«On a perdu trois ans et pas gagné grand-chose»: c'est le constat que fait la FNSEA sur la manière dont les pouvoirs publics, et surtout Bercy, ont conduit le développement de l'assurance récolte en France. A quelques semaines de la fin de la période d'observation de trois ans qui avait été décidée et au-delà des chiffres de diffusion en grandes cultures qui peuvent faire illusion, c'est d'un dossier plutôt embourbé que va hériter Christine Lagarde, la nouvelle ministre de l'Agriculture.
«L'Etat joue petit-bras», avions-nous titré en octobre 2004, à la veille du lancement du dispositif d'assurance récolte. Presque trois ans plus tard, il semble que le titre ait été prémonitoire. Représentant de la FNSEA au Comité national de l'assurance en agriculture, Jean-Michel Delmas estime que l'«approche essentiellement budgétaire» qui a été conduitejusqu'à présent «a coupé les ailes» au dispositif. Et, selon lui, Bercy porte une lourde responsabilité dans le «stand-by» de la situation actuelle. «A huit mille assurés près, on en est au même niveau qu'en 2005 au moment du démarrage, fustige-t-il, alors que le développement aurait dû être exponentiel.» La pénétration du dispositif est encore faible en viticulture (10% des surfaces 2006), quasi confidentielle en fruits (1,72%) et légumes (3,53%) et les productions fourragères ne sont pour l'instant pas concernées.
Le syndicaliste pointe du doigt les mauvais signaux qui ont été envoyées par l'Etat, à cause de cette obsession budgétaire: «La première année, on a laissé une ardoise aux assureurs; la seconde, un mécanisme de réduction de la subvention a été institué et, cette année, l'Etat n'a pas relevé à 45% comme il l'avait promis le soutien spécifique au primes d'assurance vigne et arbo. Or l'assurance récolte est aussi une question de confiance et de psychologie!»
La FNSEA se désole de voir arriver le bilan de santé de la Pac en 2008 sans que la France ait engrangé une expérience importante en matière d'assurance récolte, alors que celle-ci est la base de l'assurance chiffre d'affaires qu'elle envisage pour l'après-2013.
Dans un rapport chargé de tracer des perspectives d'évolution pour le gouvernement, le sénateur Dominique Mortemousque estime quand même «significative» la phase qui se termine en 2007 «puisque près de 20% des exploitations professionnelles sont assurées après seulement deux ans». Il reconnaît toutefois que le développement reste fragile: «Cette phase ne prépare en rien les étapes suivantes puisque l'essentiel des contrats concerne les grandes cultures, qui sont aussi les cultures les moins exposées aux risques climatiques.»
Conserver le fonds
Comment dès lors passer sur un plus «grand braquet»? C'est la question que la nouvelle équipe ministérielle va devoir résoudre. Et il y a urgence à donner de la visibilité, car la nouvelle campagne d'assurance démarre en août avec les semis de colza.
Parmi les différentes solutions explorées par le rapport Mortemousque figurent des choses plutôt consensuelles et d'autres qui le sont beaucoup moins. Le rapporteur suggère ainsi de porter à 45% le soutien à la prime d'assurance des cultures spécialisées (vigne, fruits et légumes) et que l'Etat apporte sa réassurance publique pour couvrir les aléas de grande ampleur. Là-dessus, tout le monde semble d'accord. Il propose aussi la généralisation du dispositif à toutes les productions et donc l'extension aux fourrages.
En revanche, il préconise un effacement rapide du fonds des calamités pour ne plus faire d'ombre à l'assurance récolte. Cela consisterait à exclure de l'indemnisation par le fonds les cultures qui auraient atteint 15% de surfaces assurées, et ce deux ans après que ce seuil aura été atteint. Une position d'arbitrage «tout-assurance» jugée excessive par la FNSEA. «Si on ferme le fonds, on aura un problème social. Que fait-on des gens qui ne seront pas assurés? s'interroge Jean-Michel Delmas. La contre-proposition du syndicat est de garder un fonds «a minima», une sorte de «couverture universelle climatique». «Il offrirait une protection très basique, à l'instar du CAT («catastrophic coverage») aux Etats-Unis, poursuit-il. Chacun pourrait ensuite souscrire en complément une garantie multirisques climatiques, puis une assurance revenu.» Le syndicaliste rappelle que le fonds des calamités a l'avantage d'être classé en boîte verte à l'OMC. Pour lui, ce dossier doit maintenant être porté à Bruxelles, de concert avec les Espagnols. La FNSEA veut aussi qu'on passe à une approche beaucoup plus incitatrice, avec par exemple une subvention plus élevée pour ceux qui s'assureraient sur plusieurs années ou en groupe via leur coopérative.
LES CHIFFRES- 66.300 contrats souscrits en 2006 - Un quart des surfaces de grandes cultures assurées - 57.900 contrats en 2005. |
«La sécheresse est difficilement assurable»Groupama et Pacifica mis à part, de nombreux assureurs sont restés à l'écart du dispositif ou du moins extrêmement prudents compte tenu des risques fnanciers considérables qu'ils seraient amenés à prendre et des imperfections du dispositif. Comme beaucoup de ses confrères, Arnaud de Beaucaron, directeur général de de L'Etoile, se dit extrêmement dubitatif sur la possbilité d'assurer le risque sécheresse. «Les sociétés d'assurance ne peuvent pas se substituer à l'Etat pour assurer un risque qui n'était déjà pas assurable auparavant. En Espagne, pays en pointe sur l'assurance récolte, la sécheresse est traitée à part. Elle est encore prise en charge à 100% par l'Etat au niveau de la réassurance publique.» Cet assureur est également très sceptique sur l'extension qui pourrait être donnée aux fourrages. «On n'a aucun recul là-dessus. C'est très compliqué.» Il pense aussi que la liste des cultures assurables devrait être limitée par régions pour éviter des choses aberrantes. |
Témoignage: ROBERT DROUET, vice-président délégué de la Fédération nationale Groupama «Notre test sur les prairies est satisfaisant»1. Quel bilan tirez-vous trois ans après le lancement de l'assurance récolte? Pour la campagne de 2007, il est prématuré de tirer un bilan. Celui des deux premières campagnes, qui restent expérimentales, est positif et les résultats sont là, en dépit des contraintes fortes que représentaient l'absence de réassurance et l'enveloppe de subvention limitée. L'offre (*) est adaptée, comme en témoigne une croissance mportante de notre portefeuille grandes cultures assuré en multirisque climatique, avec 13% de chiffre d'affaires supplémentaire. L'indemnisation est rapide et sur la base des pertes réelles de l'agriculteur: les premières indemnités ont été réglées en octobre. Nous avons pu démontrer notre capacité à expertiser, y compris lors d'un événement de grande ampleur comme la sécheresse de 2005, grâce à la mise sur pied d'un réseau d'experts qualifiés rapidement mobilisables. Au final, avec environ 10.000 sinistres d'origine très varée réglés en 2005 et un peu plus en 2006, l'intérêt pour l'agriculteur d'une couverture multirisque climatique «Coup dur» (franchise à 25%) n'est plus à démontrer. 2. Quand comptez-vous étendre la multirisque climatique aux cultures fourragères?Avant le démarrage du dispositif d'assurance récolte, Groupama avait clairement indiqué que pour répondre à l'ensemble des conclusions des rapports Babusiaux et Ménard, il était indispensable d'analyser la faisabilité technique et économique d'un produit destiné aux éleveurs couvrant la production fourragère. Depuis 2006, nous proposons déjà une réponse aux productions de maïs fourrage car elles sont «éligibles» au contrat multirisque climatique. S'agissant des prairies, nous souhaitions examiner la possibilité d'une telle couverture. Voilà pourquoi nous avons conduit en 2006, avec 275 élus du groupe, un test qui s'avère satisfaisant, sur le plan technique et économique, sous réserve d'ajustements en cours. Par contre, toute décision de commercialisation est conditionnée à un choix politique de la profession agricole et à l'attitude des pouvoirs publics vis-à-vis de l'évolution du fonds des calamités, ainsi qu'à l'existence préalable des conditions de viabilité d'un tel produit (enveloppe de subvention, réassurance publique pour les événements de grande ampleur). (*) NDLR: Pour les grandes cultures, Groupama propose à ses clients assurés contre la grêle une extension gratuite à douze autres aléas climatques. |