, devant les hauts magistrats, l'article 12 de la loi du 15 juin 1906 octroie aux distributeurs d'énergie la possibilité d'imposer aux particuliers le surplomb de leur propriété par des lignes électriques, mais cette obligation légale suppose que les formalités inhérentes ont été respectées. Bénéficiaire de ce pouvoir exorbitant, EDF ne peut invoquer les règles du code civil relatives à l'établissement de servitudes, car ces règles ne concernent que les rapports entre particuliers, fondées sur le droit privé. Même mis en place depuis plus de 30 ans, les ouvrages de l'électricien, comme de tout autre distributeur d'énergie, l'ont été sans droit à défaut du respect de la loi de 1906.
En conséquence, en tenant compte de la jurisprudence administrative instaurée depuis quelques années, Amélie pourra obtenir du tribunal administratif une décision de suppression de la ligne dépourvue de tout support juridique.