Derrière le cas très particulier d'Etienne Gilbert, céréalier et horticulteur à Saint-Léger-des-Aubées (Eure-et-Loir), il faut voir les promesses d'une ressource énergétique négligée par le monde agricole et pourtant d'une étonnante modernité. Voilà une vingtaine d'années qu'il chauffe ses 2.500 m² de serres avec de la paille provenant de ses champs de blé. Une décision prise suite au second choc pétrolier.

Lorsque sa première chaudière, un modèle danois, a rendu l'âme, après 18 ans de fonctionnement et quelques incidents techniques, il a souhaité se tourner à nouveau vers cette énergie. "Sans elle, j'aurais dû modifier mon système de production, c'est-à-dire passer à des plantes de serre froide, moins rémunératrices, et licencier du personnel." En horticulture, le prix de l'énergie, c'est le "nerf de la guerre". Etienne Gilbert a choisi de cultiver des cyclamens, bégonias, hortensias, etc. qui exigent une température constante de 20°C. En 1999, la chaudière danoise a donc été remplacée par un modèle de fabrication française (*), beaucoup plus avancé sur le plan technologique, sans être trop sophistiqué. Contrairement à la précédente, elle fonctionne en continu avec des balles rondes entières, sans démêlage préalable, ce qui limite les risques d'incendie et évite la poussière. Son alimentation se fait grâce à un tapis sur lequel sont rangées côte à côte onze balles pour la journée. "Avec le froid intense ces dernières semaines, je suis monté jusqu'à 18 balles, mais c'est exceptionnel", explique Etienne Gilbert.

Ensuite, tout s'opère automatiquement. Pour le réapprovisionnement, le tapis fait glisser une balle dans un "basculeur", gros godet cylindrique qui présente la balle en ligne devant le foyer. Une porte à guillotine se lève alors et un "pousseur" fait pénétrer la balle dans la chaudière. Ce dernier se retire et la porte du foyer se referme. A la sortie, les cendres sont extraites après humidification par un simili-évacuateur à fumier. Des cendres riches en potasse et sans mâchefer (blocs de silice) qui peuvent être épandues dans les champs.

Un stockage de 2.000 balles rondes

Sur ses 210 hectares de blé, 150 ha sont pressés tous les ans, sans mettre l'équilibre des sols en péril (la paille n'est pas ramassée avant betteraves). A 3,5 t/ha, cela lui permet de récolter grossomodo 525 tonnes. Il complète ses besoins en achetant de la paille en andains chez des voisins à 7,62 €/t (50 F) dans un rayon limité à 2 km. Pour une année froide, 650 tonnes de paille sont nécessaires au chauffage des serres. Etienne Gilbert dispose d'un hangar de stockage de 2.000 balles rondes. Le reste est stocké à l'extérieur et utilisé en priorité.

Avec 2.700 hectares de fonctionnement, la chaudière ne tourne qu'au tiers de son potentiel. Alors pourquoi ne pas produire en plus de l'électricité de la mi-mars à la mi-octobre? s'interroge Etienne Gilbert. Les décrets obligeant EDF à racheter le courant devraient bientôt sortir.

(*) Construite par IDEM à Guignes (Seine-et-Marne). Tél. : 01 64 06 32 22.

 

Diversification: de l'électricité, de la chaleur et du froid

Selon Jean-Marie Turiansky (IDEM), qui a monté l'installation, les agriculteurs ont des opportunités de diversification à saisir avec la paille. Les voies les plus prometteuses à ses yeux sont dans le domaine de la cogénération, voire de la trigénération car l'investissement est encore mieux rentabilisé: il s'agit non seulement de faire de la chaleur, mais aussi de fabriquer de l'électricité pour la revendre (sachant qu'un prix de rachat minimal devrait bientôt être réglementairement fixé pour l'électricité provenant de la biomasse, entre 0,07 et 0,10 €/kWh – 0,45 et 0,65 F –, dit-on) et de produire du froid (par exemple réfrigérer des hangars de conditionnement comme les pommes de terre). Brûler des plantes entières comme du triticale semble aussi une piste intéressante.

 

 

Largement gagnant face au fuel

Par rapport à une installation au fuel neuve (plus de 125.000 euros, soit 820.000 F de coût total) et un combustible à 34 centimes d'euro par litre (0,34 €/l, soit 2,20 F), la chaufferie à la paille (281.268 euros, soit 1,845 MF d'investissement total) apporte une économie annuelle de 52.137 euros (342 000 F), tous postes confondus (amortissements, frais financiers, consommation, main-d'oeuvre, mécanisation, pressage, manutention, stockage... chiffres de 2000). Selon Catherine Rieu, de l'ITCF, qui a réalisé une étude économique chez M. Gilbert, "pour un fuel à 0,15 €/l (1 F), l'investissement dans une chaudière à paille n'est pas rentable chez lui. A 0,23 €/l (1,5 F), la rentabilité est limitée. A partir de 0,30 €/l (2 F), l'investissement est particulièrement rentable (la situation la plus fréquente ces dernières années".