Depuis plus de vingt-cinq ans, en France, le traitement des vaches au tarissement est l'un des fondements des programmes de maîtrise des infections mammaires. Cette pratique vise deux objectifs. D'une part, traiter de manière curative les vaches infectées en fin de lactation. D'autre part, prévenir tout risque de nouvelles infections pendant la période sèche et lors des tout premiers jours après le vêlage. «Aujourd'hui, ce discours unique du traitement systématique est remis en cause. Dans une étude (1) réalisée récemment, il a été démontré qu'il est possible de se passer d'antibiotique sur les vaches qui ne sont pas infectées», explique Philippe Roussel, de l'Institut de l'élevage. Cette stratégie peut même s'appliquer dans des élevages où le niveau d'infection est moyen, c'est-à-dire ceux dont les comptages cellulaires dans le tank sont compris entre 150.000 et 350.000, en moyenne sur l'année. Plus précisément, cela correspond à une situation où plus de 70% des vaches dans un élevage ont moins de 300.000 cellules au contrôle laitier. «Deux conditions sont alors nécessaires. Tout d'abord, que le germe dominant présent dans le troupeau soit le staphylocoque doré (Staphylococcus aureus). Cette situation épidémiologique se rencontre dans des élevages qui sont confrontés à un grand nombre de cellules sans pour autant qu'il y ait beaucoup de mammites cliniques déclarées. Ensuite, il est nécessaire que l'éleveur maîtrise bien le risque de voir apparaître de nouvelles infections durant la période sèche», poursuit Philippe Roussel.

Ce dernier point serait en grande partie lié à la bonne conduite du troupeau. Quelques règles de base sont alors à respecter avant de s'engager dans cette voie. Tout d'abord, dans la technique de tarissement. Ainsi, il est important d'arrêter la distribution des concentrés une semaine avant. Pour les fortes productrices, il est même conseillé de restreindre le régime alimentaire et de ne traire qu'une fois par jour. D'autre part, il faut veiller à ce que l'alimentation durant la période sèche ne soit pas trop différente de celle durant la lactation. Pour éviter tout risque d'oedème mammaire, attention à ne pas distribuer trop de concentrés. Il faut veiller en outre à bien complémenter la ration en sel, en potassium et en vitamines A et E. Ensuite, on s'aperçoit qu'il est préférable d'avoir une durée de tarissement limitée. Pour des primipares, une période de huit semaines est convenable, tandis que pour des vaches en deuxième et troisième lactations, cinq semaines suffiront. Enfin, concernant le logement des taries, il semble que les conditions sanitaires soient meilleures lorsque les animaux sont au pâturage.

Des facteurs favorisants

D'autres facteurs permettent de mesurer le risque de survenue des nouvelles infections au tarissement. Ainsi, des vaches âgées sont davantage en danger. Celles ayant eu une mammite au cours des précédentes périodes sèches sont également à surveiller, de même que les animaux infectés durant leur lactation. Des trayons courts peuvent également être un facteur aggravant. Ceux qui présentent des lésions au niveau du corps ou des extrémités ont plus de risques de s'infecter. De plus, la conformation de la mamelle joue un rôle important. Par exemple, les pis qui descendent sous le jarret sont sensibles aux infections. A surveiller aussi, les bêtes avec des pertes de lait fréquentes entre les traites. Enfin, au niveau génétique, la sensibilité aux infections mammaires est plus élevée chez les vaches dont les index en cellules sont négatifs.

Comment sélectionner les vaches à traiter?

Une fois tous ces risques maîtrisés, il faut sélectionner les vaches à traiter. «Ce choix peut se faire en utilisant un seuil allant de 100.000 à 200.000 cellules lors du dernier contrôle, explique Francis Sérieys, ingénieur-conseil à Filière blanche. On identifie ainsi presque tous les animaux infectés par un germe pathogène majeur et une partie des vaches touchées par des pathogènes mineurs. En moyenne, on constate que la moitié du troupeau présente une infection mammaire en fin de lactation.» Pour sécuriser au maximum sa démarche, l'éleveur peut également utiliser des obturateurs de trayons sur les vaches qui sont taries sans antibiotiques. C'est surtout en fin de période sèche, lorsque le risque d'infection par des espèces d'environnement est important, que cette technique trouve tout son intérêt. Son coût est d'environ 10 € pour les quatre quartiers.

Financièrement, il ne faut pas s'attendre à des gains importants avec cette stratégie. Par exemple, en considérant un troupeau de quarante vaches dont on ne traiterait que la moitié au tarissement, l'économie en coût de traitement s'élèverait à un peu plus de 200 € sur un an. Ce qui est faible, compte tenu du fait qu'il suffit qu'une vache non traitée s'infecte par un germe pathogène majeur pour que l'argent économisé tombe à l'eau. «Les éleveurs qui s'engagent dans cette voie le font plus par souci écologique que par intérêt financier. Cependant, nous ne sommes pas à l'abri d'une contrainte réglementaire qui obligerait à justifier toute utilisation d'un antibiotique», conclut Francis Sérieys.

(1) Etude réalisée par l'Institut de l'élevage, l'école nationale vétérinaire de Nantes, Filière blanche, la chambre d'agriculture des Pays de la Loire et celle de Bretagne.

 

Traiter en lactation: une mesure transitoire

Le traitement des mammites subcliniques au cours de la lactation apparaît justifié sur le plan économique en tant que mesure transitoire destinée à accélérer la réduction des comptages cellulaires. Elle doit se pratiquer chez des éleveurs qui sont engagés dans un programme complet de maîtrise des mammites. Les quartiers à traiter sont en priorité ceux ayant un test CMT++. Le traitement sera également à cibler de préférence sur des vaches jeunes en début de lactation. C'est la diminution des pénalités qui justifie en premier lieu cette stratégie. Cette mesure s'applique particulièrement bien dans des élevages où le nombre de cellules dans le lait de tank est autour de 300.000.

 

 

«Les quartiers peu infectés sont détectés avec le test CMT»

Pascal Creusier pose un obturateur de trayons aux vaches qui sont taries sans antibiotique. Toutes celles à plus de 300.000 cellules sont traitées.

Depuis six ans, le Gaec des Landes s'est reconverti dans l'agriculture biologique. Avec le cahier des charges qui limite l'utilisation des antibiotiques, Pascal Creusier a mis en place un protocole pour traiter sélectivement les vaches au tarissement. Progressivement, celui-ci a évolué. «Au début, je me basais sur les documents du contrôle laitier, qui classe les vaches en fonction de leurs comptages cellulaires. Ainsi, celles dites "saines" n'étaient pas traitées, les "douteuses" recevaient un traitement de courte durée et les "infectées" étaient soignées avec un antibiotique à longue action.» Avec cette méthode, de 20 à 30% des vaches non traitées s'infectaient durant la période sèche.

Pour améliorer ses résultats, l'éleveur a décidé d'utiliser deux autres techniques. Tout d'abord le test CMT, qui est désormais effectué sur toutes les vaches ayant moins de 300.000 cellules. Il permet de connaître l'état sanitaire de la mamelle, quartier par quartier. L'éleveur le réalise trois jours avant le tarissement, puis le jour même pour confirmer le premier. «Au début, il était difficile d'interpréter ce test. En fait, il faut, dans un premier temps, bien respecter les doses indiquées: 2 ml de produit pour 2 ml de lait. Ensuite, c'est en comparant les quatre échantillons prélevés que je sais si l'un d'eux est infecté.» Dès que la réaction est légèrement grise, l'éleveur traite le quartier concerné avec un produit à courte action. L'autre changement a consisté à utiliser systématiquement des obturateurs de trayons sur les vaches ou quartiers qui ne reçoivent pas d'antibiotique. A présent, seuls les bovins à plus de 300.000 cellules sont automatiquement traités avec un produit à longue action. «Cela fait trois ans que nous utilisons cette technique et, depuis, nous n'avons plus eu une seule vache infectée durant la période sèche.»

La qualité du lait est au rendez-vous. Ainsi, sur la dernière campagne laitière, le lait de tank comportait entre 150.000 et 200.000 cellules. Seules les livraisons de juin et juillet ont été pénalisées avec des comptages tout juste supérieurs à 250.000. Autre résultat important: 72% des vaches sont à moins de 300.000 et 10% au-delà de 800.000. Au final, le cahier des charges est largement respecté. «Aujourd'hui, de 40 à 50% des animaux sont taris sans antibiotique.»

Pour mettre toutes les chances de son côté, Pascal apporte un soin particulier à la conduite du troupeau. Ainsi, le concentré de production n'est plus distribué durant les deux derniers mois de lactation. Les vaches à plus de 18 kg sont nourries au foin deux jours avant le tarissement. «Je leur administre aussi un traitement homéopathique qui arrête la sécrétion lactée. Ensuite, les taries sont conduites au pré et ont à leur disposition du foin. Elles font l'objet d'une surveillance quotidienne.»