Et dans le même temps ils apprennent par la presse que les horaires d'ouvertures de la poste sont réduits, qu'une classe va être supprimée ou leur collège fermé. Ils n'apprécient pas plus que sous couvert de décentralisation ou d'ouverture à la concurrence, la DDE ou la Poste retirent leurs agents titulaires. Alors que des agents polyvalents et reliés en réseau pourraient être maintenus sur le terrrain. Pour répondre à la fronde des maires du rural, le Premier ministre vient d'installer la conférence des services publics en milieu rural. Il a suspendu toute réorganisation qui entraîne une réduction significative du service au public. Il prône la concertation. Les maires attendent avant de se réjouir: seront-ils cette fois entendus? Quand arrêtera-t-on de dire depuis la ville ce que doit faire la campagne?
«L'Etat trahit sa parole»
Jean Milesi déplore le décalage entre discours et réalité : les engagements pris en commission départementale ne sont pas respectés sur le terrain.
«Quittez la route en direction de Mélagues (Aveyron) : ma maison est dans le premier hameau que vous rencontrerez, à 20 kilomètres de là. » En une phrase tout est dit de l'isolement du village de Jean Milesi. Maire de Mélagues, il défend depuis toujours le droit de ses concitoyens à vivre dans ces magnifiques paysages isolés de l'Aveyron. «Nous avons commencé à nous battre en 1990 : l'école qui ne comptait que quatre élèves, était menacée de fermeture. Sauvés par notre isolement géographique, nous avons lancé un appel. Trois familles se sont installées. Un an après, l'école accueillait vingt élèves.»
Une association «Ecole et territoire»
Jean Milesi fonde alors avec Lionel Paillardin, agriculteur des Hautes-Alpes, l'association « Ecole et territoire» qui combat la fermeture des petites écoles (1) devant les tribunaux administratrifs. L'école de Mélagues fermera en 1999. «Mélagues compte 103 habitants mais aussi 40 résidences secondaires. Il n'y avait plus de maisons pour accueillir de nouveaux habitants.» Les enfants vont à l'école à 12 kilomètres de là, soit 30 minutes de transport au minimum. « Nous avons lutté aussi pour l'hôpital de Saint-Affrique situé à 55 kilomètres. Au terme d'une lutte de trois années la chirurgie qui avait été délocalisée à Millau à 95 kilomètres, va rouvrir en avril. Depuis des années, l'Etat nous demande d'imaginer des réorganisations du service public. Et dans le même temps ils vident le territoire de sa substance. L'inspecteur d'académie précédent avait encouragé les regroupements pédagogiques contre la promesse de ne pas toucher pendant trois ans aux classes. Et 18 mois après, son successeur ferme une classe. L'Etat trahit sa parole. L'Aveyron est le deuxième département industriel de Midi-Pyrénées. La population aveyronnaise rajeunit. Nous entretenons « gratuitement» le territoire qui apporte de l'espace, du divertissement et de la santé. A l'Etat d'organiser l'égalité, la continuité et la solidarité.»
(1) ecole.et.territoire wanadoo.fr, tél : 04.92.66.25.13.
La Poste délaisse le territoire
Pendant que se discute la loi de régulation postale, dans les départements la réorganisation va bon train.
La Poste compte 17.000 points de contact avec le public dont 10.000 en milieu rural. Pour faire face à son entrée progressive dans le champ de la concurrence, elle se réorganise discrètement: réduction des horaires, agences postales dans les mairies, points Poste chez des commerçants.
Les discussions sur le terrain s'accélèrent au sein des commissions départementales de présence postale. Jean Milesi participe à la commission de l'Aveyron au titre du conseil général : « Dans tous les cas, la Poste réduit sa présence. Des contractuels remplacent les titulaires. A-t-on choisi la bonne stratégie en discutant avec la Poste ? Leur engagement ne dépasse pas 2008, juste après les élections.»
«Sauver les tournées quotidiennes du facteur»
Assumer une agence postale coûte entre 1.500 et 3.000 euros à une mairie selon Jean Milesi. «S'il faut sauver quelque chose, ce sont les tournées quotidiennes du facteur. Déjà un facteur malade n'est pas remplacé avant deux jours.» La Poste devra cependant respecter la loi de régulation postale. L'association des maires ruraux de France demande de suspendre toute modification du réseau tant que cette loi n'est pas votée. Elle conteste aussi l'abondement du Fonds postal de péréquation créé par la loi : il recevrait 150 millions d'euros, là où le surcoût de la présence postale en milieu rural dépasse 500 millions.
«Il faut la palette complète»
Selon Claire Sarda-Vergès, les ruraux ont besoin de tous les services essentiels marchands et non marchands.
En contrebas de la route qui mène au col de Jau, Campôme (Pyrénées-Orientales) abrite 110 habitants durant l'hiver. « L'été la population est multipliée par trois », précise Claire Sarda-Vergès, dynamique maire du lieu. Son père, avocat spécialisé en droit rural et maire de la commune de 1965 à 1983, a vite compris que le village devait s'ouvrir. « Il a dit oui à la création d'un centre de vacances. Et puis dans cette région de cures, il a commencé à aménager des gîtes communaux. Son successeur a poursuivi. Aujourd'hui, nous avons huit gîtes communaux, trois logements réhabilités et ce centre de vacances. Les loyers des immeubles de la commune rapportent 50.000 € à notre budget et les impôts locaux 15 000 €. Nous avons créé notre indépendance », se réjouit Claire Sarda-Vergès.
Des transports pour tous
Il n'y a plus une maison de libre dans le village. « En quatre ans, cinq familles avec enfants se sont installées. Les enfants vont à l'école à 6 km. Le collège est à 8 km. Nous nous sommes battus pour que les transports scolaires puissent être aussi empruntés par les personnes isolées les jours de marché. Le Pays va travailler sur les déplacements des personnes âgées mais aussi sur celui des jeunes.»
Claire Sarda-Vergès, mariée à un arboriculteur d'un village voisin, s'est spécialisée dans l'aménagement rural et la politique communautaire. L'éloignement des établissements de services publics l'inquiète : « Que se passerait-il aujourd'hui si une tempête comme celle de décembre 1999 survenait ? Depuis le 1er janvier 2004, les équipes d'intervention d'EDF sont basées à Perpignan. Avant, ils intervenaient au bout d'une heure au maximum. Il faudra maintenant deux heures au minimum.»
Les techniciens s'éloignent
«Nous avons été mis devant le fait accompli. Des agents d'EDF nous ont informés par hasard lors d'une panne, huit jours avant ce déménagement. La DDE comme EDF a été réorganisée. Le nombre des agents sur place est passé de vingt à quatre. Les services publics sont un tout : si les routes ne sont pas déneigées, la factrice ne circulera pas. Ici le portable ne passe pas. Le Premier ministre parle de commission pour débattre des services publics. La commission départementale d'organisation et de modernisation des services publics n'a pas été réunie depuis au moins trois ans. Mais c'est aussi à nous, les élus ruraux de nous battre, de nous organiser, de proposer.»
La concurrence du périurbainLa décentralisation décrétée en 2003 et 2004 entraîne une réorganisation des services qui éloigne les agents, jusqu'ici répartis sur le territoire : c'est le cas des directions départementales de l'équipement, des directions départementales de l'agriculture. Claire Sarda-Vergès siège à la commission aménagement du territoire de l'association des maires de France pour que la réalité rurale soit défendue. « Nous, les communes rurales, nous devons être présentes, nous battre et avancer nos arguments. Les effectifs se concentrent sur le périurbain dont la population augmente. La présence des services se définit en fonction des habitants et des kilomètres de route. Mais l'effet kilomètres ne compense pas le manque d'habitants. Même pour récupérer les fonds européens de développement rural, nous devons argumenter pour qu'ils soient bien redistribués aux ruraux. Ce n'est pas gagné. C'est à l'Etat, au-delà des discours, à donner une impulsion forte. Sinon les villes seront les premières servies », explique Claire Sarda-Vergès. |
«Une fermeture de trop, apprise par courrier»
Dans la Creuse, 263 élus ont démissionné, à la suite de l'annonce de la fermeture de cinq perceptions.
Le 23 octobre 2004, 263 élus de la Creuse, (dont 28 maires et un conseiller général) déposaient, sur le bureau du préfet, leur démission. « Le point de départ de ce mouvement d'humeur, c'est le fait accompli : une annonce sans concertation avec les élus. C'est ce qui a mis le feu aux poudres », commente Philippe Breuil, conseiller général du canton de La Courtine dont la disparition de la perception était programmée. « Nous avons appris, par courrier, la décision de fermeture de notre perception et son rattachement à celle de Crocq, située à 30 km », confirme Jean-Marc Michelon, maire de La Courtine, une commune d'un millier d'habitants du sud de la Creuse.
Pas de haut débit
Pour une commune rurale, la fermeture d'une perception n'est pas anodine. D'abord, la disparition de deux emplois signifie la perte de deux familles. Sur le plan de l'activité même du service, certaines personnes ont pris l'habitude de s'y rendre pour obtenir des renseignements, parfois d'ordre fiscal. Les gens viennent y payer leurs impôts, la cantine ou acheter les billets de cinéma qui se trouve en régie. « Surtout, pour les élus, c'est important. Le percepteur suit le budget communal, il tient un rôle de conseil auprès des maires », renchérit Philippe Breuil. « On nous promet un système informatique qui devrait simplifier les opérations. Il faudrait d'abord savoir si le système est adapté aux petites communes. En outre, n'étant pas encore relié à internet haut débit, nous ne pouvons en bénéficier », souligne, de son côté Jean-Marc Michelon.
L'action commune des élus n'est pas restée sans effet. La préfecture, en liaison avec la Trésorerie principale générale, a mené une concertation avec les cinq cantons concernés. Certes, la décision de fermer les perceptions a été maintenue, mais des aménagements ont été proposés, notamment un système de permanence de quatre demi-journées par semaine. « Certains cantons s'en contentent. Pour nous, ce n'est pas suffisant. Cela dit, si la majorité des élus accepte la charte proposée par la Trésorerie, nous ne nous opposerons pas à la volonté générale », confie Jean-Marc Michelon.
«Nous ne sommes pas hostiles aux évolutions»
«Au moins, la réaction des élus aura eu pour effet de mettre en place la commission départementale de modernisation et d'organisation des services publics. Nous ne sommes pas hostiles à des évolutions, mais nous voulons être consultés et associés aux décisions. Pourquoi ne pas essayer de trouver des formules innovantes. Dans la Creuse, et spécialement dans notre canton, nous voyons depuis des années disparaître les services de proximité : écoles, gare, services postaux... Nous avons atteint un seuil limite. Sans ces structures, comment pouvons-nous espérer accueillir des familles?», résume Philippe Breuil.
Un manifeste pour des services publics de proximité équitablesLe 14 avril 2004, au Sénat, les présidents de dix associations d'élus locaux signaient ensemble un «manifeste pour des services publics de proximité équitables et performants». Par ce texte, les élus entendaient rappeler aux pouvoirs publics certains principes. D'abord, la nécessité de respecter une véritable concertation en amont de toute décision et non une simple information. Ensuite, favoriser une approche globale dans la répartition des services sur l'ensemble du territoire afin de mieux respecter les efforts de modernisation. C'est également trouver des réponses à chacun, quel que soit son lieu de résidence, son âge et sa situation professionnelle, afin de permettre un réel accès aux services essentiels. Les élus souhaitent être associés aux évolutions structurelles des services publics et participer à la recherche de solutions. Enfin, ils réclament un financement équitable pour sortir «de l'ambiguïté qui consiste à exiger de certaines entreprises un service non rentable en leur demandant d'assumer les contraintes du marché». |
«Se battre pour garder chaque habitant, chaque emploi»
Selon François Szypula, si l'activité revient les services publics suivront.
«Petit à petit, de jeunes ménages ont transformé les résidences secondaires de nos communes en résidences principales. Il y a quatre ans, des fermetures de classes étaient programmées. Aujourd'hui, les écoles gagnent des classes. Notre communauté de communes réunit 15 communes et 6 500 habitants situées dans un triangle entre Vichy, Roanne et Thiers. Ce retournement bénéficie aux communes du bas de la montagne, à une demi-heure de voiture des villes. A 800 mètres d'altitude, les communes sont fragiles. Les fermetures de classes se poursuivent », reconnaît François Szypula qui préside aux destinées de la communauté de communes de la Montagne bourbonnaise. Ancien professeur d'économie, éleveur et maire à Le Mayet-de-Montagne, il a été élu vice-président du conseil général de l'Allier.
Favoriser la construction
«Nous oeuvrons pour que les maisons ne restent pas inoccupées. Nous venons aussi de contractualiser avec l'Etat pour rendre possible la construction de 80 maisons. » La communauté de communes a aussi créé des ateliers relais répartis sur tout son territoire. « Nous nous battons pour garder une scierie et ses cinq emplois. Chaque emploi compte. Le conseil général va nous aider à installer des antennes. Bientôt, le téléphone mobile passera. En juillet, les entreprises auront accès à l'ADSL. Les citadins reviennent. A nous d'orchestrer ce retour pour qu'il satisfasse tout le monde. » La décentralisation ne lui fait pas peur. « Le conseil général récupère le centre d'exploitation de la DDE situé sur notre territoire. Eux au moins ne le fermeront pas. La DDE met de plus en plus ses effectifs au service des villes.»
Les maisons de service public pour rassembler les partenaires
Nées dans les années 1990, elles viennent de voir élargir leur compétence. Sur le terrain le bilan est mitigé.
La communauté de communes de François Szypula s'est essayée à la création d'une maison de service public : « Au bout d'un an, elle a fermé. Il y avait le bâtiment mais pas le personnel polyvalent nécessaire », dit-il sans regrets. Les maisons de service public, créées dans les années 1990, devaient rassembler les services pour les rapprocher des usagers. Seules 350 maisons fonctionnent. Pour les relancer, la loi rurale de février 2005 élargit leur champ à des activités qui ne relèvent pas de mission de service public, sous conditions de respect de la concurrence.
Un coordonnateur sur place
Philippe Noë, président de la communauté de communes de la côte d'Albâtre (Seine-Maritime) n'a pas attendu cet assouplissement pour créer deux espaces publics : « Nous réunissons 28 communes et 21 000 habitants. Nous sommes à 40 km de toutes les administrations. En 1997, nous avons sollicité les services qui s'occupent de l'emploi et du social : nous mettons à leur disposition à Saint-Valéry-en-Caux un bâtiment très bien équipé. Sur place, un coordonnateur local compétent assure la continuité des services. Aujourd'hui, presque tous les services nous ont rejoints (SNCF, MSA, ANPE...). Nous avons créé une autre maison à Cany-Barville. Cela vaut le coup de sacrifier quelques kilomètres d'entretien de routes pour financer cet investissement (100 000 € dont 30 % d'aides à Cany) ». Pierre-Yves Collombat vice-président des maires ruraux, moins enthousiaste, se demande (1) si ces maisons sont « une panacée ou des soins palliatifs » face au naufrage des services publics. Il souligne la précarité financière de ces maisons peu aidées par l'Etat à l'heure où les finances locales se fragilisent.
(1) Revue « 36 000 communes » février 2004.