Minisommaire

1. «J'ai gardé l'élevage et Marie est partie avec la fromagerie»

- Divorce amiable ou contentieux

- Le bilan des engagements financiers

- Attention à la date choisie pour arrêter les comptes

2. «Je veux récupérer les terres de mes parents»

- Qu'advient-il du bail rural?

- Les ex-époux sont restés associés en SCEA

- Maîtriser les impôts après la séparation

 

1. «J'ai gardé l'élevage et Marie est partie avec la fromagerie»

Après vingt ans de travail en commun, Daniel et Marie ont réussi à couper leur exploitation en deux.

Daniel était éleveur depuis près de dix ans, lorsqu'il épouse Marie. C'était en 1979. Ils reprennent ensemble une nouvelle exploitation. Un peu plus de 150 ha, détenus par un GFA et 450 000 litres de quotas laitiers. Un corps de ferme dont le couple est propriétaire. Ils travaillent ensemble pendant une vingtaine d'années. Lui s'occupe de l'élevage et des cultures, elle de la gestion et de la fromagerie qu'ils ont montée au milieu des années 80. Et puis, c'est le divorce. L'un et l'autre n'ont alors qu'une idée : garder chacun leur activité agricole. Marie entend «partir avec la fromagerie» qu'elle décide de transférer ailleurs. Moment de panique. «J'ai vraiment eu peur que l'exploitation coule», se souvient Daniel.

Le couple est marié sous le régime de la communauté de biens réduite aux acquêts. Début 1997, il rend une première visite à un notaire. La procédure de divorce qui aboutira en 1998 n'avait alors pas été lancée. «Le notaire nous a demandé les bilans de l'exploitation», explique Daniel. «Nous l'avons revu quatre ou cinq fois au cours de l'année qui a suivi.» La liquidation-partage de la communauté de biens, un document d'une vingtaine de pages, a été signée en 1999. «Il nous a fallu du temps pour mettre le partage en place, se rappelle Daniel. Dans ces cas-là, on a vite tendance à être crispés. Mais le notaire nous a bien fait comprendre que nous n'avions pas intérêt à nous déchirer. Sinon, plus d'exploitation et plus de fromagerie. C'était une période de ballottement. D'autant plus que nous avons continué pendant ces deux ans à travailler et à vivre sur l'exploitation.»

Près de deux ans de discussions

Première étape: le notaire évalue tous les biens que le couple possède et soumet ses propositions. Il s'agit de déterminer ce qui appartient à l'un, à l'autre ou aux deux. Et sans dialogue, impossible d'avancer. «Cela n'a pas été facile par exemple d'estimer la valeur des biens d'exploitation dont je disposais au moment de mon mariage.»

Deuxième étape: une fois d'accord sur les biens communs et leur valeur, le couple doit trancher sur leur partage. Si Daniel avait simplement garder l'élevage et Marie la laiterie, le partage aurait été très déséquilibré. «J'aurais dû faire de nouveaux emprunts pour lui rembourser la différence (la soulte). Cela aurait coulé l'exploitation», explique Daniel. Le problème est résolu lorsque Marie accepte «d'emporter» des parts de GFA.

Troisième étape: le notaire rédige l'acte de liquidation-partage des deux époux. Il détaille l'actif (biens immobiliers, parts de GFA, matériel, cheptel, comptes bancaires, fromagerie) évalué au préalable à 850 000 €. Une fois le passif déduit, l'actif net se monte à 580 000 €, soit 290 000 € par conjoint. Daniel y ajoute la valeur de son apport au moment du mariage et une donation venant de ses parents.

Au final, il se voit attribuer des terres, les bâtiments et l'élevage laitier pour un montant estimé à 560 000 €. Il prend aussi en charge le remboursement de la quasi-totalité des emprunts qui viennent en déduction de cette somme. De son côté, Marie récupère des parts de foncier, la laiterie et l'argent en banque. Coût de l'opération : un peu plus de 15 000 € de frais de partage. Mais la vie pouvait recommencer.

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Divorce amiable ou contentieux

Deux conjoints d'accord pour divorcer peuvent obtenir un divorce par consentement mutuel. Si l'un des conjoints n'est pas d'accord pour divorcer, il peut y avoir divorce pour faute ou pour rupture de la vie commune. Le juge compétent pour statuer sur le divorce est le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de la résidence de la famille. Dans tous les cas, l'assistance d'un avocat est indispensable à chacun des époux. Toutefois, en cas de divorce sur demande conjointe, les époux peuvent d'un commun accord choisir un seul avocat.

 

Le bilan des engagements financiers

Le point de vue du banquier.

«Le divorce peut mettre en péril la pérennité de l'exploitation. Prévenez au plus tôt votre agence bancaire», explique un banquier. Au plan bancaire aussi, les conséquences d'un divorce dépendent du régime matrimonial.

Comme une nouvelle installation

Le divorce d'un couple marié sous le régime de la séparation de biens aura en général des conséquences moindres sur l'équilibre financier de l'exploitation. Sous réserve d'éventuelles prestations compensatoires pour le sortant.

Il n'en va pas de même pour le divorce d'exploitants mariés sous le régime de la communauté ou de la participation aux acquêts.

Pour le conjoint qui reprend tout ou partie de l'exploitation, la restructuration financière est telle que cela revient quasiment à une nouvelle installation. Nouveau plan de financement à l'appui, le client et son banquier doivent évaluer la capacité de la structure à amortir des dettes qui peuvent être alourdies par le versement d'une soulte. Ils doivent aussi faire le point sur les projets en cours.

Faire une mise aux normes sur une exploitation en vitesse de croisière ne revient pas à faire une mise aux normes tout en étant obligé de racheter la moitié de son exploitation. Lorsque la charge financière est trop lourde, le banquier peut ainsi conseiller à son client de réaliser certains emprunts et de revendre une partie de son capital, si possible hors capital d'exploitation.

Attention aux garanties et cautions personnelles au nom du conjoint sortant. Des solutions peuvent être envisagées à condition de trouver des garanties de substitution.

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Attention à la date choisie pour arrêter les comptes

Jean-Paul Jacob, notaire à Cosne-sur-Loire (Nièvre)

«Le notaire n'a pas à connaître les raisons du divorce, il n'intervient que sur le patrimoine. Il est là pour partager les biens communs. Il le fait en fonction du régime matrimonial des époux. Si, au moment du mariage, ces derniers n'ont pas rédigé de contrat, ils sont soumis à la communauté de biens réduites aux acquêts. Chaque époux dispose alors en propre des biens dont il était propriétaire avant de se marier ou reçus en héritage ou par donation depuis. Les biens acquis après le mariage sont des biens communs.

L'importance du régime

Dans le régime de la communauté universelle, tous les biens sont en principe communs. Dans la séparation de biens , il n'y a pas de biens communs. Même les biens acquis par les deux époux sont en indivision. Avec la participation aux acquêts, en cas de divorce, chaque époux a droit à la moitié de la valeur des biens acquis par l'autre au cours de l'union. Il reste qu'il n'est pas toujours simple de déterminer ce qui entre dans la communauté. Compte tenu de l'âge à l'installation, l'exploitation est souvent un bien personnel de celui qui exploite. Mais comment considérer l'exploitation d'un agriculteur, fermier au moment de son mariage, et qui a ensuite transféré son siège sur les terres de son beau-père ? Reste-t-elle le bien personnel de cet agriculteur ou est-elle est un bien commun au couple? Suivant la réponse, l'actif net partagé sera bien différent. Le notaire peut proposer une solution mais si les conjoints ne sont pas d'accord, il y a procès-verbal de difficulté. C'est alors au juge de trancher la règle de droit avant toute liquidation de la communauté. Attention aussi à la date choisie pour arrêter les comptes. Elle peut être antérieure à la procédure de divorce. Cela peut être utile lorsqu'il y a un risque de voir se dégrader rapidement la valeur du bien. Par exemple, si l'un des conjoints a un problème de boisson, mieux vaut arrêter les comptes au moment de la séparation de corps.»

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2. «Je veux récupérer les terres de mes parents»

L'ex-mari de Claude n'a pas renoncé à exploiter les terres que ses beaux-parents lui avaient louées. Bataille rangée autour de 160 hectares dotés d'un quota betteravier.

Après quatorze ans de mariage, Claude, deux enfants, se sépare de son époux en 1995. « Le divorce a été prononcé aux torts exclusifs de mon mari en 1997. Depuis cette date, la liquidation du patrimoine n'est toujours pas intervenue, en raison principalement du litige portant sur l'attribution de l'exploitation agricole », témoigne-t-elle.

Un bail à sa fille et à son gendre

Mariés sans contrat, les époux prennent la suite des parents de Claude, une ferme de 200 hectares pourvue d'un quota betteravier dans la région de Ham (Somme). Ces derniers consentent alors un bail rural de 18 ans à leur fille et leur gendre sur leurs 160 hectares de propriété. Une décision que le père de Claude, aujourd'hui âgé de 81 ans, regrette amèrement. Une confiance trahie. « Au moment de divorcer, j'ai voulu récupérer les terres de mes parents. Mon ex-conjoint s'y est opposé. Mes parents lui ont alors signifié un congé pour reprise à mon profit. Pour pouvoir reprendre notre bien, à 39 ans, je suis retournée sur les bancs de l'école pour décrocher un BP REA* et répondre aux conditions de diplôme. J'ai également fait les démarches pour être en règle avec le contrôle des structures. Le congé aurait dû prendre effet au début de l'année 2000. Mais, mon ex-mari l'a contesté, notamment en ce qui concerne la validité de l'autorisation d'exploiter. »

Dans ce cas, le tribunal paritaire des baux ruraux doit surseoir à statuer jusqu'à ce que le tribunal administratif se prononce. «Au printemps de 2003, j'ai obtenu une décision favorable du tribunal administratif, mais mon ex-époux a fait appel. En attendant, il se maintient dans les lieux.»

Pas d'accord amiable

Aucun accord amiable de partage du patrimoine commun n'a pu être trouvé. « Dans l'attente d'un partage judiciaire, le tribunal a accordé la gestion de l'exploitation à mon ex-conjoint. Depuis 1995, je n'ai pas de droit de regard sur les comptes et je ne perçois aucun bénéfice agricole. En 2000, j'ai demandé au tribunal de nommer un expert. Deux ans plus tard, le rapport d'expertise concluait qu'une soulte m'était due. Rapport que le tribunal de grande instance a validé. Mais là encore, mon ex-mari a fait appel : il conteste l'estimation de l'exploitation.»

Claude est écoeurée par la lenteur de la justice dont « son ex-mari profite agréablement ». Elle a déjà engagé plus de 30 000 € de frais de procédure (soit plus de 200 000 F) et ne voit pas le bout du tunnel. « C'est économiquement insoutenable et moralement très difficile à vivre. » Il faut dire que le bureau ainsi que le matériel de l'exploitation sont situés dans la cour de son domicile.

(*) Brevet professionnel responsable d'exploitation agricole.

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Qu'advient-il du bail rural?

- Un seul des deux conjoints est locataire.

Le droit au bail, droit personnel et incessible, reste attaché au seul conjoint preneur.

- Les époux sont copreneurs

Le divorce ne met pas fin au bail. Il se poursuit au profit des ex-époux. A défaut d'accord entre le propriétaire et les ex-conjoints, la résiliation ne peut être prononcée qu'à la demande du bailleur et seulement en raison d'agissements fautifs du preneur ou de fermages impayés. L'un des copreneurs ne peut pas imposer la résiliation du bail à l'autre, même pour un motif légal.

Le preneur qui poursuit l'exploitation conserve l'intégralité de ses droits locatifs. Il a droit au renouvellement du bail, sous réserve, bien sûr, qu'il remplisse les conditions exigées par la loi. L'un des époux peut renoncer à ses droits locatifs au profit de l'autre sans que cela constitue une cession de bail. En revanche, le juge n'a pas le pouvoir d'attribuer le bail à l'un ou l'autre des conjoints, lorsque chacun le revendique pour lui seul. Dans ce cas, les ex-conjoints doivent s'entendre.

 

Les ex-époux sont restés associés en SCEA

François Ruben, conseiller du centre d'économie rurale du Loiret.

«Avec mon épouse, j'ai repris la ferme de mes parents en 1982. Au moment du divorce, nous étions associés exploitants en EARL, explique Laurent, aviculteur et céréalier. Je voulais poursuivre l'exploitation, mais sans verser de soulte à mon ex-épouse. Il aurait fallu que j'emprunte la moitié de la valeur de l'exploitation. Financièrement, c'était intenable.» Pour ne pas mettre en péril l'exploitation, Laurent et son ex-femme sont restés associés en SCEA. Pas d'estimation des biens professionnels, de réévaluation des parts sociales ou de partage : tout a été mis au point par les agriculteurs et le conseiller de leur centre de gestion. Une solution qui suppose une certaine entente.

Pas de soulte

Pour échapper à l'impôt sur les sociétés (IS), l'EARL a été transformée en SCEA. « Seules les EARL de famille sont soumises au régime des sociétés de personnes, explique François Ruben, conseiller du CER du Loiret. Or, à partir du divorce, le lien de famille disparaît. L'EARL devient alors passible de plein droit de l'IS. Un régime peu adapté à l'agriculture. » L'ex-épouse de Laurent a cessé ses fonctions de gérante et est devenue associée non exploitante au sein de la SCEA. Elle ne participe plus aux travaux, mais demeure associée apporteur de capital. Les modalités de rémunération de ce capital et les règles de répartition du résultat ont été encadrées. En tant qu'associée, l'ex-femme de Laurent a toujours accès au bilan. « En pratique, les ex-époux se réunissent une fois par an avec le comptable à la remise des résultats », indique François Ruben.

Du côté privé, tout a été réglé à l'amiable avec le notaire. Au final, ce divorce par consentement mutuel aura duré un an et coûté 4.600 € aux époux (plus de 30.000 F).

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Maîtriser les impôts après la séparation

Frank Brilland, fiscaliste du centre de gestion Cefiga dans la Sarthe.

L'année du divorce (ou de la séparation), les époux doivent établir trois déclarations : la première au nom du couple (du 1er janvier au jour de la séparation) et les deux autres au nom de chacun des époux (de la séparation jusqu'au 31 décembre). « En principe, les bénéfices agricoles figurent en totalité sur la déclaration correspondant à la date de clôture de l'exercice comptable (pour les personnes au réel ou associés de sociétés), à la date de la levée des récoltes (pour les personnes au forfait) ou au 31 décembre de l'année (dans les autres cas), explique Franck Brilland du centre de gestion Cefiga (Sarthe).

Répartir les revenus prorata temporis

Toutefois, les époux peuvent demander au fisc de répartir ces revenus prorata temporis. La répartition s'effectue par mois entier, le mois du divorce devant être rattaché à la période d'imposition commune.»

«Les époux peuvent tomber d'accord et attribuer l'exploitation à l'un des deux pour en assurer la pérennité, sans pour cela avoir résolu la liquidation du patrimoine privé, poursuit le conseiller. Avec les ex-conjoints, nous répertorions les biens, les créances et les dettes communes, puis nous établissons la valeur de l'exploitation. En société, cette valeur détermine le prix de cession des parts sociales. Dans bien des cas, l'exploitation est poursuivie par un seul des ex-époux, à charge de soulte. Les revenus de l'exploitation appartiennent à celui qui a la qualité d'exploitant. En général, le divorce n'entraîne de situation d'imposition exceptionnelle. Des plus-values peuvent toutefois être réalisées.» A compter de 2004, celles-ci sont exonérées si les recettes de l'exploitation n'excèdent pas 250 000 € et que l'activité s'exerce depuis au moins cinq ans. De 250 000 € à 350 000 €, un mécanisme d'exonération partielle s'applique.

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