1 - Quelles sont les perspectives du métier d'agriculteur?
Le métier de paysan, métier d'utilité publique: une société qui reconnaît l'utilité des paysans les soutiendra! L'avenir de chacun d'entre nous, le maintien de chacune de nos fermes dépend de choix politiques et économiques. Dans un métier où chacun, où chacune peut devenir le concurrent de son propre voisin, le rôle de l'Etat n'est-il pas de répartir les productions, réguler la production et les marchés pour assurer la sécurité des approvisionnements alimentaires et protéger les plus faibles!
2 - OMC: L'Europe doit-elle encore faire des concessions pour parvenir à un accord? Comptez-vous vous opposer à un accord qui léserait les intérêts agricoles français et comment?
L'Europe en acceptant de mettre en oeuvre les critères, baisse des taxes douanières sur les produits agricoles et alimentaires et ouverture des quotas d'importation équivalents à 5% des consommations des pays membres, offre aux multinationales la pénétration d'un marché, empêchant ainsi toute possibilité de maîtrise nationale des productions.
Pour qu'un nouvel accord soit acceptable pour les agriculteurs, celui-ci doit redonner des perspectives crédibles de revenu à partir de prix rémunérateurs, ce qui implique de réactiver des outils de gestion des productions, de rétablir le principe de préférence communautaire tout en exigeant que l'ensemble des continents puisse aussi mettre en oeuvre une protection aux frontières. Ce n'est pas les 3 ou 4% de productions flottantes du marché mondial qui doivent définir les prix intérieurs des 96% restants.
3 - Faut-il encore une Pac après 2013? Certains trouvent que le budget de la Pac devrait être redéployé vers la recherche et l'éducation, êtes-vous de ceux-là?
Oui plus que jamais, avec comme objectifs principaux:
- l'emploi agricole,
- la reconnaissance économique du travail paysan à travers la vente de ses produits qui doit constituer l'essentiel de son revenu,
- les modes de productions durables respectant la qualité,
- la maîtrise des productions,
- une juste répartition des aides publiques entre les exploitations, entre les secteurs de production et entre les régions
- une production bien équilibrée entre toutes les régions d'Europe
- une relation solidaire avec les paysans d'Europe centrale et des autres continents
- le refus du dumping dans le commerce international.
Le budget agricole n'a pas à être redéployé vers d'autres secteurs abonnés par les politiques actuelles. «La souveraineté alimentaire est un principe imprescriptible et un droit fondamental pour tous les peuples»: c'est en ce sens qu'un budget garanti est nécessaire pour développer l'emploi agricole, une agriculture paysanne et corriger les handicaps naturels.
4 - En 2008, l'examen à mi-parcours de la Pac doit il se cantonner à un bilan de santé, évoluer vers une redistribution des aides ou se transformer en une réforme encore plus profonde?
Pas seulement un examen de santé, mais aller vers une redéfinition des missions assignées à la Pac pour redonner un sens et une crédibilité sociétale à l'UE, une réforme profonde ne peut se mener que par une perspective nouvelle partagée par l'ensemble des acteurs, ceci oblige à un débat large et profond. 2008 implique une réaffectation progressive des aides sur l'ensemble des territoires (exemple: même prime aux différents fourrages et respect de l'article 1 du traité européen qui exige une égalité de traitement entre l'ensemble des paysans).
5 - Faut-il développer les biocarburants industriels?
L'avenir de l'énergie verte doit être définie par une véritable politique qui tient compte de l'ensemble des facteurs: écologie, aménagement du territoire, équilibre avec les autres productions. Donc cette énergie ne remplacera jamais à elle seule le pétrole (les terres agricoles n'y suffiraient pas). Donc toute forme d'énergie doit viser le meilleur bilan énergétique et environnemental possible. Cette nouvelle ressource ne doit pas être captée par les industriels et le lobby agricole. Le développement des cultures doit s'inscrire dans un souci de diversification (par exemple uniquement en rotation de cultures). Les biocarburants industriels (éthanol, ester d'huile) présentent des bilans énergétiques insuffisants lorsqu'on prend en compte les procédés de fabrication et le coût énergétique du transport!
6 - Etes-vous favorable au développement des bioénergies en circuit court? Dans les faits et au-delà des discours, on observe depuis de nombreuses années que beaucoup de «bâtons ont été mis dans les roues» de ces microfilières de proximité (tracasseries administratives, paperasserie et fiscalité dissuasives, tarif de rachat de l'électricité insuffisant). Vous engagez-vous à ce que le double langage cesse?
(*) biogaz, huile végétales pures, chaudières polycombustibles, etc.
Oui, favorable au développement des bioénergies en circuit court. Il faut rendre ces filières attrayantes fiscalement car elles permettent de maintenir de la valeur ajoutée au niveau local. La filière de l'HVP (huile végétale pure) présente un bilan énergétique bien meilleur que les carburants industriels, de même que les éléments (tourteaux plus gras et non traités chimiquement) ont une meilleure qualité pour l'alimentation animale.
Autre exemple: la production d'éthanol à partir de plantes et de résidus lignocellulosiques, branchage (paille) permettant d'augmenter l'assiette de production de biomasse (zones de grandes cultures, zones difficiles, semi-montagneuses et forêts souvent sous exploitées) sans utilisation excessive d'intrants (plantes pérennes). Actuellement, le droit français n'est pas conforme à la directive européenne 2003/30 qui reconnaît l'HVP comme carburant.
7 - Jusqu'où doit aller la prise en compte de l'environnement? Croyez-vous par exemple à une agriculture sans pesticides?
La France occupe le troisième rang mondial sur le marché des pesticides et le premier rang européen dont 90% pour les usages agricoles.
Les pesticides doivent être considérés comme l'ultime recours dans des situations devenues incontournables. Une contamination généralisée des eaux par les pesticides est constatée dans 80% des stations de mesure en eau superficielle et 57% en eau souterraine.
De même, l'impact sur la qualité de l'air, les effets sur la santé humaine et animale ont justifié le lancement d'études épidémiologiques. Alors que la réduction massive du nombre de paysans (80% ont disparu entre 1960 et 2004) a provoqué un changement radical des choix de développement agronomique. Plus les élevages grandissent en nombre d'UGB, plus le recours à l'alimentation à l'auge est important. Le retournement massif des prairies a contribué à utiliser une croissance permanente d'intrants et développer la monoculture. Ainsi, la spécialisation des productions appauvrit les sols et les rend de moins en moins fertiles.
Seule une redéfinition de la politique agricole vers un développement durable qui favorise des pratiques respectueuses de l'environnement et de l'homme peut contribuer à réduire massivement les pesticides. Il en va de l'intérêt général. A terme, on sera contraint de changer fondamentalement de stratégie et l'agriculture redécouvrira un développement durable
8 - L'agriculture est elle d'abord faite pour produire?
Oui bien sûr, l'agriculture doit continuer à produire dans toutes les régions du monde, et à faire exister et vivre les familles paysannes qui représentent 50% des actifs de cette terre. Mais la souveraineté alimentaire exige que les cultures vivrières soient protégées et inscrites dans un principe. Exemple: un vrai plan «protéine» en Europe (utiliser les jachères et réduire les surfaces en céréales pour réintroduire oléagineux et protéagineux dans le cycle végétal) est nécessaire pour réduire la dépendance énergétique vis-à-vis des Amériques (Canada, Brésil, Argentine). Pour ces pays, retrouver les cultures vivrières, c'est redonner un travail et des moyens d'exister aux populations qui fuient leur pays, car la misère les touche quotidiennement. La production alimentaire reste la base essentielle.
9 - La France doit-elle cultiver des OGM?
«En milieu confiné» sous contrôle de la recherche publique. Mais la France ne doit développer les plantes génétiquement modifiées car 99% d'entre elles sont des plantes résistantes aux herbicides totaux, ce qui à terme ne règle rien aux aspects environnementaux. De plus, les OGM ne peuvent cohabiter avec d'autres formes d'agriculture (bio, AOC, label) soumises à des cahiers des charges très stricts. Les champs des paysans ne sont pas des paillasses de labos à la recherche et la production d'OGM doit servir des intérêts ciblés et en milieu contrôlé.
10 - Que comptez-vous faire pour abaisser les charges pesant sur les exploitations agricoles?
L'agriculture n'est pas un secteur à part mais la définition de ce que l'on appelle «charges» a besoin d'être établie. Exemple: il est anormal que le poids du foncier soit supporté par les agriculteurs, ce qui oblige chaque génération à s'endetter. Une meilleure prise en compte du revenu agricole est absolument nécessaire et une dissociation des prélèvements des actifs pour garantir durablement l'emploi paysan. Les cotisations sociales doivent permettre d'assurer les droits familiaux et sociaux. Une protection sociale inscrite dans les services publics doit permettre à tous les actifs une égalité de traitement.
De même qu'un statut des cotisants solidaires doit leur permettre une reconnaissance durable de l'existence et de leur travail. Ceci implique de permettre l'accès au foncier et aux droits à produire afin d'assurer une pérennité du métier.
11 - Etes-vous favorable à une TVA sociale en agriculture?
La TVA est un moyen pour l'Etat de prélever un impôt qui permettre d'orienter des budgets et de définir des politiques publiques. Certes, c'est une manne financière qui pèse de manière inégalitaire car elle touche dangereusement les catégories sociales sans ressource ou en forte précarité. Donc, la TVA n'est pas l'outil le mieux adapté car tous les produits nécessaires à la vie courante sont imposés.
Lorsque 50% des agriculteurs n'ont pas le Smic, une TVA supplémentaire serait dangereuse.
Des prix rémunérateurs obtenus par des outils de gestion des productions permettraient aux agriculteurs d'être traités comme le souhaitait le traité de Rome en 1958 «à parité avec les autres catégories sociales».
12 - Que comptez-vous faire pour maintenir les services publics en milieu rural et développer la couverture des campagnes par les moyens modernes de communication?
Si l'accord général sur le commerce des services (AGCS) était appliqué, les zones rurales seraient les plus désavantagées. Développer les services publics: postes, télécommunications, santé, service des eaux, électricité, petite enfance, soins à domicile, services aux personnes âgées, etc. doivent être renforcés par ce service public car il est le garant d'une base de solidité et de solidarité entre les populations et les générations.
La France doit se mettre hors AGCS comme elle doit taxer les systèmes financiers qui concentrent des richesses non réinvesties et qui menacent de délocaliser. Ces taxations de transactions financières doivent permettre une redistribution des richesses au plan local dans les secteurs les plus fragiles!
13 - Que proposez vous pour enrayer le grignotage des terres agricoles?
Une plus juste répartition des terres: un contrôle des structures renforcé, démocratique au profit des petites et moyennes exploitations, des mesures efficaces pour maintenir les exploitations en place, l'arrêt des agrandissements démesurés. La présence d'agriculteurs nombreux dans les territoires constitue une condition indispensable au développement de campagnes vivantes. L'agriculture peut à ce titre être considérée «d'utilité publique».
Le grignotage des terres ne peut continuer en l'état! Un moratoire sur les autoroutes est un exemple à mettre en oeuvre afin de créer le débat sur l'utilisation des terres et ensuite permettre la mise en place du statut du foncier agricole.
14 - Faut-il revaloriser les retraites agricoles et si oui comment?
- renforcer le système de retraite par répartition,
- atteindre une pension minimale nécessaire à une vie décente,
- contribuer à inciter les paysans à céder leur ferme à un nouvel installé. Ceci implique la création d'un seul et unique statut d'actif agricole.
- les cotisations de vieillesse doivent être déplafonnées et élargies à toute la richesse créée (valeur ajoutée) et non plus se limiter aux revenus du travail.
- les avantages fiscaux pour le recours à la retraite par capitalisation ne profitant qu'aux revenus les plus élevés doivent être supprimés.