La trentaine, installé depuis cinq ans sur 179 hectares de grandes cultures à Trosly-Loire dans l'Aisne, Jean-François Denorme doit faire face à des annuités d'emprunts particulièrement lourdes. D'où son intérêt pour «un système qui lui assurerait un revenu stable». Lorsqu'il y a deux ans, un conseiller agricole l'informe d'un projet d'expérimentation d'assurance récolte, il est tout de suite «partant». D'autant plus qu'il venait d'essuyer une année très humide et des pertes de chiffre d'affaires importantes.
L'année dernière, Jean-François a de nouveau subi un sinistre, une perte due à de l'échaudage sur une parcelle d'escourgeon. Mais cette fois, il avait souscrit l'assurance récolte. Cette dernière le couvre contre les conséquences de nombreux risques (grêle, tempête, pluies violentes, sécheresse, excès d'eau ou de neige, coups de chaud, gel...). A la suite de sa déclaration auprès de son assureur, un expert venu sur place a évalué ses pertes en fonction du rendement moyen départemental. Le dommage a ensuite été calculé par rapport au rendement effectif de toutes ses parcelles et pas seulement de celles sinistrées. Jean-François a été indemnisé à hauteur de 80% de sa perte. «L'assurance récolte ne remplacera jamais une bonne année, souligne le jeune agriculteur, mais elle évite les bouillons.» Avec un chiffre d'affaires moyen de 240.000 € (soit 1,6 million de francs), il verse une cotisation annuelle d'environ 3.000 € (20.000 F). Mais il avoue que c'est le prix pour «vivre moins stressé».
Inutile de prendre votre téléphone pour contacter votre assureur. Le contrat souscrit par Jean-François Denorme n'est pas encore sur le marché. Il n'a pu être souscrit que par 200 à 300 producteurs de grandes cultures du nord du pays. D'autres expérimentations menées pour l'essentiel par Groupama, toutes aussi confidentielles, concernent une dizaine d'organisations de producteurs de fruits du sud du pays et des viticulteurs. Dans ce dernier domaine, interviennent aussi Axa, Generali et Abeille. But de ces expérimentations, permettre de déterminer la viabilité de ce type de produits.
Pierre Giovanelli est arboriculteur sur une quarantaine d'hectares de vergers et de serres à Ille-sur-Têt dans les Pyrénées-Orientales et président d'Ille-Fruits, une coopérative fruitière. Comme la centaine de producteurs de la structure, il participe pour la troisième année consécutive à une assurance expérimentale couvrant le gel, la grêle et les effets de la tempête dans le domaine de l'arboriculture.
Peu d'agriculteurs concernés
Le contrat qui englobe environ 600 ha de vergers de plus de trois ans s'appuie sur le chiffre d'affaires moyen des cinq dernières années. En cas de problème climatique, exception faite d'une franchise de 20%, il permet de toucher la différence entre ce chiffre d'affaires historique et le chiffre d'affaires de l'année. Dans le premier contrat négocié avec Groupama, les producteurs de cette coopérative avaient pu profiter d'un système où le prix de référence n'intervenait pas. Au fil des sinistres, l'assureur s'est rendu compte qu'il payait tant pour les incidents climatiques que pour des baisses de cours. L'an dernier, Pierre Giovanelli a par exemple vu geler une partie de ses vergers. A la suite de sa déclaration et après examen des relevés des thermographes placés dans les vergers, un expert a pu constater une dizaine de pour cent de pertes. Or en fin de saison, en raison de prix bas, l'incidence sur le chiffre d'affaires a été plus importante et l'assurance a payé. Le résultat est que pour une cotisation globale de la coopérative de 300.000 € (environ 5% du chiffre d'affaires historique subventionné à hauteur de 40% par l'Etat et les collectivités locales), les indemnisations cumulées sur la centaine de producteurs se sont montées l'an dernier à 1,2 million d'euros pour un tiers des vergers sinistrés. Si chacune des organisations de producteurs de la vallée du Rhône et de Languedoc-Roussillon assurée a pu négocier ses conditions et ses tarifs; financièrement, le déséquilibre cotisations-indemnisations est partout le même. Avec le gel, le total des indemnités du secteur devrait encore représenter en 2003, trois ou quatre fois les primes récoltées, confirment les responsables du dossier chez Groupama. Bref, si le contrat perdurait, il faudrait sans doute le modifier.
Décisions en fin d'année
Attention à l'incidence sur les cotisations, préviennent les producteurs d'Ille-Fruits. Si la majorité d'entre eux, auparavant assurés à grands coûts contre la grêle, «n'ont pas trop râlé» pour payer l'assurance récolte, ils annoncent déjà qu'ils n'iront pas plus loin en terme de financement. Le sentiment de Pierre Giovanelli, partagé par de nombreux professionnels, est que «de telles assurances ne pourront être mises en oeuvre sans soutien fort de la profession et des politiques». Si l'expérimentation ne devait pas continuer, les producteurs d'Ille-Fruits réfléchissent à d'autres méthodes de protection. Pour eux, la déduction pour aléas (DPA) qui permet une épargne défiscalisée pourrait être un début de solution si elle était élargie et cumulable avec la déduction pour investissements (DPI).
Car il est loin d'être acquis que l'assurance récolte dépasse le stade de l'expérimentation. Le gel de ce printemps a de quoi refroidir les assureurs qui s'inquiètent aussi des financements et des garanties que pourrait apporter l'Etat à ce futur système.
Groupama et la Commission des calamités agricoles décideront d'ailleurs en fin d'année si ces assurances sont généralisables pour le gel et la grêle sur vigne. Viendrait ensuite le tour de la multirisque grandes cultures. L'arboriculture passerait en dernier.
Opinion: JEAN BALIGAND, président de Groupama «Atténuer les variations du chiffre d'affaires des exploitations»La France agricole: Quelles conditions devront être remplies pour effectuer un lancement de l'assurance récolte à grande échelle et quand le ferez-vous? Jean Baligand: Les principales conditions pour proposer des produits d'assurance récolte sont celles qui doivent être remplies pour proposer tout produit d'assurance: connaître le risque, sa fréquence et la valeur des préjudices qu'il peut causer, savoir évaluer précisément les conséquences des phénomènes garantis et bien sûr, savoir vérifier le risque et disposer des moyens de payer en cas d'événements. Une généralisation éventuelle d'une telle offre dépendra aussi et peut-être, surtout de la volonté et de l'esprit de partenariat des trois intervenants: agriculteur, assureur, puissance publique. En effet, il est d'ores et déjà évident que l'ampleur des problèmes posés ne rendra pas possible une prise en charge pure et simple par le marché privé de l'assurance de ce type de risque, les enjeux financiers étant considérablement supérieurs aux capacités financières des assureurs et réassureurs. La FA: L'assurance (par exemple sur les aléas du revenu agricole) pourra-t-elle, à terme, compenser l'affaiblissement des organisations communes de marché? J. B.: Le besoin sera réel et de plus en plus ressenti du fait des orientations plus libérales de la politique des prix et des marchés en Europe. Nous serons par conséquent certainement amenés à approfondir cette question pour examiner si nous pouvons contribuer à atténuer des variations trop brusques du chiffre d'affaires des exploitations agricoles. Les enjeux sur ce point sont encore supérieurs à ceux de l'assurance récolte et ce vrai problème devra donc être abordé avec prudence et lucidité. |
Assurance ou calamités agricoles, il faut choisir Pour l'heure, seules la grêle et la tempête peuvent faire l'objet de contrats d'assurance. Les autres risques climatiques entrent dans la catégorie des calamités agricoles. Les deux ne sont pas cumulables. Un risque qui devient assurable sort donc du régime des calamités agricoles. Auquel cas, celui qui n'est pas assuré n'a plus droit à rien. A la suite d'une calamité agricole, l'agriculteur est indemnisé par le Fonds de garantie contre les calamités agricoles (FNGCA) financé par des taxes sur les contrats d'assurance et une participation aléatoire de l'Etat. Ce fonds intervient pour les récoltes non engrangées, les cultures (même sous serre), les animaux en plein air, les sols, les ouvrages, les plantations (y compris les pépinières). L'indemnité allouée ne peut dépasser 75% des dommages subis mais se situe souvent plus bas. |