Minisommaire

1. Se fixer des repères avec un objectif de prix

- Les composantes du prix de revient

- Témoignage de Hugues Trameau, agriculteur à Châtel-Gérard (Yonne)

2. Saisir les opportunités grâce au marché à terme

- Comment vendre sur le marché à terme

- Les solutions pour accéder au marché à terme

- Témoignage de Nicolas Habert, consultant et professeur à l'EI Purpan

3. L'analyse de marché, pour mieux cerner les tendances

 

1. Se fixer des repères avec un objectif de prix

C'est un préalable indispensable: calculer le prix de vente par culture permettant de couvrir les frais et d'obtenir le revenu souhaité. Ce point de repère pour déclencher la vente est aussi indispensable pour optimiser son assolement selon l'évolution du marché.

 

Seuil de commercialisation, prix d'objectif, seuil de déclenchement de vente… quelles que soient la dénomination et la définition précise que l'on y rattache, la notion est la même: connaître le prix de vente à partir duquel une culture est rentable. Dès lors que l'on prend en main la commercialisation de ses céréales, le calcul de ce seuil est indispensable pour ne pas vendre à l'aveuglette. «Il faut réfléchir comme un commerçant, explique Jérôme Laurent, de l'Union de Ceta Agro d'Oc. Je dois déterminer quelle somme d'argent je devrais sortir cette année, et donc quelle somme minimale je dois rentrer.»

Les méthodes de calcul diffèrent selon les organismes de conseil, mais toutes reposent sur la répartition entre les charges et la marge attendue. Chez Agro d'Oc, l'élaboration du seuil de commercialisation repose sur trois entrées: une «clé directe», avec les coûts facilement affectables à chaque culture, comme les intrants, une «clé horaire» fondée sur le débit de chantier pour répartir les frais de main-d'oeuvre et de mécanisation, et les charges de structure réparties à la surface. Une fois calculé le chiffre d'affaires souhaité à l'hectare, intégrant le montant des aides Pac, il reste à estimer le rendement pour en déduire le prix d'objectif. «Le producteur doit avoir sous les yeux l'historique des prix des cinq dernières années pour savoir où son objectif se situe, et si celui-ci est réalisable», recommande Sébastien Poncelet, de la société de conseil en gestion de risque prix Agritel. Ce prix d'objectif n'est pas gravé dans le marbre. Il devra être révisé au fur et à mesure que le rendement de la future récolte se précise, et sera recalculé à chaque campagne.

«Avec cet outil simple, l'exploitant prend conscience du niveau minimal de prix auquel il doit vendre sa marchandise, et il sait que s'il l'atteint, il ne perd pas d'argent», résume Jérôme Laurent.

Dégager la meilleure marge

Mais, pour le responsable du service technique d'Agro d'Oc, avant d'être un outil pour gérer la commercialisation, le seuil de vente permet de réfléchir à son futur assolement en comparant l'objectif de prix aux potentialités du marché. «En prenant un rendement moyen, j'obtiens les différents gains que je peux espérer par culture, et définir un assolement qui dégage la meilleure marge.»

L'exercice, incontournable, présente aussi ses limites. Il est d'abord inutile de copier sur le voisin, car le seuil de commercialisation reflète les caractéristiques propres à l'exploitation, et à elle seule. «Il ne s'agit pas du tout d'un outil de comparaison, mais de gestion individuelle, souligne Jérôme Laurent. A chacun d'y mettre la réalité de ses charges.» Elles ne seront évidemment pas les mêmes pour un propriétaire ou pour un fermier, pour un jeune agriculteur ayant de lourds emprunts à rembourser ou pour un exploitant en fin de carrière.

Au moment de vendre, le seuil de commercialisation n'est pas la seule donnée à prendre en compte. «Ce seuil offre une sécurité, mais ne permet pas d'optimiser la commercialisation, met en garde Benoît Labouille, chez Offre et demande agricole. Une année comme celle-ci, on aurait vendu beaucoup trop tôt si l'on ne s'en était tenu qu'à cet élément.» Et il rappelle que «la gestion du risque prix, c'est connaître le coût de production et fixer son revenu, mais c'est aussi la maîtrise des outils financiers et une analyse de marché performante.»

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Les composantes du prix de revient

Les coûts directs: ces charges variables peuvent facilement être affectées à une culture. Il s'agit par exemple du coût des intrants ou encore de l'assurance grêle.

La main-d'oeuvre: une part est affectable, en fonction du temps consacré à chaque culture. On peut faire entrer dans cette catégorie le revenu que l'on souhaite dégager, ainsi que la MSA et, le cas échéant, des charges salariales. Une partie est plus difficile à répartir par culture, comme le temps consacré à la formation et à l'information, les tâches administratives…

Les charges de mécanisation: certaines sont directement liées à la culture selon le débit de chantier, le fioul consommé, le travail réalisé par une entreprise… D'autres sont à répartir sur l'ensemble de la surface lorsqu'elles ne concernent pas une culture en particulier.

Le foncier et autres charges de structures: ces coûts sont répartis sur l'ensemble des cultures, à la surface.

 

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Témoin: HUGUES TRAMEAU, agriculteur à Châtel-Gérard (Yonne)

Ne pas toujours vendre au top, mais gérer en bon père de famille

Hugues Trameau a été sensibilisé au calcul de ses seuils de commercialisation à la suite d'une formation sur les marchés à terme réalisée avec Offre et demande agricole. Cela lui a permis de mieux cerner le potentiel de marge de ses cultures. «Je me suis rendu compte que dans nos systèmes le colza coûtait cher à produire, et que le seuil de commercialisation du blé était plus facile à atteindre avec un rendement moyen de 70 q/ha. Mais le colza est indispensable dans la rotation.» En s'appuyant sur les résultats des années précédentes, il s'est calé sur une valeur pivot de 800 €/ha de chiffre d'affaires en moyenne sur sa SAU. «C'est une valeur bien adaptée pour mon exploitation, mais il n'y a pas de chiffre clé applicable à tout le monde, c'est très variable d'une structure à l'autre», explique Hugues. Selon le rendement, il calcule le prix auquel il doit commercialiser sa récolte pour tenir cet objectif. Il suit précisément l'évolution de son chiffre d'affaires au fur et à mesure des ventes grâce à un tableur informatique. Avec le retard pris par les moissons, le souci d'Hugues Trameau est de connaître les rendements pour ajuster son prix d'objectif. «Je sais qu'il y a des cultures avec lesquelles je dépasserai cet objectif, et d'autres avec lesquelles je ferai moins bien. Il ne faut donc pas marquer les prix dès qu'on dépasse ce seuil, car on risque de ne pas y être sur l'ensemble de l'exploitation.» Chaque année, la question est de savoir si le marché dépassera l'objectif de prix. Et l'exercice de prévision se complique avec la volatilité croissante.

«Aujourd'hui, le moment où je décide de vendre a autant d'importance que le rendement. L'objectif n'est pas de vendre toujours au top car c'est impossible, mais de gérer en bon père de famille.»

 

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2. Saisir les opportunités grâce au marché à terme

Cet outil prend tout son intérêt avec la volatilité croissante et les niveaux de prix atteints cet été.

Le marché à terme, qui donne déjà le ton pour le colza, s'affirme de plus en plus comme un marché de référence en blé.

Il offre à l'agriculteur la possibilité de bénéficier d'un prix qu'il juge intéressant, avant même d'avoir récolté à un moment où les acheteurs ne sont pas toujours présents sur le marché physique. Aujourd'hui, un producteur de blé peut, par exemple, contractualiser via le marché à terme le blé qu'il ne récoltera qu'en 2008. Et, compte tenu du niveau des cours (ils ont déjà atteint 170 euros la tonne sur l'échéance novembre 2008), engager une partie de sa moisson de 2008 est une stratégie qui n'a rien d'absurde pour assurer les revenus de l'exploitation.

 

En effet, si la hausse des matières premières agricoles semble durable, rien ne garantit que les cours seront aussi élevés dans un an. Vendre sur le marché à terme équivaut donc à se couvrir face à un risque de baisse des cours. Le système d'options permet en plus, moyennant un coût d'une dizaine d'euros, de profiter d'une progression des cours quand on a vendu. Dans le contexte haussier de 2007, l'utilisation de cet outil s'est systématiquement révélée payante.

 

La tentation de vendre aux cours actuels ne doit pas faire oublier la règle d'or: toujours conserver une marge de sécurité dans les volumes engagés pour être certain de disposer d'au moins autant de marchandise physique. Dans le cas contraire, on s'engage dans une démarche de spéculation qui peut coûter très cher au final.

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Témoin: NICOLAS HABERT (1) consultant et professeur à l'EI Purpan

Le marché à terme est un outil de sécurisation

Quel intérêt présente le marché à terme pour un agriculteur?

Le marché à terme permet d'être en connexion directe avec le marché. C'est un outil supplémentaire pour qui veut commercialiser en direct, en étant très réactif. Mais il existe souvent une confusion: le marché à terme n'est pas un outil de commercialisation, mais un outil qui permet de se positionner sur un prix, à un moment où il n'est pas toujours possible de trouver un acheteur sur le marché physique. Si à un moment donné, compte tenu de mes coûts de production, de la marge que je souhaite dégager et des perspectives du marché, je décide que le cours me convient, alors le prix sur lequel je prends position devient un prix garanti. C'est un outil de sécurisation.

Ce n'est donc pas nécessairement de la spéculation?

Par nature, la production agricole est spéculative, car lorsque l'on sème, on ne connaît ni le prix de vente, ni le rendement. Mais, intrinsèquement, le marché à terme n'est pas plus spéculatif que le marché physique. Si l'agriculteur l'utilise comme un mécanisme de couverture par rapport à un prix fixé à un instant donné, c'est même de «l'antispéculation», car cela supprime le risque prix. En revanche, si l'agriculteur se positionne sur le marché à terme sans avoir de marchandise à couvrir, il entre dans une démarche spéculative.

Comment se passe la livraison de la marchandise?

Le marché à terme et le marché physique sont bien distincts, même si les cours sont généralement bien corrélés. La livraison physique sur le marché à terme reste exceptionnelle. L'agriculteur, à condition de respecter quelques précautions, n'aura pas à livrer sur le marché à terme. Pour lui, cela ne change rien sur sa façon de travailler sur le marché physique.

Faut-il être stockeur pour profiter des marchés à terme?

Pas nécessairement, même si l'absence de stockage enlève un certain degré de souplesse. On peut déboucler sa position suffisamment tôt pour pouvoir livrer à la récolte, mais il faut pouvoir négocier un prix ferme et qu'il y ait une bonne corrélation entre les prix du marché physique local et celui du marché à terme. Une autre solution consiste à mettre en dépôt sa récolte chez un OS pour avoir la liberté de vendre le grain quand on le veut.

Quels sont les dangers du marché à terme?

Plus que de danger, je parlerais de précautions à prendre. Il faut rester dans une logique de couverture et vérifier que les prix sont bien corrélés entre les deux marchés au moment de la vente physique. Cela demande aussi un suivi extrêmement régulier des marchés, voire quotidien, car ils peuvent fluctuer de façon très importante au sein d'une journée. Cela implique aussi que, lorsque l'on déboucle sa position, il faut racheter ses lots sur le marché à terme au même moment que l'on vend sa marchandise physique. Un décalage de quelques heures peut faire perdre plusieurs euros par tonne.

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(1) Auteur de l'ouvrage «Les Marchés à terme agricoles» aux éditions Ellipses.

 

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Les solutions pour accéder au marché à terme

Ouvrir un compte

La première solution, celle qui offre le plus de liberté pour élaborer sa stratégie et exploiter toutes les options de cet outil, est aussi la plus complexe: ouvrir un compte chez un négociateur agréé, par exemple au Crédit agricole ou au Crédit mutuel. L'agriculteur devra ensuite passer ses offres d'achat ou de vente par cet intermédiaire. La création d'un compte implique un dépôt de caution au moment de vendre des lots sur le marché à terme, puis des «appels de marge», que l'on pourrait comparer à un approvisionnement de sécurité de son compte lorsque les cours montent.

Ces appels de marge n'ont aucune influence sur le bilan final de l'opération, mais peuvent pénaliser lourdement la trésorerie certaines années.

Passer par son organisme stockeur

De plus en plus d'organismes stockeurs proposent des contrats dont les prix sont indexés sur le marché à terme et qui permettent de vendre au prix du jour. Dans ce cas, ni dépôt de caution, ni appel de marge, mais uniquement une «base» calculée par l'OS et déduite du prix affiché au marché à terme. Certaines structures offrent même la possibilité d'utiliser des options pour profiter d'une hausse. Ces contrats s'assortissent de l'obligation de livrer la marchandise chez l'OS avec qui le contrat a été passé.

 

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3. L'analyse de marché, pour mieux cerner les tendances

Pour bénéficier des opportunités de prix, il est indispensable de s'investir dans le suivi des marchés à court et moyen termes.

Choisir de vendre en direct, c'est se poser quotidiennement la même question: dois-je vendre aujourd'hui ou est-il préférable d'attendre? Cela revient à se lancer dans une course d'orientation qui nécessite de s'armer de patience, de réactivité… et de la boussole la plus fiable possible. Les années 2006 et 2007 ont prouvé que le seuil de commercialisation ne permettait pas à lui seul de bénéficier pleinement d'un marché haussier: nombreux sont les agriculteurs qui, bien que satisfaits d'avoir vendu à un prix rémunérateur, regrettent d'avoir vendu «trop tôt». «Selon l'analyse que l'on fait du marché, on est plus ou moins prudent, explique Luc Rougeaux, producteur dans l'Eure-et-Loir. Il y a deux ans, les cours n'ont pas atteint l'objectif de prix, alors que cette année il existait encore un potentiel de hausse à 120 €/t.» Une bonne analyse peut donc se révéler très payante. «L'an dernier, avant la récolte, mon seuil de commercialisation était atteint en blé, mais l'étude des bilans indiquait que le moindre pépin chez l'un des pays producteurs aurait des conséquences. J'ai donc couvert tout ce que j'ai vendu avant la récolte avec des options, ce qui m'a permis de rattraper une bonne partie de la hausse qui a suivi», se rappelle Pascal Lacour, exploitant dans l'Aisne.

Sentir le vent tourner

Pour sentir dans quel sens tourne le vent du marché, il faut désormais sortir le nez hors de son exploitation. Ce n'est plus à l'échelle locale ou nationale que se forment les prix, mais au gré d'événements qui surviennent tout autour de la planète. Certains producteurs se tournent vers les sociétés spécialisées dans le conseil et l'information sur les marchés, dont les plus connues sont Offre et demande agricole et Agritel, pour être informés des nouvelles en provenance de la mer Noire, des Etats-Unis et de l'Australie, ou pour décortiquer les bilans mondiaux des céréales et des oléagineux. Les chambres d'agriculture commencent elles aussi à investir ce créneau. «Il ne s'agit pas de devenir un spécialiste, mais il faut savoir s'entourer, affirme Sébastien Poncelet, chez Agritel. L'exploitant fait appel à des techniciens pour gérer finement les aspects agronomiques ou fiscaux, il doit faire de même pour gérer le risque prix.»

Après une formation sur le fonctionnement des marchés et les outils financiers disponibles, les sociétés de conseils fournissent au producteur-vendeur les informations essentielles via SMS ou internet. Elles encadrent également des groupes d'agriculteurs qui échangent régulièrement leur point de vue sur le marché avec l'appui d'un spécialiste.

Ces réunions sont l'occasion de confronter sa stratégie à celle de ses collègues, tout en s'informant sur les événements mondiaux qui peuvent faire basculer le marché dans un sens ou dans l'autre. Entre deux réunions, les aficionados des marchés gardent quotidiennement un oeil sur les cours. Avec la volatilité croissante, il faut réagir vite pour saisir les opportunités. «Les chiffres changent et il faut toujours être prêt à adapter sa stratégie», constate Pascal Lacour. D'après lui, «il y en a pour tous les goûts», de la simple couverture de risque à des tactiques beaucoup plus élaborées. Tout dépend du temps que l'on est prêt à passer dans la jungle des prix.

 

Des publications à surveiller

Plusieurs publications influencent fortement les marchés. C'est le cas des rapports publiés à intervalle régulier par l'USDA, le ministère de l'Agriculture américain, ou ceux du Conseil international des céréales. Prévisions de récolte mondiale, estimations des surfaces, ratio entre production et utilisation… Ces bilans donnent bien souvent le ton dans les salles des marchés, à Chicago comme sur le marché à terme européen Euronext.

 

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