Depuis sa réapparition en 1992 dans le parc du Mercantour, le loup n'a cessé de se développer et de coloniser de nouveaux territoires. Avec un taux de croissance supérieur à 20% par an, les effectifs sont estimés aujourd'hui entre 120 et 130 individus. La présence du prédateur se consolide désormais sur tout l'arc alpin. Une vingtaine de zones de présence permanente de l'espèce est concernée dans neuf départements des deux régions Paca (Hautes-Alpes, Alpes-de-Haute-Provence, Alpes-Maritimes et Var) et Rhône-Alpes (Ain, Drôme, Isère, Savoie et Haute-Savoie). Le 23 mai, un couple de loups a même été repéré dans le nord de la Lozère. Après analyse, l'ONCFS (Office national de la chasse et de la faune sauvage) a confirmé que ces animaux étaient bien de lignée italienne, comme ceux détectés il y a quelques années dans les Pyrénées-Orientales. «La situation est très inquiétante, au moment de la montée dans les estives, c'est le souci majeur des éleveurs. Aujourd'hui, un éleveur sur trois des deux régions est potentiellement concerné, ce qui représente 1.800 éleveurs pour un cheptel de 500.000 brebis», explique Laurent Garde, chercheur au Cerpam (Centre d'études et de réalisation pastorales Alpes Méditérannée). Et de prévenir: «La colonisation va se poursuivre dans les zones qui réunissent trois facteurs favorables: des zones boisées, du gibier et de l'élevage ovin extensif.» Le Massif central, La Franche-Comté, le massif vosgien, la région Midi-Pyrénées seront, un jour ou l'autre, touchés à leur tour.

Le loup s'adapte et diversifie ses attaques

En conséquence, les attaques se multiplient: en 2005, elles ont augmenté de 30%, provoquant une hausse de 40% du nombre de brebis tuées, soit près de 4.000. Fait nouveau, on assiste à des attaques sur de jeunes bovins, le nombre de veaux tués par le loup est passé de 5 à 45 entre 2004 et 2005. Autre fait marquant, «le loup s'adapte aux protections mises en place par les éleveurs. Des témoignages de bergers font état d'attaques de jour en leur présence», rapporte Laurent Garde.

Alors, les éleveurs sont de plus en plus nombreux à se protéger. Un programme de protection des troupeaux dans les zones à loups leur permet, sous certaines conditions, d'obtenir des financements pour l'aide au gardiennage, l'achat et l'entretien de chiens de protection ou la pose de clôtures destinées au regroupement des troupeaux. L'an dernier, Le nombre d'éleveurs ayant souscrit à ces contrats a augmenté de 80%, passant de 247 à 445.

Mais La prévention se révèle parfois insuffisante, voire inadaptée: «Nous ne voyons pas de solutions. Si nous mettons des chiens pour protéger les troupeaux, ce sont les promeneurs qui ne pourront plus passer. C'est préjudiciable à notre économie touristique», affirme Jean-Claude Croze, directeur de la FDSEA de la Haute-Savoie, un département qui fait l'apprentissage de la présence du loup avec 57 attaques révélées l'été dernier pour la première fois. «La solution serait de forcer les verrous juridiques européens, qui protègent le loup en tant qu'espèce protégée, pour mettre en place une vraie politique de régulation.» poursuit-il. Selon lui, le plan d'effarouchement et de prélèvement du loup, rendu public le 1er juin pour la saison à venir «n'est qu'un gadget, qui ne réglera pas le problème». Ce plan, qui reprend sous une forme allégée les dispositions du protocole précédent, prévoit la possibilité d'abattre, dans certaines conditions, six loups au maximum.

 

Témoignage: CLAUDE SERRES, éleveur à Agnières-en-Dévoluy, avec son frère GÉRARD

 

«Depuis deux ans, nous sommes sur le qui-vive»

Depuis deux ans, Claude et Gérard Serres vivent dans la crainte d'une nouvelle attaque du loup même s'ils ont mis en place un plan de protection rapprochée.

«Depuis 2004, nous vivons un stress permanent dès que nos brebis sont au pâturage», témoigne Claude Serres, qui conduit un troupeau de 800 mérinos d'Arles à Agnières-en-Dévoluy dans les Hautes-Alpes avec son frère Gérard. Depuis ce jour de la fin de juin où deux agnelles sont arrivées ensanglantées à la bergerie et totalement affolées. Le reste du troupeau était dispersé au quatre coins de la montagne. Une quinzaine d'entre elles périront même sous les crocs du prédateur. «Le garde m'avait prévenu lors de la première attaque, se souvient Claude. Fais attention! m'avait-il dit, il reviendra s'il sent que le troupeau n'est pas protégé. Je ne l'avais pas cru. Il avait pourtant raison. Le loup a attaqué deux autres fois au cours de la même semaine.» Depuis, Claude et Gérard ont mis en place une surveillance rapprochée. «Le loup n'est pas revenu, mais il est là tout près du village. Il rôde et guette la moindre de nos inattentions. Des troupeaux voisins sont parfois attaqués», regrette Claude.

Désormais, dès le début du pâturage, à la mi-mai, les brebis rentrent le soir à la bergerie. Mais cela représente un travail considérable. «Au moins deux heures tous les jours. Je ne pourrais plus dormir tranquille si mes moutons étaient dehors.»

Les bêtes aussi vivent mal ces longs trajets quotidiens, leur rythme naturel est perturbé. «Les brebis mangent le matin très tôt, jusqu'à 10 heures, et le soir tard, à partir de 18 heures. Entre les deux, elles chôment la tête à l'ombre», explique Claude. Le temps de montée à l'alpage est donc pris sur le temps de pâture. De plus, l'eau est rare en altitude. Les brebis arrivent assoiffées et ne peuvent plus profiter de la rosée du matin pour s'abreuver.

A partir de la mi-juin, une partie du troupeau partira plus haut sur les estives d'Agnières-en-Dévoluy. «Mais depuis l'année dernière, j'ai embauché une bergère. Je ne peux plus laisser le troupeau seul. Mais cela me coûte. L'estive coûtait 2 euros par brebis avant l'arrivée du loup. Aujourd'hui avec les frais de main-d'oeuvre supplémentaire, il faut compter de 8 à 10 euros ! Nous arrivons à faire face, mais à quel prix», s'indigne Claude.

 

 

Dans les Pyrénées, les réintroductions d'ours continuent

Dans les Pyrénées, le programme de réintroduction de cinq ours se poursuit: un quatrième ours a été lâché le 2 juin à Arbas, en Haute-Garonne. Le même jour, le conseil général des Hautes-Pyrénées s'est prononcé contre ce programme et le maire de Bagnères-de-Bigorre, qui a signé la convention pour le lâcher de deux ours, a suspendu sa candidature pour le second. «Les troupeaux montent à l'estive, il y a beaucoup de touristes. Ce n'est pas le bon moment et puis il faut rechercher l'apaisement», tempère Roland Castells.

Sur le terrain, on se prépare: «Il y a des moyens pour protéger les troupeaux», estime Pascal Blanchard, vice-président de l'Association de cohabitation pastorale, association favorable à l'ours. Il élève 130 brebis laitières pour produire du fromage bio. «Nous regroupons en estive une dizaine de troupeaux gardés par une bergère qui les rassemble tous les soirs. Nous utilisons déjà des chiens de protection et nous sommes prêts à utiliser des parcs si les ours se rapprochent.»

Dans le canton de Luz-Saint-Sauveur, dans les Hautes-Pyrénées, les troupeaux ne sont pas gardés. Dans certaines zones, une simple surveillance est organisée collectivement. «Nous sommes hostiles au gardiennage car les animaux sont capables de s'orienter seuls pour se nourrir et s'engraisser en fonction de leurs besoins et aux heures les plus fraîches de la journée», s'insurge Marie-Lise Broueilh, éleveur et présidente de l'ADIP (Association pour le développement durable et l'identité des Pyrénées).

«Et puis, ce ne sont pas les clôtures ou les chiens qui empêcheront l'ours d'attaquer!»