Seul pays à avoir interdit provisoirement le Gaucho et le Régent TS en enrobage des semences de maïs et de tournesol, la France pourra-t-elle justifier longtemps cette « exception culturale », notamment auprès de ses producteurs de maïs ? Dès juillet, Arvalis - Institut du végétal annonçait une « forte recrudescence du parasitisme, faute de protection efficace ». A partir de 400 parcelles réparties dans plusieurs régions pilotes, l'Institut a observé que les carbamates ont eu une efficacité variable et n'ont pas enrayé les attaques sur 20 à 40 % des plantes.

Seul le Dotan, organophosphoré qui bénéficie d'une dérogation d'usage temporaire dans sept départements, s'est plutôt bien comporté. Toujours selon Arvalis, 10 % des parcelles en maïs grain auraient pâti d'un manque de protection, ce qui représente une perte de production de 500 000 t et un manque à gagner de 50 millions d'euros.

En tournesol, plante plus résistante aux attaques de taupin, les agriculteurs se sont davantage rabattus sur le carbofuran (Curater) ou ont réalisé les semis sans couverture insecticide. En dehors de cas localisés, le Cetiom (Centre technique interprofessionnel des oléagineux métropolitains) fait état d'attaques localisées en zones ou parcelles à risques, mais indique que les agriculteurs doivent s'attendre à terme à une pression parasitaire plus soutenue.

Sur le plan apicole, l'année a été plutôt moyenne, voire médiocre. A quelques exceptions locales près, la récolte de miel de tournesol s'annonce inférieure à celle de l'an dernier. Les apiculteurs invoquent la sécheresse qui a réduit la disponibilité en nectar dans les capitules. Ils font aussi état de phénomènes de dépopulations, mais de façon moins prononcée et plus sporadique, qu'ils imputent à la rémanence des produits mis en cause ou à leur utilisation malgré l'interdiction. Un constat qui ne se fait que sur la foi de témoignages, aucun résultat d'enquêtes, comme celles menées par les DDSV et la DGAl en 2003 et 2004, n'étant disponible pour l'instant.

Affaires toujours en instruction

Sur le terrain judiciaire, les deux sociétés Bayer et BASF sont toujours sous le coup de procédures pénales. Bayer CropScience fait l'objet d'une plainte contre X déposée par l'Unaf (Union nationale de l'apiculture française). L'affaire est instruite depuis 2001 au pôle santé de Paris par la juge Anne Auclair-Rabinovitch. Quant à BASF, confrontée aux mêmes plaignants avec constitution de partie civile, l'affaire est confiée à la juge Isabelle de Combettes de Caumon, nommée cet été au tribunal de Saint-Gaudens. Le médiatique Jean Guary a, quant à lui, été muté au tribunal de première instance de Mamoudzou (île de Mayotte).

Dans un cas comme dans l'autre, les instructions suivent leurs cours sans échéance connue à ce jour. La seule date fixée par la justice est celle du 23 février 2006. Elle concerne Philippe de Villiers, sous le coup d'une plainte en diffamation déposée par BASF. L'auteur du livre « Quand les abeilles meurent, les jours de l'homme sont comptés » devra s'expliquer sur les propos qu'il a tenus sur les pratiques des firmes de l'agrochimie.

Sur le plan réglementaire, les deux molécules d'imidaclopride et de fipronil font aujourd'hui l'objet d'une procédure de réévaluation assurée par la Commission scientifique européenne. Cette commission doit trancher avant une date butoir fixée à fin décembre 2005 pour le fipronil et à fin 2008 pour l'imidaclopride. L'Allemagne est chargée, dans le cadre de cette commission, d'évaluer l'imidaclopride, et la France, le fipronil.

Sur le plan politique, Dominique Bussereau déclarait au début de l'année « qu'il n'envisageait pas d'autoriser à nouveau l'insecticide Régent TS ». Il a assuré qu'il réglerait ce problème avant la fin de 2005.

Echéance électorale

Quelle que soit sa décision, il trouvera sur son chemin la ministre de l'Ecologie et du Développement durable. Interpellée par un député lors des questions à l'Assemblée nationale, Nelly Olin s'est prononcée contre l'inscription du Gaucho et du Régent TS sur la liste européenne des produits autorisés.

Il reste à savoir si à l'avant-veille d'une échéance électorale, les politiques pencheront pour une décision favorable à deux matières actives franchement impopulaires alors que l'opinion publique est plutôt acquise aux apiculteurs. S'ils maintiennent l'interdiction, il leur sera facile de se justifier. Le pays de l'exception culturale n'est-il pas celui où le principe de précaution est inscrit dans la Constitution ?