"Avec les sangliers, nous sommes face à un véritable fléau qui détruit aussi bien les cultures annuelles que les prairies", déclare Geoffroy Vignes, agriculteur et éleveur à Ciron, dans la Brenne (Indre). Il siège également comme représentant des agriculteurs à la commission dégâts de gibier du département.

"Dans le cas du maïs par exemple, les retournements au semis sont très pénalisants car il est toujours difficile d'apprécier l'étendue des dégâts et de prendre la décision de ressemer ou pas."

Geoffroy Vignes est encore plus inquiet pour les éleveurs. "L'indemnisation couvre la perte annuelle de récolte mais ne prend pas en considération la remise en état complète de la prairie. Avec la Fédération des chasseurs, nous réfléchissons à la possibilité d'acheter du matériel spécifique qui serait mis à la disposition des agriculteurs moyennant une partie de l'entretien à leur charge."

Indemnisation insuffisante

Les clôtures font également partie du matériel de dissuasion mis à la disposition des agriculteurs par la Fédération des chasseurs. Relativement efficaces quand elles sont bien installées, elles nécessitent une surveillance quotidienne. "Nous en avons installé près de 6 km en bordure de la forêt de Brouard, à la limite de l'Indre et du Loir-et-Cher", explique Christian Pinard, installé à Faverolles, dans le Boischaud-Nord. Comme d'autres voisins les ont également adoptées, les cervidés se concentrent à cinquante ou cent sur les terrains non protégés et détruisent tout. Malgré ces protections, chaque année l'équivalent de 1 ha de blé et 1 ou 2 ha de maïs sont détruits.

Sur l'exploitation de polyculture-élevage de Paul Contassot, dans la Côte-d'Or, les dégâts de gibiers ne cessent d'augmenter. Les trois quarts de ses 280 ha sont régulièrement visités par les sangliers et les cervidés. L'an dernier, le préjudice a représenté 7% du chiffre d'affaires, principalement avec des pertes sur le colza et le blé. "L'indemnisation des cultures détruites est inférieure aux cours du marché. Le colza est compensé à 210 €/t alors qu'il se négocie à 230-240 €/t au départ de la ferme. Il faut aussi supprimer la retenue de 5% sur tous les dossiers", estime Paul Contassot, président de la commission des dégâts de gibiers à la FDSEA.

Dans de nombreuses régions, le mécontentement des agriculteurs monte face à la prolifération du grand gibier, entre autres le sanglier, et le développement des dégâts qui en résulte. Un mécontentement accentué par le fait que, cette année, les indemnisations proposées ne sont pas à la hauteur des attentes: un blé tendre indemnisé à 8,72 €/q (soit 57,20 F), c'est le maximum qu'une commission départementale d'indemnisation des dégâts de gibier peut proposer. "Les barèmes indicatifs fixant le prix des céréales ont été arrêtés par la commission nationale d'indemnisation le 24 juillet, à une époque où les cours étaient particulièrement bas", admet-on à la Fédération nationale des chasseurs. Depuis cette date, la volatilité des cours a creusé un écart impossible à combler.

35 millions d'euros d'indemnités

Du coup, ça grince dans de nombreux départements et des voix s'élèvent pour réclamer une indemnisation plus juste, soit en modifiant le mode de fixation du prix des denrées, soit en laissant les commissions départementales libres de déterminer des barèmes en dehors de ceux fixés par la commission nationale. "Nous souhaitons que les commissions départementales aient leur mot à dire", suggère Jacques Chazalet, président de la commission des dégâts de gibier à la FNSEA. La Fédération nationale des chasseurs travaille sur un nouveau dispositif qui pourrait être opérationnel en 2003, sous réserve des modifications des textes réglementaires. Elle propose d'évoluer vers des barèmes régionaux, validés nationalement, fondés sur le prix des céréales de l'année précédente, voire sur une moyenne des trois années précédentes.

La fixation des barèmes n'est pas le seul sujet de mécontement des agriculteurs victimes de dégâts de gros gibier. L'indemnisation n'intègre que la notion de perte de récolte sans tenir compte du préjudice réellement subi: valeur de remplacement d'une surface fourragère détruite pour les éleveurs, frais de remise en état des prairies, pertes indirectes. Cependant, outre les difficultés d'estimation liées à ce type de préjudice, le risque serait alors de faire exploser une enveloppe qui n'est pas extensible à l'infini. Les dégâts de gros gibier sont assumés par les seuls chasseurs. Globalement, les fédérations de chasseurs consacrent, chaque année, plus de 35 millions d'euros (230 MF); soit 23 millions d'euros (150 MF) au titre des indemnités versées aux agriculteurs (dont 80% sont imputables au sanglier), 12 millions d'euros (80 MF) au titre de la prévention et de 0,5 à 0,6 million d'euros (3 à 4) en frais d'expertise. A terme, les chasseurs pourront-ils régler une addition de plus en plus lourde?

Pour sortir de l'impasse, un seul moyen: réduire le nombre de sangliers pour diminuer les dégâts: "Quand les chasseurs veulent gérer une population de gibier, ils peuvent y parvenir. Il faut se préoccuper des massifs qui posent des problèmes. Ce que nous voulons, c'est avoir le moins de dégâts possibles. Si nous ne pouvons plus protéger nos cultures, nous devrons en passer par les battues administratives", prévient Jacques Chazalet. En cas de nécessité, le préfet peut en effet prendre des mesures contraignantes. Ainsi, dans le préfet de la Moselle a-t-il mis en demeure en juillet dernier les 1.400 adjudicataires de chasse situés dans plus de 300 communes sensibles d'augmenter les tirs de 50% (par rapport à la campagne précédente): "Cela n'a pas été fait. Nous venons de demander au préfet de réaliser des battues administratives dans les secteurs où les mises en demeure n'ont pas été suivies d'effet", précise Alain Brange, de la FDSEA de la Moselle, un département déclaré "zone de prolifération".

 

Question à: BENOÎT GUIBERT, chef du service des dégâts de gibier à la Fédération nationale des chasseurs (FNC)

Comment sortir de cette situation?

"L'indemnisation des dégâts de grand gibier n'est pas une fin en soi. La ligne qui consisterait à dire "je gère ma chasse comme il me plaît et je me fiche des dégâts infligés aux agriculteurs" va droit dans le mur. Il faut, au contraire, aller vers plus de prévention, vers une meilleure régulation des populations (augmenter les tirs) mais aussi vers une gestion des habitats du gros gibier (essayer de mieux maintenir les animaux en forêt).

La prévention consiste notamment à protéger les cultures sensibles dans les zones à risques, en concertation avec les agriculteurs. Cela signifie par exemple la pose de clôtures très tôt en saison (avant le semis). C'est aussi la mise en place de jachères faune sauvage en périphérie de bois, susceptibles de concentrer les dégâts. Pour réguler les populations, il faut massif par massif identifier l'auteur dominant des dégâts (sanglier, cerf, etc.). Ensuite, il faut exercer une pression continue dans le temps, ce qui veut dire changer les règles de tir et sortir des habitudes, car ce qui était valable hier pour gérer la pénurie, ne l'est plus aujourd'hui pour faire face à l'abondance. C'est un message difficile à faire passer car les chasseurs ont l'impression, à tort, de puiser dans leur capital. La plupart du temps, les dégâts se concentrent sur quelques massifs dans un département et sont le fait de quelques gestionnaires défaillants. Je ne crois pas que les battues administratives résoudront le problème de surpopulation. C'est une solution de dernier recours, au résultat aléatoire, qui marque les esprits et permet de désamorcer une situation localement tendue.

En instaurant les schémas départementaux cynégétiques, la loi chasse va obliger les fédérations de chasseurs à réfléchir sur la politique qu'elles entendent mener dans les prochaines années, notamment à se positionner sur les niveaux de population de gibier. C'est une chance pour aborder le problème en amont, en concertation avec les acteurs locaux que sont les agriculteurs et les forestiers."