Selon un bilan du comité de suivi de l'assurance récolte, plus de 64.000 contrats ont été souscrits en 2005, ce qui représente environ 20% des exploitations «professionnelles» (dont environ 60.000 contrats chez Groupama, NDLR). Un chiffre dont il ne faut pas être dupe, compte tenu du «coup commercial» réalisé par Groupama (extension gratuite de la couverture de la grêle à douze autres aléas climatiques) mais qui sur un plan logistique représente une montée en charge conséquente pour une première année de lancement. Comment dans ces conditions, avec autant de risques climatiques potentiels à suivre, les assureurs s'y sont pris pour gérer les expertises? C'est ce que nous avons voulu savoir en interrogeant les deux principaux intervenants du secteur et en enquêtant en Poitou-Charentes au coeur de la principale zone touchée par la sécheresse de 2005.

«Avec l'assurance récolte, on passe d'une logique de sinistre à celle d'événements climatiques successifs, explique Emmanuel Prudon, responsable des expertises à la direction agricole de Groupama. Contrairement à la grêle où nous passons tout de suite derrière, là d'autres aléas peuvent entrer en ligne de compte. On ne peut donc rien dire immédiatement.» Pour cerner la situation et organiser ses expertises, Groupama s'appuie sur des images satellitaires fournies par un prestataire et qui sont recoupées avec des données météorologiques (voir ci-dessous). Pour le maïs, le suivi des indices de végétation permet d'identifier les régions où la plante fonctionne mal, d'estimer l'évolution des potentiels des productions, d'évaluer des zones homogènes de rendement et de les comparer aux rendements réels à la récolte. Ces cartes permettent ainsi de vérifier la cohérence des déclarations de sinistres et de contrôler que l'aléa est avéré. Ainsi, certaines situations compromises à un moment donné sont susceptibles de s'améliorer spectaculairement, comme le montrent les images de

INFOGRAPHIE A VENIR.

«A 500 mètres près, on a observé des parcelles à 30-40 q/ha et d'autres à 130 q/ha suivant la précocité des variétés, souligne Emmanuel Prudon. D'où la nécessité de ne pas se contenter des images mais d'envoyer aussi des experts sur place. De toute manière, c'est sur la base des comptages avant récolte que se font les indemnisations chez Groupama.

Grâce aux images, l'assureur a pu redéployer à l'avance son réseau d'experts en appelant des renforts sur les points chauds de la campagne de 2005. Une quinzaine d'experts sont ainsi venus prêter main-forte dans les départements concernés de la caisse Centre-Atlantique (de l'Aquitaine à la Vendée). Dès la mi-août, cette caisse a également profité du renseignement fourni par les cartes pour inciter les sociétaires à déposer une déclaration de sinistre. Une mesure qui a permis d'éviter une avalanche de déclarations au dernier moment, juste avant la récolte, et de prévoir les experts en conséquence.

«On estime capital que tout le monde voie l'expert», précise Joël Millet, qui a piloté le réseau sur la caisse Centre-Atlantique. A chaque fois, l'expertise se déroule de manière contradictoire avec l'agriculteur, ce qui limite les risques de litige (lire le témoignage ci-dessous). Chez Pacifica, second intervenant du marché avec environ 3.800 contrats en 2005 et 2.600 sinistres déclarés, le défi n'était pas de même ampleur. L'approche est aussi sensiblement différente dans la mesure où cet assureur indemnise les pertes sur la base des bons de livraison ou, à défaut, d'attestations comptables. Les expertises sont surtout réalisées pour vérifier la survenue d'un événement climatique et que l'agriculteur a conduit sa culture normalement (semis, désherbage, irrigation, etc.) sans se reposer exclusivement sur l'assureur. Un client qui laisserait dormir ses enrouleurs sous le hangar alors qu'il est autorisé à irriguer ne serait plus couvert...

Jusqu'à quatre visites

En cas de sinistre supposé, le client appelle une centrale qui le met en relation avec un cabinet d'experts. «Pour cette première année, nous avons souhaité intervenir à chaque fois que l'agriculteur le demandait, explique Jean-Michel Geeraert, responsable du marché agricole chez Pacifica. Quitte à parfois se déplacer pour rien, mais cela faisait partie des contraintes que l'on s'était imposées.» En fonction des événements survenus lors de la campagne, certains agriculteurs ont pu être visités trois ou quatre fois.

Des comptages ont été parfois réalisés pour évaluer la perte de potentiel mais ils sont moins fins que ceux réalisés en cas de sinistre lié à la grêle. «On ne mesure pas le pourcentage de pertes à chaque déplacement», ajoute Jean-Michel Geeraert. Quand l'agriculteur stocke, si l'expert à estimé un rendement inférieur au rendement garanti, l'assureur verse un acompte de 50 à 80% en attendant la vente effective.

 

Incertitudes sur les cotisations 2006: l'Etat lève déjà le pied

Pas facile de faire de l'assurance récolte quand on a les poches vides. «L'Etat joue petit bras», avions-nous titré en octobre 2004. Ce constat reste d'actualité puisque, dès la première année de lancement, il manque 3 millions d'euros de crédits publics pour financer les subventions aux primes d'assurances climatiques (18 millions d'euros contre 21 millions de besoins). La faute au gel budgétaire intervenu en cours d'année sur l'ensemble des crédits du ministère de l'Agriculture et qui pose de sérieuses questions sur la pérennité du dispositif. Pour 2006, le décret en préparation prévoit que le soutien public à l'assurance récolte ne devra pas excéder 25 millions d'euros, «une enveloppe dont on peut d'ores et déjà dire qu'elle sera insuffisante compte tenu de la montée en puissance attendue de l'assurance récolte», souligne-t-on au Crédit agricole, maison mère de Pacifica.

Dans ces conditions y aura-t-il des répercussions ou des corrections sur les primes d'assurance appelées auprès des agriculteurs? Pour la campagne de 2005 qui s'est achevée, Pacifica va prendre à sa charge la diminution de la subvention estimée à 15% (1). En revanche, chez le leader Groupama, en première ligne étant donné qu'il devrait éponger l'essentiel de l'ardoise, on se refuse pour l'instant à prendre position sur le sujet. L'assureur estime que les discussions avec les pouvoirs publics ne sont pas terminées.

Pour la récolte de 2006, c'est-à-dire pour les contrats que les agriculteurs signent en ce moment (ou ont déjà signés depuis août), on nage donc en plein brouillard. Au Crédit agricole, on souligne que pour les contrats Pacifica 2006 «la subvention pourra faire l'objet d'un abattement. Les assurés disposent du montant total de la cotisation et d'une deuxième ligne avec le soutien public pour autant qu'il puisse être satisfait à 100%». En attendant d'y voir plus clair, mieux vaut différer la signature des contrats ou de négocier une clause particulière de garantie de tarif...

(1) L'Etat avait prévu de prendre en charge 35% du montant de la prime (40% pour les jeunes agriculteurs), ce qui est déjà un taux faible. Avec l'abattement qui devrait intervenir pour 2005, ce soutien ne passerait plus qu'à environ 29,75%.

 

 

Témoignage: MICHEL PERRAIN, agriculteur à Limalonges (Deux-Sèvres)

«Sans assurance, l'année aurait été très dure»

En mars 2005, Michel Perrain a souscrit auprès de Groupama un contrat d'assurance récolte «Climats» pour l'ensemble de son exploitation (140 ha), ce qui lui a permis de choisir son niveau de franchise, en l'occurrence 10%. Un niveau de protection très fort qui coûte cher (les cotisations peuvent facilement doubler entre 10 et 15% de franchise). Sa cotisation d'assurance s'est élevée à 3.754 € (subvention déduite), soit 26,8 €/ha pour 129.671 € de capitaux assurés. Compte tenu de l'absence persistante de pluies, il a été sinistré au titre de la sécheresse pour la plupart de ses cultures. L'indemnité qui lui a été versée est de 12.707 €: 42 €/ha pour l'orge (3,75 ha), 71,8 €/ha pour le tournesol (27,5 ha), 97,8 €/ha pour le blé (47 ha), 223 €/ha pour le maïs (20,4 ha) et 304 € pour le sorgho (3,75 ha). Sans assurance, l'année aurait été pour lui très difficile. «La sécheresse de 2005 occasionnera certainement des dépôts de bilan», pense Michel Perrain.

Au début d'octobre, nous avons suivi l'expertise pratiquée chez lui sur une parcelle de maïs irriguée sous restriction. Pour le comptage, trois zones ont été retenues selon leur potentiel de rendement: fort, moyen, faible. Dans chacune d'entre elles, l'expert commence par évaluer le peuplement épis/ha puis procède au comptage des composantes du rendement sur dix épis (nombre de rangées, nombre de grains par rangée) en faisant attention à chaque fois à ce qui est battable et ce qui ne l'est pas. Enfin, un poids de mille grains est établi, ce qui permet d'arriver au rendement.

Dans la région, l'irrigation a été interdite jusqu'au 10 juillet, puis Michel Perrain a pu arroser quatre nuits par semaine jusqu'à la mi-août. Il n'a pu faire que trois passages et encore, sans apporter de dose correcte compte tenu des délais de pompage impartis.

Si Groupama ne prend pas en charge l'impact lié aux interdictions préfectorales, en revanche le préjudice lié aux restrictions horaires a été pris en compte car dans ce contexte l'installation n'était plus suffisamment dimensionnée pour arroser normalement. Pour faire la part des choses, l'assureur se fonde sur des tables AGPM ("grosso modo" un tour d'eau en moins à la floraison équivaut à 20 q/ha, et à 5 q/ha en moins sinon). Au total, sur cette parcelle de 6,20 ha, l'assureur a indemnisé 49,8 q/ha à 115 €/t.

 

 

Témoignage: GÉRARD AUGIER, agriculteur à Champniers (Charente)

«Couvrir le risque de restriction d'irrigation»

Toute l'exploitation de Gérard Augier, soit 50,40 ha de grandes cultures (blé, pois, maïs, colza), a été engagée dans un contrat d'assurance récolte souscrit chez Pacifica. Le niveau de franchise retenu était de 15% pour chacune des productions. «Le fait que Pacifica couvre les restrictions d'irrigation a été un élément déterminant, souligne Gérard Augier. Sa prime d'assurance s'est élevée à 560,39 € net après déduction de la subvention publique, soit 11,12 €/ha pour 29.779 € de capitaux assurés. Un tarif «plutôt compétitif», selon lui, qui s'explique par le fait que ses cultures ont été couvertes en totalité, qu'une bonne partie d'entre elles étaient irrigables, que toutes ses assurances ont été rapatriées chez Pacifica et qu'il a ouvert un compte bloqué permettant de faire de la déduction pour aléas (DPA). L'assurance s'est déclenchée pour les pois sinistrés par le gel puis par la sécheresse, ainsi que pour le maïs irrigué, victime des restrictions et de l'absence de pluie.

L'expert est venu chez lui en mai pour procéder à des comptages sur pois et constater le défaut de densité. Gérard Augier a ensuite fourni ses bons de livraison après récolte (25 q/ha de rendement effectif) qui lui ont permis d'être indemnisé à hauteur de 6,73 q/ha, soit environ 100 €/ha. Au total, il a touché pour ses pois 875 €. Mais c'est sur maïs irrigué que le déclenchement a été le plus important. Le rendement garanti sur la base de ses performances historiques était de 87,15 q/ha (franchise de 15% déduite) et il n'a obtenu à l'arrivée que 63,08 q/ha. «Nous n'avons pas pu arroser en juin à cause des interdictions et, ensuite, je n'ai même pas mis la moitié de ce qu'il aurait fallu, raconte Gérard Augier. J'ai essayé de valoriser au maximum cette eau à la floraison. Au total, je n'ai pu faire que quatre passages. Malgré la sécurité que me procurait l'assurance, j'ai quand même essayé de conduire cette culture normalement.» C'est du reste ce qu'a remarqué l'expert lorsqu'il est passé la veille de la récolte. Celui-ci a évalué le rendement dans une fourchette comprise entre 55 et 60 q/ha, un peu en dessous du rendement final. Comme pour ses pois, Gérard Augier a fourni le relevé de ses livraisons à la coopérative, sur lequel s'appuiera l'indemnisation. Celle-ci devrait intervenir dans les prochains jours. Il devrait toucher 24,07 q/ha à 93,527 €/t, soit environ 225 €/ha. L'indemnisation totale pour sa sole maïs devrait s'élever à 3.113 €. «Avec ça, on dort un peu plus tranquille», estime Gérard Augier.