Selon le Pr Jacobs, enseignant à la faculté des sciences de l'université de Gand (Belgique) et directeur du laboratoire de zoophysiologie, le cumul des besoins en pollen pour une colonie est de l'ordre de 30 à 40 kilos sur environ trois mois. Là où est établi un rucher de 20 colonies, il incombe donc aux butineuses de glaner entre 600 et 800 kg de pollen dans un rayon de 3 km, leur distance maximale de butinage, mais surtout dans un rayon de 1 km, reconnu comme étant leur « zone d'efficacité ». Ce pollen doit être disponible de façon ininterrompue car il constitue un élément important de la « bouillie » distribuée à des larves en croissance rapide, incapables de supporter une quelconque disette. Ce pollen doit aussi répondre à des critères qualitatifs, notamment pour sa teneur en protéines et en acides aminés.
L'exemple le plus connu est le pissenlit. Si les abeilles ne disposaient que de cette plante pour s'alimenter en protéines, elles seraient incapables de sécréter de la cire (d'abeilles !) à cause de la carence en arginine (un acide aminé) propre à ce pollen.
Disponibilité irrégulière
Avec l'appauvrissement de la biodiversité florale observé dans de nombreuses régions, et notamment en zones de grandes cultures, il n'est pas sûr que les disponibilités en pollen soient suffisantes tant sur le plan quantitatif que qualitatif. Les abeilles en trouvent régulièrement au début du printemps et surtout durant la floraison du colza, une plante réputée pour la valeur de son pollen (27 % de protéines).
Or, après le pic de disponibilité apporté par le colza au début de mai, les floraisons suivantes peinent à assurer la transition jusqu'à l'arrivée des tournesols en juin, puis du maïs en juillet et août. Deux floraisons qui arrivent sur le tard et qui apportent un pollen de faible qualité : environ 15 % de protéines pour le tournesol et à peine 20 % pour le maïs.
Dans la ruche, le manque de disponibilité en pollen ou ses carences en protéines conduisent à une sous-alimentation des larves d'abeilles, voire à l'élimination de certaines d'entre elles (phénomène d'autorégulation). Ces carences affectent aussi le développement des glandes hypopharyngiennes qui servent aux jeunes ouvrières à produire de la gelée royale, aliment dévolu à la reine mais également aux très jeunes larves. D'une manière générale, les ouvrières ayant subi des carences durant leur stade larvaire sont faibles et voient leur longévité compromise. L'insecte parfait qui naît trois semaines après la ponte d'un oeuf par la reine ne serait donc pas si parfait que ça.
Abeilles d'été et abeilles d'hiverLes ouvrières qui naissent durant le printemps et l'été ont une durée de vie de l'ordre de 35 à 45 jours. Cela s'explique par leur activité intense mais aussi parce qu'elles sont physiologiquement « programmées » pour cette durée de vie. A partir de l'automne apparaît une nouvelle catégorie d'ouvrières. Elles sont un peu plus lourdes que les abeilles d'été parce qu'elles disposent de réserves corporelles adipeuses et protéiques. En outre, comme elles arrivent à une période où le couvain est en régression tout comme l'activité de butinage, leur espérance de vie va de six à huit mois. Ces abeilles de constitution plus robuste auront pour rôle de faire survivre la colonie durant l'hiver et de redémarrer l'activité de la ruche au printemps, notamment en élevant les premières générations d'abeilles d'été. |
La qualité et la quantité de pollen varient selon les tournesolsLe tournesol est connu de longue date pour la piètre valeur protéique de son pollen. Des études plus approfondies montrent aujourd'hui qu'il existe de fortes disparités variétales aussi bien sur les rendements en pollen que sur les valeurs alimentaires. Les essais sur les rendements pollinifères ont été menés par Biotek-agriculture (entreprise indépendante d'essais en agriculture) en 2004 dans la Vienne et le Loiret. Besoin d'une alimentation protéiquePremière observation : le tournesol fleurit plus longtemps là où il bénéficie d'une pluviométrie correcte (Loiret) et moins longtemps là où les températures sont élevées (Vienne). Deuxième observation : à densité égale, une variété ancienne (Albena, inscrite en 1987) produit 53 kg de pollen à l'hectare tandis qu'une variété plus récente (Atomic, inscrite en 2003) n'en fournit que 28 kg. Pour en savoir plus sur la valeur alimentaire des pollens, retournons à l'université de Gand (Belgique). Le Pr Frans Jacobs et le Dr Chris Simoens y ont élevé de petites colonies d'abeilles enfermées dans des cagettes et nourries les unes exclusivement avec du miel, les autres avec des pollens issus de cinq variétés différentes de tournesol. La rapide régression des colonies nourries uniquement au miel confirme que les abeilles ont bien besoin d'une alimentation protéique. Pour les colonies ayant reçu du pollen, les mesures d'espérance de vie vont de + 5 à + 21 jours par rapport aux témoins, ce qui met en évidence des différences dans les valeurs alimentaires selon les variétés. Les études vont se poursuivre pour trouver l'origine de ces disparités, notamment en mesurant les teneurs en acides gras essentiels et en acides aminés. |
DEBAT : toutes les explications avancées...Par les tenants de l'hypothèse « insecticides systémiques non responsables »* Après les colzas, les ruches connaissent une chute brutale d'approvisionnement en pollen. Les abeilles au stade larvaire à ce moment-là en pâtiraient et deviendraient des ouvrières mal constituées ou affaiblies au moment où démarre la floraison du tournesol. * Certaines variétés récentes de tournesols se montrent moins productives en pollen. Il se pourrait aussi que leur nectar soit peu abondant ou difficile à butiner. * Certaines variétés de tournesols pourraient aussi sécréter des terpènes, substances susceptibles de perturber les abeilles. * Les pollens de tournesol puis de maïs, carencés en protéines, servent à nourrir les larves des futures abeilles d'hiver. Ces abeilles, censées survivre tout l'hiver, seraient fragilisées par ces carences et incapables de supporter la mauvaise saison. * Le pollen de maïs, récolté tard en saison, constitue une part importante des provisions hivernales des colonies. Connu pour sa faible teneur en protéines, il serait insuffisant pour couvrir les besoins des abeilles en hivernage et des larves qui naissent en fin d'hiver. Par les tenants de l'hypothèse « insecticides systémiques responsables »* Les abeilles sont fragilisées par l'appauvrissement de la flore et les traces d'insecticides systémiques présents dans les capitules, voire d'une manière plus générale dans différentes plantes, leur portent le coup de grâce. * Le pollen récolté sur le maïs contient des traces d'insecticide. En se nourrissant tout l'hiver avec ce pollen, les colonies s'intoxiquent à petit feu, ce qui explique les mortalités d'hiver. |