Un peu plus d'un mois, c'est "grosso modo" le temps qui reste pour commercialiser l'assurance multirisques climatiques, autrement dit l'assurance récolte. Alors que les cultures d'hiver sont semées depuis belle lurette, que les contrats relatifs à la grêle sont souscrits et que les semis de printemps ont déjà démarré, c'est à l'évidence un peu court pour un produit totalement nouveau et qui prétend chambouler les pratiques de couverture des risques. «2005 sera une année petit-bras», reconnaît un assureur, même s'il est difficile de prévoir l'accueil des agriculteurs. Au sein de la période d'observation de trois ans décidée par les pouvoirs publics (voir l'encadré ci-dessous), le véritable test ne pourra se produire que pour la campagne de 2006, c'est-à-dire à partir de cet automne.
Comment ça marche?
Pour autant, Pacifica (filiale du Crédit agricole) qui rongeait son frein depuis l'été dernier dans l'attente du feu vert gouvernemental a déjà commencé à battre la campagne. L'assureur propose un contrat à la culture couvrant la grêle, le vent de sable, l'inondation, les pluies orageuses (entraînant par exemple la battance), même pour des dommages isolés. S'ajoutent à cette liste d'autres risques dont les événements climatiques seront «acquis», c'est-à-dire reconnus par l'assureur si d'autres cultures de même nature sont endommagées dans un rayon de 5 km: sécheresse, gel, tempête, coup de vent, excès d'eau, excès d'humidité, excès de neige. Compte tenu du calendrier tardif, la grêle peut être sortie du contrat afin de tenir compte des engagements déjà souscrits.
Pour toutes les cultures, les garanties couvrent la perte de rendement, les frais de ressemis à la parcelle (quand l'aléa climatique a réduit de 40% la densité de semis, dans la limite de 200 €/ha en Scop et de 500 €/ha en cultures légumières ou industrielles), les frais de replantation à la parcelle (réduction d'au moins 3 % dans la limite de 12.000 €/ha). Le contrat indemnise aussi les frais supplémentaires de récolte quand le temps passé dépasse de 30% celui d'une récolte habituelle (cas d'un maïs coupé dans un seul sens, avec des chenilles, etc.). Enfin, pour certaines cultures, le contrat offre des garanties supplémentaires comme la perte de qualité en fruits et vignes, la germination sur pied en céréales à paille, la perte de faculté germinative en semences, les refus techniques de conserverie en légumes, etc.
Pour une culture donnée, l'intégralité des surfaces doit être assurée. Contrairement aux contrats relatifs à la grêle et sauf exceptions mentionnées plus haut, celui-ci fonctionne à la culture et non à la parcelle (autrement dit il y a mutualisation des rendements entre les champs via le calcul d'un rendement moyen). S'il est au réel, l'exploitant doit fournir ses chiffres historiques sur cinq ans (rendement et prix de vente) pour établir une référence. Il y a six niveaux de franchise possibles (10, 15, 20, 25, 30 et 40%).
Groupama qui possède deux types de contrats multirisques climatiques dans ses cartons (par culture et à l'exploitation) pourrait dévoiler ses batteries la semaine prochaine. Cette assurance couvre 13 aléas: grêle, gel, sécheresse, tempête, inondation, pluie violente, excès d'eau, germination sur pied, coup de chaleur, coup de soleil, poids de neige, tourbillon de chaleur, vent de sable. Pour l'instant, la commercialisation n'a été lancée qu'auprès des exploitations qui avaient participé à l'expérimentation, notamment les 220 fermes de grandes cultures du Nord-Est. Il reste à savoir maintenant si elle va être généralisée.
Pilonnage des syndicats minoritaires
L'édifice imaginé par les pouvoirs publics n'est pas accueilli à bras ouverts. Il soulève même de vives critiques chez certains syndicats qui rappellent leur attachement au Fonds national de garantie des calamités agricoles (FNGCA). La Coordination rurale estime qu'« au lieu d'apporter un soutien complémentaire aux agriculteurs sinistrés, sa substitution partielle au Fonds des calamités traduit un désengagement progressif de l'Etat au profit d'un système d'assurance volontaire, donc d'une charge supplémentaire pour les agriculteurs. » Elle souligne que le principe de mutualisation qui faisait la force du FNGCA et qui garantissait une aide à tous les sinistrés est aujourd'hui mis à mal et que dans ces conditions, l'assurance récolte est vouée à l'échec. «En effet, ce ne sont que les agriculteurs les plus susceptibles d'être sinistrés qui souscriront de telles assurances, si bien qu'elles seront extrêmement coûteuses, même avec les aides de l'Etat.»
La Confédération paysanne pense que l'assurance récolte «coûtera plus cher à l'Etat qu'une refonte du FNGCA», avec au final «moins de solidarité». Elle explique que les risques climatiques sont difficilement assurables et que par conséquent les assureurs exigent déjà que l'Etat contribue durablement et fortement au paiement des cotisations et surtout joue le rôle de caisse de réassurance. Selon elle, l'assurance individuelle favorisera les agriculteurs les plus solvables et laissera bon nombre de paysans sans garantie face aux risques, une allusion au désengagement déjà programmé par l'Etat dans le FNGCA (voir l'encadré). La refonte du FNGCA qu'elle appelle de ses voeux devrait s'ouvrir notamment à une contribution des industries agroalimentaires.
Mi-figue mi-raisin, la FNSEA indique que le FNGCA ne peut être supprimé « tant que le taux de pénétration des assurances récoltes ne sera pas significatif ». Face aux modalités décidées, «nous avons été partiellement entendus, a déclaré son président. Il ne s'agit cependant que d'un minimum pour que le système soit attractif.»
Dans le monde des assurances, certaines compagnies ne cachent pas non plus leur scepticisme face au montage proposé par l'Etat. « Dans le contexte économique difficile de l'agriculture, je connais peu d'exploitations qui sont prêtes à payer deux à trois fois plus ce qu'ils payaient jusqu'à présent pour couvrir leurs risques », souligne un important assureur de la place.
Le Fonds des calamités appelé à moins bien indemniserL'accouchement aura été laborieux. Le 7 février, le ministre de l'Agriculture a finalement annoncé le lancement d'un dispositif non obligatoire d'assurance récolte pour les cultures de vente (*), dont la vocation est à terme de se substituer au Fonds national de garantie des calamités (FNGCA). L'objectif est de passer d'un système de couverture publique qui malgré ses défauts (barème parfois contestable, lenteur de l'indemnisation, inadaptation aux grandes cultures) est relativement indolore car financé par une surtaxe sur les cotisations dommages, à un système de garantie individuel où l'agriculteur met directement la main à la poche pour être normalement mieux couvert. L'Etat a prévu une montée en charge sur trois ans au cours de laquelle l'assurance récolte sera sous observation et éventuellement recalée grâce au Comité national de suivi créé pour l'occasion. Les pouvoirs publics vont subventionner les cotisations à 35%, un taux porté à 40% pour les jeunes agriculteurs. Le gouvernement a budgété respectivement 10, 20 et 30 millions d'euros par an et a calibré son appui pour des contrats à l'exploitation avec 20% de franchise et des contrats à la culture à 25%. D'ores et déjà, l'Etat a prévu de baisser l'indemnisation accordée par le FNGCA en fonction du succès de l'assurance récolte alors que les organisations agricoles majoritaires avaient demandé qu'on n'y touche pas durant la période test. Ainsi, quand 60 à 80% de l'enveloppe de la première année (10 millions d'euros) auront été consommés et que 15% des surfaces d'une culture donnée seront couvertes par une telle assurance, l'indemnisation par le FNGCA de la production concernée chutera d'un quart. Elle sera réduite de moitié à partir d'une adhésion de 25% des surfaces. La culture sera exclue du FNGCA à partir de 30% de surfaces couvertes. (*) Grandes cultures, cultures industrielles, vignes et arboriculture, légumes. Les fourrages sont exclus. |