«Il y a une dizaine d'années, j'ai cessé de labourer les colzas situés sur des terres argileuses qui constituent environ 15 % de mon exploitation, détaille Paul Lannoy, agriculteur à Cahaignes dans l'Eure, sur 295 ha, dont 35 ha en prairies permanentes. En labourant, je remontais de gros blocs de terre difficiles à émietter. Certaines années, j'étais obligé de retourner la parcelle car les levées étaient trop irrégulières.» Autre élément déclencheur du passage en non-labour: le gain de temps. «Après la moisson, c'est très bousculé car je cultive du lin textile. Le fait de ne plus labourer étale le travail et libère une personne pour la récolte et le retournement du lin.»
Les rendements étaient satisfaisants, si bien qu'il y a quatre ans, il a décidé d'implanter en non-labour la totalité de son colza, 25 hectares aujourd'hui, qu'il se trouve en sol argileux ou bien en sol sableux ou limonoargileux, les autres types de terres de l'exploitation. Même chose pour le blé et depuis deux ans pour ses cultures de printemps, pois, orge, betterave, lin... Mais pour l'instant, il conserve toujours sa charrue, au cas où. Il s'en est d'ailleurs servi cette année puisqu'il a dû labourer 10 hectares de colza à cause de la présence d'ergot dans le blé précédent.
Il utilise aussi depuis deux ans un semoir à disques pour semis simplifié. «Mon semoir classique combiné avec une herse rotative était au bout du rouleau, j'ai donc investi avec deux voisins dans un semoir plus adapté après un travail du sol simplifié.»
L'objectif est toujours le même: passer moins de temps en plaine. «Avec le système en non-labour que j'ai adopté aujourd'hui, je divise le temps d'implantation du colza par deux, avec un tracteur de même puissance», assure Paul Lannoy. Encore faut-il bien gérer les pailles du blé précédent, ce qui demande à l'exploitant une attention toute particulière (lire l'encadré ci-dessous). «On peut rapidement perdre beaucoup à la levée si on n'est pas vigilant à ce niveau-là », alerte-t-il.
Deux déchaumages
Rapidement après la moisson, il passe un néodéchaumeur sur 15 cm de profondeur afin d'ameublir le sol et de faciliter le développement du pivot. D'une semaine à dix jours après, au lieu de labourer, il réalise un travail du sol superficiel à 4-5 cm de profondeur avec un déchaumeur rapide à disques indépendants (Carrier), dont il a pris des parts avec un voisin en 2006.
«Cela favorise beaucoup la levée des mauvaises herbes et brise la paille tout en la mélangeant à la terre. Ce travail permet aussi de rappuyer le sol et de garder l'humidité. Un passage de charrue retourne le sol frais et si on ne sème pas rapidement, cela dessèche la terre. En non-labour, on a des sols qui se referment beaucoup moins», signale Paul. «Avant, je passais un coup de cover-crop puis un rouleau croskill pour rappuyer mais ça me faisait un passage de plus. Et le déchaumeur à disques indépendants laisse un sol très plat et uniforme, ce qui permet au semoir d'avancer plus vite.»
Repousses de graminées à surveiller
Les adventices apparues après le travail superficiel sont éliminées avec du glyphosate à 1,5 l/ha, ce que l'agriculteur ne faisait pas quand il labourait. «Jusqu'à maintenant, je n'ai pas observé plus de salissement des parcelles en non-labour, car j'ai une rotation longue avec des cultures de printemps, explique Paul. Mais je fais tout de même très attention aux repousses de graminées, notamment de ray-grass résistant car le colza en non-labour y est plus sujet. Je traite donc systématiquement mes tours de champ avec un herbicide à spectre large, Rapsol à 0,8 l/ha. Si j'observe du ray-grass résistant dans le colza, je traite alors toute la parcelle au Rapsol. Cela a été le cas en 2005, où les conditions étaient très sèches lors du faux-semis. Mon coût de désherbage a été multiplié par deux mais c'est un investissement pour la culture de blé derrière. Cette année, ça devrait aller, les graminées ont bien repoussé avant le semis et on a pu en détruire une grosse partie.»
Il n'a en revanche pas de gros problèmes de dicotylédones qu'il détruit avec de l'Axter à 1,5 l/ha en postsemis-prélevée.
Autre contrainte du non-labour: «La durée d'implantation est plus longue, ce qui augmente la période de sensibilité du colza aux parasites comme les altises ou les tenthrèdes. Cette année, je n'ai jamais été au seuil pour traiter mais j'étais inquiet jusqu'au 15 octobre, alors qu'avec un colza bien implanté on peut être serein plus tôt.»
Concernant les limaces, «je n'ai pas forcément plus de problèmes depuis que je fais du non-labour. Le fait de rappuyer le sol limite leur apparition. Je fais surtout attention en terre argileuse et je place systématiquement un piège. Si le seuil est atteint, j'apporte du Métarex à 4 kg/ha avant de semer.»
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Bien gérer les pailles du blé précédent
Réussir le colza en non-labour demande une gestion très fine des pailles du blé précédent. Paul Lannoy élève trente-cinq vaches allaitantes et enlève parfois sa paille «mais ça ne tombe pas toujours bien et je préfère la garder pour la matière organique.» Dans ce cas, «il faut d'abord choisir une variété de blé qui produit peu de paille.
Cette année, j'avais une parcelle de variété tardive qui a produit 8 tonnes de paille à l'hectare, je n'ai fait que deux passages de déchaumeur mais j'ai perdu des pieds. Heureusement, avec l'automne actuel plutôt doux, le colza a compensé.» Mieux vaut donc privilégier des variétés plus précoces moins productrices de paille. «Par ailleurs, je bats le blé en plein soleil pour que la paille soit la plus brisée possible car je ne rebroie pas après la récolte, poursuit l'agriculteur. La moissonneuse est équipée d'un éparpilleur. Avec le semoir pour semis simplifié, la paille bourre moins qu'avec un semoir classique mais le contact graine-terre est plus aléatoire car la graine peut tomber dans la paille et ne germe pas.»