Du stockage, un téléphone, une connexion internet et une bonne dose de fibre commerciale : voilà la panoplie de l'agriculteur qui souhaite s'investir dans la commercialisation de sa récolte. Ce profil n'est plus réservé à quelques aventuriers, si l'on en croit Georges Houpin, de la société de négoce Sicamoc France céréales. «Depuis quinze ans, nous observons un très net développement des capacités de stockage à la ferme», explique l'opérateur, dont l'aire de chalandise s'étend sur un grand quart nord-est de la France.

Diversifier ses débouchés constitue l'une des principales motivations de ces exploitants qui ne veulent plus se cantonner au seul rôle de «laboureur». «Gérer la vente, c'est aller jusqu'au bout de son travail», estime Jean-Michel Cholet. Sur son exploitation de Bercenay-en-Othe, dans l'Aube, il a franchi le pas il y a une dizaine d'années. «J'ai commencé en faisant une paire de camions pour des opérateurs qui m'avaient été recommandés, et aujourd'hui tout part au prix ferme.» Entre-temps, ses capacités de stockage se sont étoffées, tout comme son carnet d'adresses qui compte désormais une demi-douzaine de contacts – courtiers, négoces et fabricants d'aliments – avec qui il traite régulièrement.

«Aller chercher la plus-value»

Même état d'esprit chez Nicolas Portois, dont l'exploitation, située à quelques kilomètres d'Amiens, compte environ 170 hectares de cultures, et où les anciens bâtiments d'élevage ont été reconvertis en stockage à plat d'une capacité d'un millier de tonnes. Malgré des silos de dimensions plus modestes que ceux de Jean-Michel Cholet (15.500 tonnes sur deux sites pour 250 hectares de Scop), il partage avec son collègue de l'Aube la satisfaction «d'aller chercher la plus-value, plutôt que de devoir l'attendre un an après la récolte avec le complément d'acompte». En céréales, le règlement est effectué quinze jours après que le camion a quitté la ferme avec sa cargaison. A l'autonomie s'ajoute la transparence. «En tant que gestionnaire, je veux connaître le prix auquel est vendue ma marchandise, ce qui est le cas lorsque je travaille avec des courtiers», affirme Frédéric Bizieux, exploitant dans l'Indre-et-Loire. Cette démarche lui permet aussi «d'avoir différents acheteurs et de rester à l'affût d'opportunités» synonymes de quelques euros supplémentaires à la tonne.

Trouver les bons interlocuteurs, s'assurer de leur sérieux, s'informer des tendances du marché, gérer les contrats…, les tâches gourmandes en heures ne manquent pas et la disponibilité du chef d'exploitation est mise à rude épreuve, notamment au moment des chargements, avec des préavis de passage qui dépassent rarement vingt-quatre heures. Le boisseau qui jouxte les silos de Jean-Michel Cholet lui procure une plus grande souplesse en réduisant à un quart d'heure la durée de remplissage par camion. « Lorsque le transporteur appelle la veille, la préparation du boisseau devient la priorité et passe avant tout le reste, même si on est à semer de l'engrais », reconnaît le producteur.

Patience et réactivité

Avant de s'organiser pour la livraison, encore faut-il avoir vendu au bon moment. « Il ne faut pas se précipiter et tout vendre lorsque les cours semblent intéressants, avertit Jean-Michel Cholet. Il ne faut pas non plus chercher à vendre au plus haut car, lorsque les prix sont partis à la baisse, on court souvent après. » Comme de nombreux agriculteurs qui vendent en circuit court, il se fixe un prix d'objectif prenant en compte ses coûts de production, la marge souhaitée et le contexte du marché. Le but est de limiter le risque en visant une bonne moyenne plutôt que de multiplier les coups périlleux. « Lorsque le marché me semble favorable, je fais le tour de mes contacts, je compare les propositions par rapport à mon prix d'objectif puis je me décide. » Cette année, Jean-Michel Cholet a vendu son blé de façon très étalée compte tenu de l'évolution des cours, pour des contrats allant de 125 €/t à 142 €/t.

Il faut parfois être très réactif. Il y a deux ans, alors que l'orge d'hiver cotait 75 €/t, Nicolas Portois a saisi une offre à 105 €/t pour compléter le chargement d'un bateau qui partait pour l'Espagne. «L'offre n'a été valable que trois jours ! se souvient l'agriculteur de Tilloy-lès-Conty. Il faut aussi savoir attendre. J'ai vendu il y a quinze jours de la féverole 220 €/t grâce à mon courtier qui m'avait conseillé de patienter.» Vendue à la moisson, sa féverole ne lui aurait rapporté que 127 €/t.

Le suivi des marchés impose une veille quasi quotidienne, via des sites web spécialisés ou des entreprises de conseils comme Offre et demande agricole ou Agritel. «Cela peut être vécu comme une contrainte, admet Nicolas Portois. Mais tout comme les reliquats azotés ou l'enregistrement des pratiques, cela peut devenir un atout économique et donner beaucoup d'intérêt au métier.»

 

Connaître sa marchandise

Un bon allotement reste la meilleure garantie pour profiter de la plus-value que peuvent procurer certains marchés de niche ou un besoin spécifique exprimé par un opérateur. Pour les céréales, l'idéal est d'alloter à la variété lorsque l'infrastructure de stockage de l'exploitation le permet. Mieux vaut bien connaître sa marchandise avant de l'engager dans un contrat, qui spécifie généralement des caractéristiques qualitatives précises. Pour cela, la réalisation d'échantillons à la récolte (un échantillon par cellule constitué de prélèvements effectués dans chaque remorque) analysés ensuite par un laboratoire agréé est un passage obligé pour connaître la qualité dont on dispose et en informer son éventuel client. A défaut de constituer un argument irréfutable, ces analyses peuvent contribuer à prouver sa bonne foi en cas de litige sur un lot vendu.

 

 

Courtier, négoce ou organisme stockeur?

Pas toujours facile de s'y retrouver entre les termes désignant les différents opérateurs commerciaux qui officient dans la filière du grain. Les négoces disposent d'un agrément délivré par l'Office national interprofessionnel des grandes cultures (OniGC) qui leur permet de commercialiser des grains détenus par un producteur. C'est grâce à ce statut d'organisme stockeur que les négoces peuvent rémunérer l'agriculteur à qui ils achètent de la marchandise. Les courtiers bénéficient rarement d'un tel agrément. Ils jouent un rôle d'apporteur d'affaires, qui met en relation le producteur et le client. C'est ce dernier qui paie le producteur et verse au courtier une commission à la transaction. Dans la pratique, les frontières sont parfois plus floues. Certains courtiers s'associent à un négociant qui va lui-même rémunérer le producteur. Cela évite au courtier de mettre l'agriculteur en contact avec le client et empêche tout « court-circuit » ultérieur. De même, certains négociants disposent dans leur équipe de courtiers, ou mettent en relation le producteur et le client final à la façon d'un courtier.