Le cadre du litige est simple: Louis a, par acte sous seing privé, promis de vendre à Ernest une pièce de terre de 15 ha au bord de la rivière, pour le prix de 6.000 euros. Ernest a accepté la promesse, en sorte que la vente est parfaite. Il ne restera qu'à l'authentifier devant notaire pour qu'elle puisse être publiée à la conservation des hypothèques. Le notaire, saisi à cette fin, a soulevé le problème de la Safer à qui la vente doit être notifiée pour lui permettre éventuellement d'exercer son droit de préemption. Louis est catégorique, il ne vendra pas à la Safer. Il a eu suffisamment de difficultés avec elle. On va donc reprendre la rédaction de l'acte. Il y sera stipulé que la vente est consentie sous condition suspensive du non-exercice du droit de préemption de la Safer. En utilisant ce stratagème, Louis se souvient qu'il a pu faire échec au droit de préemption de son fermier. Ainsi ficelé, l'acte est porté à la connaissance de la Safer qui, contre toute attente, dans les deux mois, exerce son droit de préemption. Elle invoque l'installation d'un jeune agriculteur, alors qu'en fait il n'en existe aucun susceptible de bénéficier d'une rétrocession.

Réputée non écrite

Comme de droit, Louis demande au tribunal de grande instance de prononcer la nullité de la préemption. Il dispose de deux motifs, semble-t-il: la vente est faite sous condition suspensive du non-exercice par la Safer de son droit de préemption, car Louis préfère ne pas vendre du tout, plutôt que de vendre à la Safer. De plus, la motivation invoquée n'est pas sérieuse. Son second moyen est si bien établi que les juges annulent la préemption, sans pour autant admettre le premier moyen. En effet, il existe un article L.143-5 du code rural qui, depuis la loi de décembre 1978, édicte que la condition suspensive de la vente en cas d'exercice du droit de préemption est réputée non écrite. Autrement dit, elle ne peut être utilisée. Ainsi, la préemption qui est annulée sur le vu des motifs ne l'est pas sur le plan de la clause suspensive.

La promesse est valable

C'est ici que va naître le contentieux soumis à justice et terminé devant la Cour de cassation. Ernest, débarrassé du droit de préemption de la Safer, voulait voir sortir à effet le compromis de vente signé avec Louis, d'autant plus que l'affaire était bonne. Mais Louis ne l'entendait pas de cette oreille. Pendant les années durant lesquelles le procès s'était déroulé, le prix des terres avait augmenté et il avait des offres supérieures à celle acceptée par Ernest. Il a donc refusé de concrétiser par un acte authentique la promesse de vente. Son argument s'imposait: comme la vente était conclue sous la condition suspensive que la Safer ne préemptât pas et qu'elle l'avait fait, même si la préemption était mise à néant, la vente était nulle puisque son existence dépendait du comportement de la Safer.

La Cour de cassation rejettera cette prétention en s'appuyant sur l'article L.143-5 du code rural: la clause ne rend pas la vente nulle. Le code rural prévoit seulement que la clause est réputée non écrite et que la Safer peut préempter, quitte à ce que sa préemption soit annulée pour d'autres motifs. La vente avec Ernest se fera donc.

La distinction est capitale avec le droit de préemption du preneur en place, qui lui, peut faire l'objet d'une clause suspensive du non-exercice de son droit de préemption.